Pas grand-chose à dire pour la défense de ce one-shot qui sent bon l'opportunisme commercial alors que deux ans se sont écoulés depuis la sortie du Jour de Tarowean, et que les auteurs espagnols de la reprise de la série sont visiblement toujours occupés par d'autres projets. Oui, l'album est élégant par son format et la qualité de son papier, et l'idée d'offrir à un nouveau duo la possibilité de s'approprier le personnage du marin est, ma foi, aussi valable que celle de lui inventer de nouvelles aventures dans la chronologie d'origine. Et même si ce Corto du XXI° siècle porte la mèche et que Raspoutine ressemble à un hipster, on peut saluer la bonne qualité du dessin de Bastien Vivès : si on passe outre l'impression de travail bâclé qui se dégage de certaines cases, il faut reconnaître que les expressions des personnages sont maîtrisées, les décors réussis et le découpage pertinent.
Pour le reste, après un premier quart intrigant, le scénario de Martin Quenehen tourne à la chasse au trésor archi-classique, du Japon à l'Espagne en passant par le Pérou et le Panama. Et malgré l'épaisseur du volume, la quête est menée tellement vite qu'on a à peine le temps de comprendre qui est qui et qui veut quoi. De nouveaux personnages débarquent toutes les dix pages et disparaissent aussitôt, et même ce pauvre Raspoutine, rencontré en pleine jungle dans un camp de narcotrafiquants, subit le même traitement expéditif. La rencontre inopinée de Corto et son meilleur ami/ennemi illustre d'ailleurs à elle seule le principal défaut d'Océan noir : les auteurs ne se réapproprient Corto qu'à moitié, abandonnant leur démarche personnelle en chemin pour se plier avec complaisance aux passages obligés de l'exercice de style. Quenehen et Vivès nous servent donc jusqu'à la caricature l'inévitable et inutile confrontation entre Corto et Ras : retrouvailles, dispute, poing dans la gueule, réconciliation, hew hew hew et haw haw haw, et adieux sur fond de phrases ineptes sur l'amour et le sens de la vie.
Paradoxalement, ce qui aurait dû faire la force de cet album - le côté personnel de la démarche, l'esprit « vu par... » qui a donné naissance à quelques très bons albums chez Spirou ou Lucky Luke par exemple - s'avère ce qui est le moins réussi. Les tentatives de raccrocher le récit à une époque, celle des attentats du 11 septembre 2001, sont maladroites et n'apportent rien à l'histoire : je pense notamment à la rencontre avec Colin Powell qui arrive comme un cheveu sur la soupe et ne sert strictement à rien. Je pense aussi à toutes ces références à des problématiques contemporaines, lâchées çà et là sans subtilités : la surpêche, la drogue, le féminisme, l'éco-terrorisme, l'impérialisme... Bref, voilà un one-shot bien vite lu (une demi-heure pour 160 pages, ça en dit long sur l'épaisseur du scénario) et encore plus vite oublié.