Début du siècle dernier. Depuis la disparition du navire Leviticus il y a 10 ans, les 12 survivants du drame se retrouvent le 20 décembre de chaque année. Mais tous les ans, l’un d’eux manque à l’appel et leur nombre se réduit toujours plus. À présent, ils ne sont plus que trois et c’est le cœur lourd que Houston Crown attend les deux autres rescapés chez lui ce soir-là. Mais quand arrive le premier d’entre eux, Cromwell Stone, épuisé après des jours d’une fuite éperdue, celui-ci commence à faire des révélations terrifiantes…
Ouvrir un récit original sur une citation de Howard P. Lovecraft (1890-1937) en exergue place d’entrée de jeu la barre assez haut : on ne se frotte pas à une telle personnalité sans risquer une comparaison pas toujours bienvenue. Car on trouve une différence de taille entre le travail d’Andreas et celui du Maître de Providence puisque ce dernier s’exprimait à travers une forme écrite pour le moins avare en descriptions alors que le premier fait de l’image son premier moyen d’expression… Toute la question consiste donc à savoir si le passage d’un média à l’autre se fait sans trop de heurts. J’estime pour ma part la transition réussie, notamment en raison d’une utilisation experte de la carte à gratter couplé à une maîtrise rare de la composition.
Quant au récit lui-même, il s’articule autour des procédés narratifs classiques de ce genre de l’horreur mâtiné de fantastique et de science-fiction qu’on trouvait dans ces pulps d’il y a un siècle où, justement, Lovecraft publia certains de ses écrits. Commençant par une narration du personnage principal, Cromwell Stone, adressée à un second protagoniste, Houston Crown, l’histoire révèle peu à peu ses différents mystères qui s’emboiteront les uns dans les autres jusqu’à donner au lecteur une vision de cet univers où l’humanité se trouve confrontée à des êtres pour lesquels le plus intelligent des hommes ne signifie pas plus que le plus intelligent termite. Ou quelque chose comme ça.
Si le fond comme la forme se veulent donc plutôt classiques, c’est sans compter avec cette alchimie bien particulière qui lie ces deux aspects en un tout supérieur à la somme de ses composants : alors que se tapiront dans les zones noires des images ce que l’imagination du lecteur voudra bien y mettre – une technique graphique toujours redoutable, héritée de l’école hollandaise du clair-obscur –, des horreurs comparables surgiront d’autres zones d’ombre, plus subtiles à leur manière – celles du récit proprement dit.
Pour cette raison, Cromwell Stone s’avère vite bien moins simple qu’il en a l’air, même si dans le fond il s’agit avant tout d’une double performance technique. Mais une prouesse qui repose sur l’imagination et la créativité du lecteur en l’encourageant ainsi à participer au récit comme à sa représentation.
C’est bien là une marque propre aux œuvres d'exception.