Coke en stok est un peu le dernier album de Hergé, le dernier album classique avant de se tourner vers d'autres quêtes, d'autres exercices, d'autres expériences. On y retrouve, après 18 tomes qui ont créé son propre genre, tout ce que Hergé a instauré. Si les raisons de partir au Khemed, pays central de ses aventures avec la Syldavie, est tout à fait hasardeuse, celles de partir dans l'Or Noir, Le secret de la Licorne, ou Tintin en Amérique ne le sont pas moins. L'album commence donc à Moulinsart, puis s'y termine, comme bon nombre. On retrouve le calme relatif de la maison, le gag final, et tous les autres running gags (les farces d'Abdallah, l'arroseur arrosé, le comique de répétition, la surdité mythique de Tournesol) typiquement burlesques qui ont fait l'enfance de Hergé.
Hergé renoue avec les origines, avec ses propres codes, et pour cela il fait intervenir la majorité des personnages qui ponctuent les aventures, comme pour nous dire adieu et pour éviter d'être naufragés. L'aventure se passe en mer, quelque part entre la Mer Rouge et le Khemed, on y trouve à la fois des yachts et des cargos, deux symboles opposés du voyage maritime dans tous les albums. Haddock ne sera d'ailleurs pas mécontent de retrouver un bon vieux cargo, surtout s'il lui permet d'échapper à la Castafiore — même elle. Au-delà de simples clins d'œil, Coke en stock est une réunion de tout le savoir-faire classique de Hergé, comme un poète dix-septièmiste écrirait grâce à des symboles qui font sens pour lui et son public. Donnant presque envie de jouer à Civilization, le fond plus noir que jamais — c'est le cas de le dire, excusez l'humour noir —, est presque polémique pour l'époque, en évitant, de justesse presque maladroitement, de tomber dans le message moralisateur. Mais, que ce soit là ou au Congo, on passera vite au-delà de la simple question " Hergé est-il raciste ? ".
Il n'est pas raciste, il ne pense pas plus de mal des détournements d'avions que de la traite des noirs, il signe juste, avec toutes ses cartouches, un savoir-faire et un stock qui nous fait retrouver la somme de tous les Tintin, le Tintin qu'on connaît, le Tintin qu'on aime.