Entre les formats de récits étriqués, préformatés au point d’apparaître usinés, et une relative connaissance de ce qui se répand en mangas depuis quelques temps, les jonctions s’établissent d’elles-mêmes. Je peux voir, dans une œuvre faite de celle des autres, d’où les pièces détachées ont été arrachées. Nakatake Shiryu qui, par sa seule composition, vous inspirera le plus profond mépris pour ce qu’il vaut comme qu’artiste et plus encore comme hominidé, est un wannabe Tatsuki Fujimoto, mal inspiré des exhalaisons encrées et méphitiques venues l’enivrer suite à sa lecture de Rainbow. Le tout, pour aboutir à une version plus sanglante – mais aussi plus débiles – de Code Breaker avec quinze ans de retard. Au menu, du gore bêtement outrancier et tape-à-l’œil qu’on aura imbibé d’une dramaturgie adolescente et immature. Préparez les sacs à vomi. Préparez-les non pas parce que vous serez choqué d’un contenu dont la saleté ne sera répandue que pour la finalité de l’être, mais parce qu’un auteur de si mauvais goût, tapageur attardé, vous gratifiera d’un festival mis en scène par un petit sadique mesquin ; un qui de toute évidence, ignore ce qu’est la violence pour nous la rapporter si inconséquemment.


Des auteurs qui, lorsqu’ils vous parlent violence ; lorsqu’ils vous la crachent à pleine page, savent démontrer la maîtrise de leur propos, il y en a. De Shigurui à Ichi the Killer en passant par Shamo, les plongées abyssales dans les eaux opaques de la brutalité humaines offrent aux mangakas quelques panels variés où y sévit une violence bien à propos. Une violence ici tournée en parodie malgré elle, banalisée au point d’être vidée de toute substance concrète.

Si Juujika no Rokunin s’était au moins contenté de rapporter ses élans de sadisme mesquins en quelques gerbes de sang excessives, qu’il s’en était seulement tenu à du Übell Blatt, j’aurais expédié l’affaire d’un revers de la main. Il a cependant fallu qu’il force le trait, qu’il insiste et qu’il persiste ; qu’il invoque l’ire des gens de bon goût.


Ici ? Les méchants sont très méchants. Vous savez, avec ces sourires démoniaques si galvaudés que vous les aurez vu un million de fois ailleurs ? Des petites brutes de douze ans harcèlent un camarade d’école au point de tuer ses parents et de s’en gausser. Si vous croisez la crédibilité du récit au détour d’une page, passez-lui le « bonjour » de ma part ; car la malheureuse, je le crois, fuit le lecteur comme la peste.


Les personnages sont cruels parce que. Ce qui est une raison amplement suffisante lorsque l’on est un vicieux qui, une main sur le paquet et le crayon dans l’autre, cherche à créer du contenu violent en n’aboutissant qu’à quelques chiures puériles sous couvert de contenu perturbant.


Trois chapitres ; il aura fallu trois chapitres d’ici à ce qu’un violeur sorte des fourrées et justifie qu’il soit châtié promptement. Oh la ficelle mitée que voilà. Et c’est encore le moindre mal dont vous serez spectateur et victime à force de laisser glisser vos yeux le long des planches de Juujika no Rokunin. Des atrocités commises en série, vous n’en serez jamais choqué en dépit du déballage infantile de gore ; vous serez davantage chagriné par l’immaturité flagrante d’un auteur qui se pense irrévérencieux alors qu’il n’est que lourd et grossier.


Le chevalier noir – car il est dark, comprenez-vous – viendra toujours au secours de sa demoiselle en détresse, Chizuru. Celle-ci, avec la jugeote d’un lemming en bord de falaise, se jettera sans cesse entre les pattes des criminels les plus cruels qui soient. Je n’ai jamais vu des femmes autant en danger depuis Kekko Kamen. Il faut dire qu’ils sont partout, ces malandrins. Mettez un coup de pied dans la première avenue de Tokyo qui vous vient à portée de pied, de ces criminels cruels, il en tombera apparemment treize à la douzaine. C’est vrai que le Japon est réputé pour son environnement criminogène endémique. On parle d’un pays où les braqueurs demandent poliment au caissier s’il peuvent voler et où les criminels les plus notoires sont des excentriques qui échangent des selles de vélo avec des brocolis. L’Enfer sur Terre, chacun en conviendra. Quel panorama authentique et vraisemblable que celui que nous dessine l’auteur.


En manque de sensations fortes dans un pays où le sadisme d’un adulescent frustré ne trouve pas son juste exutoire, Nakatake Shiryu laissa donc libre cours à une imagination dont les bornes se confondent avec la ligne de départ. Demandez à un enfant de six ans d’envisager les pires tortures imaginables selon lui, prenez un crayon : vous fous ferez ainsi l’auteur de Juujika no Rokunin.


Et l’incurie se poursuit avec sans cesse plus d’insistance. Un plat– surtout avec des ingrédients aussi frelatés – s’affadit sans cesse davantage à mesure qu’on ne mange que ça. Alors, pour repousser la transgression – ou ce qui s'accepte comme telle – sans cesse plus loin, la surenchère débilitante sera le moteur même de l’œuvre qui nous concerne ; de l’œuvre qui nous consterne. De même qu’un Junkie, pour se pourrir la viande, a besoin d’augmenter peu à peu les doses du fait de l’accoutumance s’il souhaite continuer éprouver quelque chose, Nakatake Shiryu, à force de banaliser ce qu’il souhaite scandaleux, doit constamment pousser l’immaturité de son sadisme petit-bras vers des strates plus élevées. Et cela, jusqu’à l’overdose.


Alors ça crie dans tous les sens, ça fait des gueules de méchant à chaque case et on secoue les bras dans tous les sens d’ici à ce que la prochaine séance de torture ait cours. Des viols comme s’il en pleuvait, éplucher la peau d’un supplicié, insérer des dispositifs pour infiltrer l’anus ou l’urètre, faire boire du détergent, des dispositifs pour faire sauter les ongles, une machine pour écarteler, un bassin de crevettes-mantes, un engin qui relie l’anus à la bouche ; autant de sévices dépourvus d’imagination se succéderont au gré des tomes pour mieux nous faire bâiller et soupirer de consternation tant tous ceux-ci sont déballés avec une immaturité crasse. Naturellement, notre protagoniste, jamais, n’aura à assumer ses meurtres auprès d’une quelconque instance. Vous l’apprendrez, le Japon est un pays où la police n’est présente nulle part et où les tueurs et violeurs en série y pullulent peut-être par millions.


Je pourrais vous dire que c’est un festival de débauche, mais même les bacchanales les plus sordides avaient au moins quelques soupçons de grandeur en dépit du sordide que suggère la décadence. Même la bassesse humaine pouvait s’avérer flamboyante pour peu qu’on eut de la suite dans les idées. Juujika no Rokunin n’a même pas ce semblant de mérite. Son auteur est au marquis de Sade ce que McDonald est à Bocuse ; la junk food du sadisme pour arriérés.


Le résultat s’avère autrement plus bête qu’il n’est méchant. Pas une bêtise maladroite et touchante, mais une stupidité exaspérante telle qu’on n’en retrouve que chez des freluquets mal dans leur peau. Le présent manga suinte la frustration des désirs mesquins de son auteur… c’est aussi flagrant que c’en est pitoyable. Mais plus pitoyable encore, il se sera trouvé ses lecteurs pour se pourlécher de ces immondices afin qu’elles se poursuivirent durant plusieurs années. J’interprète ça comme un désir inconscient de leur part ; le souhait inavoué d’être eux-mêmes torturés de pareilles façons pour ne pas voir un ersatz de bon goût à faire valoir. Oui, décidément, savoir que pareil lectorat existe, à moi aussi, pourrait me suggérer quelques idées noires comme celles venues tapisser les pages Juujika no Rokunin.

Josselin-B
1
Écrit par

Créée

le 15 oct. 2024

Critique lue 50 fois

3 j'aime

Josselin Bigaut

Écrit par

Critique lue 50 fois

3

Du même critique

Hunter x Hunter
Josselin-B
10

Éructations fanatiques

Nous étions le treize avril de l'an de grâce deux-mille-six, j'avais treize ans. Je venais de les avoir à dire vrai ; c'était mon anniversaire. Jamais trop aimé les anniversaires, il faut dire que je...

le 20 juil. 2020

61 j'aime

159

L'Attaque des Titans
Josselin-B
3

L'arnaque des gitans

Ça nous a sauté à la gueule un jour de printemps 2013. Il y a sept ans de ça déjà (et même plus puisque les années continuent de s'écouler implacablement). Du bruit, ça en a fait. Plein, même. Je...

le 8 avr. 2020

34 j'aime

60

Monster
Josselin-B
10

Critique sans titre pour un Monstre sans nom

Il s'agit là du premier dix que je suis amené à délivrer pour une des œuvres que je critique. Et je n'ai pas eu à réfléchir longuement avant d'attribuer pareille note ; sans l'ombre d'une hésitation...

le 17 janv. 2020

33 j'aime

14