Les BD qui prennent pour sujet l’un des deux conflits mondiaux sont nombreuses, et parmi elles on compte quelques classiques du neuvième art et beaucoup d’excellentes séries. Comme si les millions de morts, les héros et les barbares, les tragédies individuelles et les drames nationaux exigeaient des scénaristes et des dessinateurs de se dépasser, de se transcender, par respect envers l’importance de ces convulsions historiques et par devoir de mémoire envers leurs victimes.
Pour traiter la Première Guerre mondiale, c’est justement aux victimes de 14-18 que le duo Cothias/Ordas s’est intéressé. Et de la manière la plus directe d’abord : le héros de L’Ambulance 13, Louis-Charles Bouteloup est en effet chirurgien, fraîchement diplômé, fraîchement officier. Au feu de son baptême sur le front en 1916, il faudra ajouter le sang et la chair mutilée des soldats français, et de la boue, et de neige. Car L'Ambulance 13 se veut et réussit à être un témoignage précis et sensible – jusqu'à être éprouvant parfois, sur la médecine militaire en action au plus fort du conflit et dans son quotidien le plus âpre, le plus désespéré. Mais par extension, pour donner à leur récit une dimension universelle, Cothias et Ordas ont fait de tous leurs personnages, dans les tranchées ou à l'arrière, dans les villes, des individus amochés, pervertis par la guerre. Ainsi, au fil des cases, on veut espérer que l'héroïsme et la droiture de Bouteloup survivront à l'horreur des tranchées et à l'aveuglement létal de sa hiérarchie militaire ; mais à la fraîcheur et à l'innocence du jeune chirurgien font écho le désespoir gouailleur, le désenchantement amer des hommes du rang qui travaillent et meurent sous ses ordres. Les portraits de ses soldats ordinaires, tous issus des classes populaires, font d'ailleurs partie des réussites éclatantes de L'Ambulance 13. Ces gens ont dans la bouche le français argotique d’alors, qu’un excellent travail linguistique des auteurs fait sonner authentique plutôt que pittoresque ; ils possèdent une épaisseur, une vérité, une humanité qui rendent attachants jusqu'aux moins mis en scène d'entre eux.
Enfin, la ligne claire d'Alain Mounier et les couleurs de Sébastien Bouet font merveille pour rendre compte efficacement des carnages, exprimer la désolation des champs de bataille balafrés de tranchées sans que le spectacle devienne insoutenable pour le lecteur, reconstituer avec justesse costumes, objets et décors d'alors.
Dans cette période où les séries historiques semblent trouver une audience débordant celle des seuls amateurs de BD, L'Ambulance 13 a tout pour devenir un classique : la rigueur de la reconstitution, des personnages forts, du romanesque, un climax réussi à la fin de chaque album.
(Chronique réalisée pour le Bandes Annonces n°17 (juillet-décembre 2012), le magazine promotionnel des éditions Bamboo pour leur collection Grand Angle.)