Claymore
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Claymore

Manga de Norihiro Yagi (2001)

Lecture achevée il y a peu, avec suffisamment de temps écoulé toutefois pour ne pas commenter à chaud, je peux dire que je n'ai pas détesté Claymore. Une chose est sûre cependant : j'aurai oublié le gros de ce que j'ai lu d'ici plusieurs mois. Non pas que ma mémoire soit foncièrement défaillante, simplement que rien de franchement marquant ne mérite la peine de rester en tête. Claymore, c'est reposant, ça se lit sans forcer - un peu sur la fin - mais ça n'a rien de mémorable.


De la fantaisie-héroïque mollassonne qui s'assume peu et se laisse flotter sur son long fleuve tranquille. Voilà ce que l'on retire de Claymore son dernier volume fermé. Et c'est triste. Car, avec du recul, je préfère encore vouer une œuvre aux gémonies plutôt que de ressentir une profonde indifférence à l'égard de celle-ci. On ne retire aucun attachement à un personnage en particulier, aucun point de la trame ne fera vibrer ou même lever un sourcil par son audace, son originalité ou bien son intensité. Pourtant, on ne s'ennuiera pas ; la distraction sera au rendez-vous, mais de très faible ampleur. Il y a des lectures qui déçoivent, certaines qui exaltent et d'autres qui sont vaguement récréatives, ayant au moins pour mérite de vous faire passer le temps ; Claymore appartient à la troisième catégorie et ça m'irrite d'écrire ça à son propos car, écrivant ceci, j'ai le sentiment de mépriser malgré moi un manga qui ne le mérite pas. Lire Claymore, c'est plaisant, mais vous n'en retiendrez rien. L'œuvre est à mille lieues du statut de légende mais nage bien au-dessus des abysses de la médiocrité ; elle se perd au final comme une goutte au milieu d'un océan de banalité s'étendant à perte de vue.
C'est malheureux à dire, mais on ne ressent pas une implication ou même un soupçon de passion de la part de l'auteur. Ce manga, c'est le rejeton de Norihiro Yagi, un enfant négligé auquel il accorde peu d'attention tout en lui fournissant le minimum syndical pour vivre. Un gosse de plus dans la masse qui n'attire pas l'attention sur lui en bien ou en mal. Un gosse moyen qui n'est digne ni d'éloges ni de mépris car il n'a rien de spécial.


Évacuons l'essentiel : Claymore n'est pas un sous-Berserk. Le début le laisse préfigurer, toutefois, on s'en émancipe assez vite. Évidemment, je n'aurai certainement pas l'audace de vous dire que l'univers de Claymore n'en est pas inspiré. Monde médieval occidental, personnage principal qui - à l'aide d'une gigantesque épée à deux mains - tranche des démons prenant forme humaine... y'a comme un semblant de paternité. Les monstres sont de plus en plus impressionnants ; les simples Yomas sont surclassés par les Éveillés, eux-même inférieurs aux très rares Abyssaux. Le dessin n'est pas à la hauteur de Miura (n'en demandons pas trop non plus), mais les apparences des éveillés sont souvent bien esthétisées et travaillées, la palme revenant sans doute à Isley..
Cette bête chasse aux monstres prend une tournure optant pour le meilleur à compter de l'instant où les manigances de «l'Organisation» - en charge du déploiement des Claymores sur le territoire - ne se dévoilent. Leur rôle de sauveur du monde des hommes est écorné par leur absence de scrupules et leur rôle trouble, n'hésitant pas à liquider discrètement ses propres agents quand ceux-ci s'avèrent inconvenants. Une petite trame complot qui devrait plaire à qui de droit avec, en supplément, un volet guerre de territoire entre les différentes factions d'Éveillés sous la coupe des trois Abyssaux. Des factions, de la politique - de basse volée, certes -, des guerres de conquête, des revirements inattendus dans le déroulé du conflit, j'aimais encore bien.
De ce que j'ai lu des critiques négatives de Claymore, certains situent un début de déclin à compter de l'ellipse des sept ans. Très personnellement, je n'ai constaté aucune dégradation, situant davantage l'amorce de la descente (considérable, mais pas vertigineuse) à partir du combat des personnages principaux contre l'Organisation qui adviendra bien plus tard. En attendant, ça se lit plutôt bien.


Ces personnages principaux m'auront laissé de marbre. Comme les secondaires d'ailleurs. Les personnalités marquées, les évolutions de psyché, les relations complexes : oubliez. Nous ne tombons pas dans le travers Shônen (Publié dans le Monthly Shônen Jump, je le rappelle) avec des personnalités archétypales aux traits prédéfinis, vus et revus cent fois, mais nous n'observerons aucune personnalité nuancée. Voilà qui n'aide pas à ressentir quoi que ce soit pour les protagonistes. De base, ils appellent sur eux l'indifférence. Enfin... ELLES appellent sur elles l'indifférence.
Claymore a cette originalité pour un manga principalement adressé à un public masculin de n'être composé presque qu'exclusivement d'un cheptel de protagonistes féminins. Rien de tel pour me rebuter, et pourtant. Pourtant, ces personnages sont féminins sans jamais virer au «girly». Yagi ne laisse pas de place à l'hystérie ou à l'excentricité. Peut-être est-ce aussi un reproche à lui faire : l'ambiance, les personnalités, la trame, tout manque de sel, le dynamisme y est mollasson. Si vous êtes abonnés à l'intempérance et l'exubérance de personnages principaux très vivants et ne pouvez frayer sans : passez votre chemin. Protagonistes comme antagonistes sont tous plutôt pondérés et même assez froids malgré eux. Sans le vouloir, l'auteur les a rendu inabordables pour le lecteur car, quelque part, tous assez distants, tous autant qu'ils sont.


Pas de «girly» ou «kawai» qui tienne. Une agréable surprise pour moi qui vomis ces comportements dans les mangas. Meilleure surprise encore : pas de nudité. Berserk en abusait parfois trop pour forcer l'aspect médieval-fantastique monstrueux et barbare. Il n'en sera nulle question ici. Des personnages féminins à tous les étages et aucun fan-service. On devrait créer une distinction honorifique à cet égard et la remettre immédiatement à Norihiro Yagi pour ce mérite. Car il en faut du mérite pour ne pas céder aux sirènes de la facilité et de la norme à foutre des gros nibards (dévoilés ou non) sous le nez du lecteur pour en appeler à autre chose que son appétence en terme de construction du récit et des personnages. Il devrait être cité en exemple chaque fois qu'il se trouve quelqu'un pour justifier ce procédé honteux et omniprésent du fan-service libidineux et ostentatoire. Il faut croire que la recette est digeste pour les mâles : huit millions de ventes rien qu'au Japon.


Mais, si on ne verse à aucun moment dans l'hystérie et les convulsions épidermiques des personnages superactifs, on retrouve l'exact opposé du phénomène : aucun humour ni exaltation. Vous ne rigolerez pas une fois. Même Berserk et son ton sombre - bien plus encore que celui de Claymore - sait faire rire inopinément avec ce qu'il faut de personnages attribués à cet effet. N'espérez pas ici la présence d'un quelconque bout-en-train. Peut-être est-ce cela aussi qui m'a laissé une impression si terne du manga ; avec des personnages souvent insipides et une absence totale de légèreté, ça manque de vie. Le sel dont je parlais précédemment manque cruellement, la soupe est fade et aucune dose d'hémoglobine d'Éveillés ne saura la relever suffisamment. En vivant si longtemps ensemble, le noyau dur des protagonistes aurait pu générer une dynamique de groupe, des complicités, mais encore cette fois... elles sont si froides entre elles, on ne ressent pas la camaraderie qui les unit et toute tentative d'expression de sentiments de leur part paraît factice. D'ailleurs, les très rares morts qui seront occasionnées du côté des héros me laisseront les yeux secs.


Le rapport de force des personnages sera toutefois satisfaisant. Pas de personnage principal qui s'occupe seul des problèmes avec une pléthore de figurants pour l'applaudir. Claire est la plus faible des Claymore et saura s'illustrer par moments sans jamais tirer la couverture à elle. Un autre très bon point à accorder au manga est le rôle accordé et très bien réparti entre personnages principaux et secondaires, ces derniers étant très souvent exploités et mis en avant dans le cadre de l'intrigue. Beaucoup de personnages dont la présence dans la trame se justifie et jouant chacun leur rôle. C'est à vous faire regretter que leurs personnalités et leur présence ne vous fasse strictement aucun effet. Tout le monde a sa place sur le grand échiquier qui se dresse chapitre après chapitre et chacun a son coup à jouer. On déplorera toutefois que les protagonistes ne perdent guère que des pions au cours de la partie là où l'adversaire y laissera toutes ses pièces.


Les personnages sont certes faibles face aux Abyssaux contre lesquels ils ne pourront rien la plupart du temps, mais le sentiment de détresse et d'intensité ne se fait pas sentir. Aux débuts seulement, quand les Abyssaux se voulaient invincibles et écrasants, avant de devenir des sujets de rigolade pour l'Organisation qui se débarrassera de l'un d'eux comme d'une formalité grâce à une nouvelle invention. Et comment ressentir le danger pour les protagonistes en tant que lecteur ? Personne ne meurt sauf les personnages tertiaires ou présentés de la veille et l'Organisation n'est JAMAIS inquiète face aux menaces incarnées par les Abyssaux et affiliés.


La mise en scène est aussi en cause. Autre aspect terne et fade du manga, l'absence presque totale de plans capables de transporter le lecteur. N'étant pas un expert en dessin, en photographie ou en cadrage, je n'ai pas les termes les plus adéquats pour présenter mes griefs en la matière. Dans Claymore, les planches présentent souvent des situations statiques, la sensation de dynamisme, de drame, de danger sont très mal présentés par le dessin. Ajouté à ça le côté apathique des personnages principaux, car eux non plus ne véhiculent aucun sentiment de détresse palpable. Je ne porterai jamais suffisamment l'emphase sur ce point qui - à mon sens - ruine le gros du manga : c'est froid et sans saveur, il s'en faudrait de peu pour que le brasier s'enflamme pourtant. La mise en scène des planches est vraiment très cadrée, sans surprise ni innovation ni prise de risque ou quelconque audace : on suit presque un plan. Et pas un bon.


On a pourtant tout pour mettre l'eau à la bouche. L'auteur sait renouveler les menace mais faillit à les rendre menaçantes avec le travail de mise en scène nécessaire à cet effet. On passe des Yomas aux Éveillés puis aux Abyssaux. Les armées d'Éveillés se constitueront, il sera question d'armes mangeuses d'Abyssaux, de la naissance d'un Abyssal surpuissant, du retour de Priscilla, des Jumelles formées par l'organisation... et tout cela sera utilisé et mélangé trop hâtivement dans un globiboulga de puissances d'où Priscilla sortira les doigts dans le nez. Son invincibilité n'aidera toutefois pas à la rendre impressionnante ou crédible comme antagoniste principal. Riful et l'armée d'Isley à leur première introduction (correctement mises en scène) m'auront fait m'inquiéter bien plus pour les héroïnes que Priscilla qui, pourtant, ne peut être contrecarrée par quoi que ce soit (à l'exception d'une astuce scénaristique de fin décevante). La mise en scène, en principe, donne l'impression d'aller de soi quand on lit un manga ou lorsque l'on regarde un film, mais on se rend compte qu'elle manque quand elle n'est pas soignée.


La lutte des factions et toutes les histoires d'alliances et traîtrises éventuelles capables de rajouter du piment et de l'inattendu sont alors bouleversées par le retour de Priscilla. S'ajoute à cela l'attaque contre l'Organisation, une organisation aux contours jamais définis, dont la Genèse et ce qui la constitue n'est jamais franchement clair et dont les hommes en noirs ne sont pas présentés. Comment ressentir de l'enjeu dans ces conditions, je vous le demande. La mort de son chef laissera immanquablement sur notre faim car, de lui, comme des ses hommes, nous ne savons rien. Aucun sentiment de satisfaction ou de tristesse à ressentir. Tout cela fait l'effet d'un coup d'épée dans l'eau.


On sent que l'auteur cherche à clôturer avec la surenchère de nouvelles entités surpuissantes (mais encore une fois.... assez mal mises en scène pour être menaçantes) qui nous apparaissent comme les ultimes convulsions d'un mourant prêt à expirer. Et pour ceux qui n'ont jamais vu quelqu'un convulser, je vous préviens, c'est chaotique.


La fin est bordélique : un membre de l'Organisation ressuscite des anciennes Claymore ayant été numéro une de leur génération chacune pour en faire des Abyssaux. Baston sans enjeu. L'une d'elle atteint un stade outrepassant la puissance d'un Abyssal (la surenchère à la fin d'un manga axé autour de l'affrontement physique est souvent très mauvais signe en terme de qualité). Riful qui n'est plus Riful se bat contre Priscilla (???), les Claymore s'allient aux Éveillés (qui serviront de chair-à-canon et perdront une occasion d'être détaillés en profondeur) restants pour affronter la dernière Abyssale. Maelstrom de bastons chiantes, deux personnages anecdotiques et peu développés parmi les protagonistes meurent, Thérèse, la mentor de Claire, revenue d'entre les morts, prend possession de son corps pour buter Priscilla. Louvre, qui s'était découvert une carrière de commentateur sportif avec Daë, observe le combat final et quitte le territoire. Claire part vivre avec Raki, retrouve Irène dont on ne pige pas trop pourquoi elle est encore en vie et en quoi sa présence a un quelconque intérêt pour cette planche finale du manga.


Un bordel confus qui n'a ni queue ni tête et qui ne sait pas où il va et où il n'est plus question que de bastons lourdes et rébarbatives. Je ne pense pas que ce soit cela qui ait fait le succès du manga auprès de ceux qui l'apprécient. D'ailleurs, la conspiration de Louvre n'aura servie aucun dessein, le personnage et son implication dans le scénario se seront avérés sans intérêt. Et bordel, pourtant que ce personnage avait du potentiel. Peut-être aurait-il fallu s'occuper davantage de ses manigances et leur donner une portée réelle que de verser dans le combat brutal et bourrin contre des Abyssaux sans charisme.. Que d'occasions manquées d'épaissir le cuir du manga et d'en faire plus qu'une chasse aux monstres (ce qu'il a fini par redevenir à la mort de l'Organisation).
Yagi tenait quelque choses avec la constitution des différentes factions et leur combat pour la conquête totale. Des intrigues politiques pour accompagner le guerrier, y'a que ça de vrai.


Mon introduction faisant aussi bien office de conclusion dans la mesure où l'essentiel y est synthétisé, j'achèverai cette critique en relevant (après qu'on me l'ai fait remarquer dans d'autres critiques) que Claymore a semble-t-il inspiré Shingeki no Kyojin dans différents éléments de son univers. Je ne saurais situer les points exacts, mais j'ai effectivement le sentiment que le manga à ses débuts a du Claymore dans les veines. Avis aux amateurs.

Josselin-B
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le 9 févr. 2020

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Josselin Bigaut

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