L’adaptation est un art délicat. On ne compte plus le nombre de ratages complets lorsqu’il s’agit de transposer un roman en film ou en BD (ou l’inverse). Heureusement, il y a parfois des bonnes surprises, comme le démontrent avec talent le scénariste Eddy Simon et la dessinatrice Marie Avril. Alors qu’il s’agit de leur toute première collaboration, ils signent une adaptation en bande dessinée très réussie de « Confidences à Allah », le roman coup de poing de l’écrivaine franco-marocaine Saphia Azzeddine. Une réussite certainement liée au fait qu’Eddy Simon et Marie Avril ne prennent pas de gants pour mettre en images l’itinéraire mouvementé et plein d’embûches d’une jeune musulmane qui rêve d’une vie meilleure. Pas question pour eux d’édulcorer le livre de Saphia Azzeddine, même si les dessins de Marie Avril, qui s’était surtout distinguée comme illustratrice jusqu’ici, ont un côté joyeux et coloré qui tranche avec la noirceur du récit. Misère, abus sexuels, grossesse non désirée, bannissement, abandon d’enfant, prostitution, trahison, prison… la version graphique du roman de Saphia Azzeddine n’élude aucun épisode du destin mouvementé de Jbara, la narratrice du livre. Un destin que celle-ci accepte presque avec détachement, comme si tout ça était normal finalement. Dès les premières pages, on est surpris de voir la jeune fille accepter de coucher avec un berger particulièrement peu séduisant en échange d’un simple yaourt à la grenadine… Il faut dire que les distractions sont rares à Tafafilt, le village perdu dans les montagnes du Maghreb où habite Jbara. « Tafafilt, c’est la mort », dit-elle. « Je suis pauvre et j’habite dans le trou du cul du monde. Avec mon père, ma mère, mes quatre frères et mes trois soeurs. Je suis une bergère et je ne connais rien d’autre. Mes brebis sont tout ce que j’ai… Non, j’ai ma mère aussi ». Désespérée par cette vie d’un ennui mortel, Jbara supplie Allah de faire en sorte qu’il se passe enfin quelque chose dans sa vie. Ce souhait, il va être sacrément exaucé. Peut-être même plus qu’elle ne le souhaitait d’ailleurs, à cause notamment d’une valise rose tombée d’un bus…
« Confidences à Allah » est un récit qui ne peut pas laisser indifférent. Car c’est un témoignage à la fois touchant et cru sur l’oppression subie par les femmes lorsque celles-ci ont la malchance de naître dans le mauvais milieu et au mauvais endroit. « Allah, si j’étais née dans une famille bien, dans une ville bien, avec une éducation bien, j’aurais forcément été une famille bien. Mais ce n’est pas comme ça que ça s’est passé au départ. Tu avoueras que je suis partie avec vachement plus d’emmerdes ». C’est en ces termes simples mais tellement justes que Jbara résume sa situation à Allah, son seul confident. C’est vers lui qu’elle finit toujours par se retourner, même lorsqu’elle ne croit plus en lui. Malgré les épreuves insoutenables auxquelles elle est confrontée, elle se raconte sans cesse à lui. Serait-ce grâce à ces confessions que Jbara trouve la force de toujours continuer à se battre, allant même jusqu’à trouver un peu de sérénité? « Croire en toi, Allah, n’est pas une évidence mais plutôt un combat », dit-elle. A noter que « Confidences à Allah » avait déjà fait l’objet d’une adaptation théâtrale il y a quelques années. Une adaptation qui avait, elle aussi, été saluée par la critique. C’est d’ailleurs au théâtre qu’Eddy Simon a découvert l’histoire de Jbara, avant de se plonger dans le roman. Nul doute que beaucoup de lecteurs feront de même après avoir lu son adaptation en bande dessinée.
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