Corto Maltese débarque dans le 21ème siècle

En pleine nuit, sur la mer de Chine, un petit bateau fend les flots à toute vitesse. Dans la cabine de pilotage de l’embarcation, on reconnaît le visage et la boucle d’oreille de Corto Maltese. L’aventurier vénitien a été engagé par son ami Marcus et deux autres pirates des temps modernes pour partir à l’abordage d’un yacht de luxe. A l’approche de leur cible, Corto et ses complices éteignent les lumières de leur bateau, histoire de prendre les occupants du yacht par surprise. Le marin ténébreux est persuadé que l’objectif est de voler un Picasso ou des lingots, comme d’habitude. Mais rapidement, les choses dégénèrent. Contrairement à ce que Marcus avait promis à Corto, dont la philosophie est de ne jamais faire de victimes, les pirates ouvrent le feu. Manifestement, leur cible est un vieillard japonais en pyjama, qu’ils cherchent à tout prix à capturer. Furieux de la tournure dramatique prise par les événements, Corto Maltese décide de tourner le dos à ses complices et de sauver la vie du vieux propriétaire du yacht en l’embarquant avec lui sur son bateau. Une fois en sécurité, celui-ci lui révèle deux informations importantes: d’une part qu’il garde un trésor, ce qui éveille forcément l’intérêt de Corto, et d’autre part qu’il voudrait voir une dernière fois sa fille à Tokyo avant de mourir. Evidemment, le marin romantique n’hésite pas un seul instant et met le cap sur la capitale japonaise, sans se douter qu’il vient une nouvelle fois de se fourrer dans un sacré pétrin. Car le vieux monsieur en question n’est autre que le docteur Fukuda, l’un des membres d’Océan noir, une secte d’ultra-nationalistes japonais exilés au Pérou pour y amasser de l’or. Et c’est parti pour une aventure qui va mener le romantique Corto du Japon jusqu’en Amérique du Sud. Une aventure pleine de rebondissements, dans laquelle il va croiser le chemin d’agents secrets, de combattants écologiques, de son éternel ennemi Raspoutine, et même du secrétaire d’Etat américain Colin Powell. Mais surtout, Corto le séducteur va retomber par hasard sur Freya, une journaliste intrépide qu’il semble très bien connaître…


Avec son air ténébreux, ses rouflaquettes, son éternelle boucle d’oreille, sa désinvolture et son détachement, Corto Maltese est l’un des personnages les plus sexy et les plus mystérieux de l’histoire de la bande dessinée. Créé par le dessinateur italien Hugo Pratt à la fin des années 60, le marin aventurier est devenu au fil des ans une véritable icône, même si de manière assez étonnante le personnage semble plus connu que ses aventures. Pour le dire de manière un peu simpliste, tout le monde sait qui est Corto Maltese, mais peu sont ceux qui ont lu tous ses albums. Plus de 25 ans après la mort de Hugo Pratt, Corto semble plus vivant que jamais. Il avait déjà effectué un premier retour sur le devant de la scène en 2015 grâce aux auteurs espagnols Juan Diaz Canales et Ruben Pellejero, qui ont depuis lors publié trois albums et qui en préparent un quatrième. Mais avec "Océan noir", dessiné par le surdoué Bastien Vivès, on est dans un tout autre registre. On n’est pas juste dans une nouvelle histoire de la série Corto Maltese, mais carrément dans une réinvention du personnage, qui fait son entrée dans le 21ème siècle. Dans cet album, Bastien Vivès prouve une fois de plus qu’il est un vrai touche-à-tout, lui qui est à l’aise dans les récits intimistes ("Polina", "Une sœur", "Le chemisier"), dans le manga survitaminé à la française ("Lastman") et même dans la BD érotique ("Les melons de la colère", "Petit Paul"). Cela dit, il faut rendre à César ce qui appartient à César. En réalité, ce n’est pas Bastien Vivès qui voulait à tout prix se lancer dans ce Corto Maltese, mais le scénariste Martin Quenehen. Les deux hommes avaient déjà travaillé ensemble sur l’album "Quatorze Juillet", sorti l’an dernier, et c’est Quenehen qui a convaincu Vivès de le rejoindre sur ce projet. Autant le dire clairement: les puristes de l’univers imaginé par Hugo Pratt risquent d’être un peu désarçonnés par "Océan noir". Il s’agit en effet d’une version beaucoup plus contemporaine de Corto, avec davantage de rythme, de suspense et d’action. L’époque non plus n’est pas du tout la même, puisque l’histoire imaginée par Martin Quenehen se déroule en 2001, au moment des attentats du 11 septembre. Du coup, Corto Maltese fait un grand bond dans le temps: il est devenu un personnage qui colle davantage à notre époque, avec un look et des préoccupations plus modernes. Il a même une nouvelle petite amie, Freya, sortie tout droit de l’univers de Bastien Vivès. Les nostalgiques se consoleront grâce à la présence de Raspoutine, même si lui aussi a subi une sacrée cure de jouvence. Plutôt que de simplement faire du copier-coller de l’original, Bastien Vivès a choisi de faire du Bastien Vivès, tout en respectant l’esprit d’Hugo Pratt. Et c’est ça qui est bien, car cela fait souffler un vent de fraîcheur sur ce bon vieux Corto.


Découvrez l'interview de Bastien Vivès et Martin Quenehen sur AGE-BD.

matvano
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le 10 oct. 2021

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