Manuele Fior est un virtuose. Un artiste qui parvient, avec ce qui semble une grande aisance, à trouver le délicat équilibre entre une certaine expérimentation et une simplicité qui touche à l’évidence. Son dessin direct à l’aquarelle, dépeint une expression corporelle parfaitement étudiée et retranscrite avec finesse. Si on retrouve des similitudes avec son ouvrage précédent chez Delcourt,[1] son trait s’approche ici plus de l’esquisse, tracé d’un mouvement souple et vif.
Aussi, le travail sur les couleurs est tout particulièrement intéressant : Découpé en chapitres, les ambiances évoluent au fur et à mesure que le récit se développe. Jouant sur les associations de tonalités chromatiques, Manuele Fior installe des atmosphères uniques. Il suffit de feuilleter ce livre pour se retrouver projeté dans les différents climats qu’il suggère. Chaleur, tendresse, douceur, nostalgie, mélancolie, sont les émotions que cherche à transmettre l’auteur au travers de son seul travail plastique, venant appuyer une histoire qui, elle, reste à peine effleurée. La couleur gradue le récit, et devient un élément structurant de premier ordre, évoluant au fil de la narration et des émotions.

Ainsi, si on peut difficilement parler d’émotion, chacun ayant sa sensibilité propre, on peut en revanche plus aisément intercéder en faveur de la pudeur. Oui, 5 000 kilomètres par seconde est un récit pudique. L’auteur garde une distance avec ses personnages, comme s’il voulait rester observateur de l’histoire sans déranger quiconque. Aussi, les sentiments sont seulement suggérés. Pas de déballage de mièvrerie ici, tout est contenu, inassouvi, à l’image de cette histoire d’amour qui lie Piero et Lucie. Cela touche jusqu’au dessin : la plupart du temps tout juste ébauché, il ne semble pas vouloir rentrer dans les détails, mais plutôt se contenter de l’essentiel. Projeté tantôt dans une période de la vie des deux protagonistes, tantôt dans une autre, submergé par des couleurs chargées de leurs émotions, ou encore observant des images esquissées, comme si la mémoire en avait effacé une partie pour garder l’essentiel, le lecteur a l’impression de s’immiscer dans des souvenir plutôt que dans une histoire.
Comme happé par la vitesse du temps qui passe, le trait semble être d’une grande spontanéité pour ne pas perdre un seul instant.[2] Pourtant des instants perdus, il y en a – comme entre chaque chapitre. Les connexions qui se créent entre les différentes ellipses sont si insaisissables que ces dernières s’apparentent à des trous de mémoire. Tout a évolué, des personnages jusqu’aux couleurs en passant par les lieux. Pourtant aucun souvenir de ce qu’il y a entre ces moments-clés. Un autre effet du temps ?

En définitive, 5 000 kilomètres par seconde est un récit sur les actes manqués, sur les choix. C’est également une histoire d’amour et de quotidien. Mais au-delà de toutes ces réflexions sur la vie et ses aspérités, Manuele Fior nous offre finalement un ouvrage sur le temps, à l’échelle humaine, celle de l’existence. Un livre sur le vieillissement et sur les regrets. Une œuvre passionnante et prometteuse, et c’est pour ces raisons que la déception fut de taille à la lecture du dénouement. Particulièrement insipide, cette fin conclut de bien triste façon un ouvrage d’exception. A trop suggérer, ne passe-t-on pas à côté de l’intensité ? Comment obtenir une véritable profondeur quand on ne fait qu’effleurer ?
Il manque ainsi à 5 000 kilomètres par seconde ce petit je-ne-sais-quoi qui lui aurait permit de surclasser beaucoup d’autres récits du même genre. Mais si Manuele Fior n’a pas su trouver le parfait équilibre entre forme et fond, il a réussi à creuser de nouveaux sillons et à créer un bel ouvrage, sensuel et terriblement nostalgique, d’une mélancolie troublante.

Critique précédemment publiée sur du9.org (avec des images):
http://www.du9.org/chronique/5-000-kilometres-par-seconde/
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le 21 août 2013

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Loïc Massaïa

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