Crows
7.3
Crows

Manga de Hiroshi Takahashi (1990)

Y’a eu une mode du Furyo. Même que certains, plus ou moins récemment, ont cherché à la remettre au goût du jour, tendance vintage si on peut dire. Et de quoi elle était partie cette mode ? Des bôsôzokus. J’en ai parlé maintes fois – à chaque Furyo qui me passait entre les mains – les Bôsôzokus, entre le milieu de la décennie 1980 et le milieu de la décennie 1990, ça avait du cachet. Des délinquants à motos avec des coupes de cheveux improbables et des combinaisons pour marquer leur appartenance à un gang, à bien y renifler, ça avait des fragrances de légende. Autant dire qu’il y avait matière à créer des œuvres inspirées de leurs méfaits. Car qu’on se le dise, les méfaits, ces gens-là, ils en étaient coutumiers. Parce qu’à faire les cons en moto et à se castagner dès qu’une occasion se présentait, ces gens-là représentaient une menace. Leur popularité du mouvement se sera alors tarie à mesure que la police aura jugulé leurs tendances destructrices.


Aussi, de même qu’il y a eu en France une tentation de glorifier le voyou, ce bandit au grand cœur, dans le cinéma des années 1960-1970, les mangakas se seront faits des chroniqueurs panégyriques de tout ce que le Japon comptait de petits cons à deux roues. Ce courant, on l’a appelé Furyo, du même nom que la délinquance Bôsôzoku passive. Parce qu’il y avait les vrais bôsôsokus, en gangs, combinaisons et à moto, et puis il y avait ceux qui s’inspiraient un peu de la mode, mais sans en être. C’étaient les furyos, des petits délinquants lycéens qui adoptaient le code vestimentaire des vrais caïds. Pour ceux qui, comme moi, sont nés au début des années 1990, la mode Furyo, c’était un peu comme la mode des « skaters ». On mettait des baggys, des survêts large à capuche, on portait des Vans, on écoutait du Slipknot... mais on faisait pas de skate. Les Furyos, c’étaient un peu ça ; des bôsôzokus sans moto, des chevaliers sans destrier perdus sur les sentiers d’une violence sourde.


Et la violence, mes bon amis, ça fait vendre. Surtout dans le milieu du Shônen chez qui les gnons et autres bastonnades auront garni le fond de commerce. Alors, les Furyos, il s'en sera trouvés pas mal d’auteurs pour capitaliser dessus. Parfois pour s’amuser de cette jeunesse désœuvrée entre deux règlements de compte ; c’est le cas de Shônan Junaï Gumi, Angel Densetsu ou encore de Racaille Blues ; des mangas qui offraient une vision parfois un peu trop flamboyante et fantasmée d’une délinquance qui, si elle ne méritait pas tant d’égards, redorait leur blase. Mais il y a aussi eu des mangas – un seul à ma connaissance – qui ont relaté l’ère des Bôsôzokus comme on narre un documentaire qui se serait embarrassé d’un protagoniste. Là, il fut moins question de lyrisme bagarreur et d’humour gras puisqu’une réalité plus honteuse et authentique s’exhibait alors.


Crows ? C’est dans la même veine que le Furyo moyen de cette époque ; mais sans qu’on lui trouve ses lettres de noblesse pour écrire son épitaphe. Le Furyo, comme genre manga, ça a été un filon. Et comme pour tout filon, en pleine ruée vers l’or, on retrouve des prospecteurs moins scrupuleux que d’autres. En ce temps-là, si on voulait percer dans le milieu de l’édition manga et qu’on n’avait pas une idée à soi, le Furyo, c’était encore la solution de facilité. Cette même facilité à laquelle se sera adonnée Hiroshi Takahashi. Un peu à la manière d’un Akira Miyashita qui, avec un Furyo surréaliste pour ce qui est de la puissance de ses personnages, a fait toute sa carrière sur une seule œuvre déclinée en centaines d’autres, Takahashi aura juché sa carrière d’auteur sur un manga écrit et dessiné par opportunisme pour rançonner une gloire bien mal méritée.

Preuve en est que ses seuls autres titres sont clairement tirés de la même veine : celle de petits caïds qui se bastonnent à l’école ou en dehors.


Crows est le Canada Dry du Furyo. Il reprend la recette de base, mais ne fait rien pour se distinguer de la concurrence. Reste alors, sur le papier, un manga écrit sans inspiration. Là où Shônan Junaï Gumi et Angel Densetsu nous auront fait rire avec des gags et des personnages hauts en couleurs, quand Racaille Blues nous aura ébahi le regard du fait du dessin et de la réelle violence contenue dans ses pages, Crows ne s’illustre en rien. Ses protagonistes, quand ils ne sont pas transparents, sont lourds, ankylosés qu’ils sont par un humour qui n’en est pas un et qui ne repose son ressort comique rouillé que sur la balourdise. Bouya Harumichi est un insupportable pitre qui ne fait pas rire et qui fait pourtant tout pour chercher à nous dépouiller d’un sourire coupable. Mais un sourire qui ne viendra jamais. Je crois que je ne pourrai pas mettre suffisamment emphase pour vous dire à quel point ce que j’ai lu ici n’était pas drôle. On peut par exemple dire à quel point il y a du vent, mais on peine davantage à expliquer à quel point il n’y en a pas. Crows est vraiment un Shônan Junaï Gumi dont les personnages sont plus caricaturaux que jamais et où l’humour – cherchant pourtant désespérément à s’accomplir – y est magistralement déficient.


Furyo oblige, tous les sentiers mènent à la baston. Moins celle-ci sera bien justifiée, et mieux elle trouvera ses droits dans l’intrigue. Avec, toujours, ce vivier intarissable de nouveaux personnages qui se déversent un peu plus tome après tome. Il eut pourtant été plus avisé de s’en tenir à un noyau dur de protagonistes plus compact et développé que de toujours sortir un nouveau lapin mort du chapeau. Mais pour cela, encore eut-il fallu être consciencieux et écrire un manga parce qu’on en a eu l’idée, et pas parce qu’on a voulu profiter de la mode du moment.


Des enjeux, il n’y en a jamais, rien qu’un ramassis de couillon venus se castagner pour la finalité de ce faire. Ils ont tous un territoire ces gens-là, mais pour quoi en faire ? La rivalité ne tient pas debout. Et tout ça pour aboutir à quoi ? À ce que tout ce petit monde rentre dans le rang après s’être distribués des pains sans raison particulière ?… Techniquement, si on y réfléchit, c’est bien ce qu’il s’est passé en vrai. Un bon point pour l’auteur. La fin, à ce titre, est assez déprimante même si elle fut entonnée sur un air joyeux. Refuser de grandir et se fourvoyer dans ces histoires stériles de combats entre jeunes pour une année encore… il faut savoir quand raccrocher les gants pour conserver sa dignité. Cette remarque vaut pour Harumichi, mais aussi pour l’auteur qui aura cherché à le ramener à la vie sous divers autres avatars à travers ses œuvres suivantes.


Le Furyo, sans avoir touché à tout ce qui s’est fait, je pense en avoir aujourd’hui décliné toutes les nuances – d’autant qu’il n’y en a pas beaucoup. Crows aura résonné dans mes oreilles comme le chant du cygne d’un genre éditorial en fin de vie ; la preuve par quatre que, le Furyo, à l’aune des années 2000, était mort et révolu. Ainsi, Crows aura été la dernière vague d’un océan qui se sera asséché d’être trop exploité. Eh puis, tout ayant déjà été dit sur le sujet, c’était manquer de tact que de seulement vouloir en rajouter comme l’a fait l’auteur, surtout quand celui-ci n’avait rien à dire. Sans arriver à contre-temps, l’œuvre arrivait à la fin d’un cycle et s’épanouissait sous les stylos d’un auteur qui écrivait sa partition sans conviction. Crows, malgré sa jovialité d’apparat, nous frappe par son usure ; par sa fatigue qui l’empêchera même de se renouveler et de faire peau neuve là où un Tôru Fujisawa, même en usant des protagonistes de son précédent Furyo, sera cependant parvenu à opérer une transition géniale vers un style mieux approprié à son époque, plus adapté à la jeunesse d’alors qui avait bien changé. Lui était parvenu à ne pas rester bloqué sur sa gloire passée… jusqu’à Shônan 14 Days

Tout ça pour dire que si Crows a un mérite… c’est qu’il vous donne envie de relire d’autres Furyos plus méritants que lui après qu’on ait attardé son regard sur ses planches.

Josselin-B
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le 4 août 2024

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Josselin Bigaut

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