D.Gray-man
6.6
D.Gray-man

Manga de Katsura Hoshino (2004)

L'Ancien Testament - Édition japonaise

Ne laissez jamais une Bible entre les mains de Japonais. Quand ils ne s'en servent pas comme prétexte pour une affaire de mécha, ils brodent dessus avec de la mystique au format pop-corn. Sans non plus trop forcer le trait sur ce point, Katsura Hoshino penche néanmoins du côté de la deuxième catégorie.


Tout part de l'idée d'un pacte faustien. On combat les Akumas, des créatures artificiellement crées par le Comte Millénaire - figure du diable toute trouvée - à partir du désir des endeuillés de ramener à eux des êtres chers. Akumas qui seront par la suite amenés à évoluer pour gagner en puissance et offrir des versions plus redoutables. Non. L'originalité ne sera pas au rendez-vous. À la croisée des chemins entre Hellsing et Bleach dans son propos de départ, inspiré de Full Metal Alchemist pour le fond, D. Gray Man sert quand même sa soupe dans une vaisselle propre. Les dessins se voulaient par endroits assez sombres dans ce dix-neuvième siècle uchronique mais moins encore que dans ma mémoire. Le ton et le trait restent très propres à un Shônen contemporain. Ces dessins ne manqueront pas - comme tout ce qui se fait actuellement en la matière - de s'édulcorer afin de céder à la mode des traits épais, lisses mâtinés de tons clairs. Les rares séquences sombres des débuts n'étaient finalement pas clairement assumées.


La tiédeur du personnage principal en revanche ne date pas d'aujourd'hui. Aucune caractéristique réellement notoire ne ressort d'Allen Walker. Gentillet, au mieux. Du reste des protagonistes, il faut en espérer autant. Entre la fille mignonne et innocente et le ténébreux qui joue au caïd pour dissimuler une blessure secrète, nous sommes en terrain connu. Trop connu. Rien d'original donc rien de nouveau. Je n'ai vu que des poupées froides aux mécanismes sommaires, des automates programmés pour répondre à tous les poncifs du Shônen dans lesquels ils étaient immergés. Quand, au terme d'une lecture, je n'arrive pas à retirer un personnage que j'apprécie ou que je hais plus que les autres, cela tient généralement au fait qu'ils soient tous d'une fadeur insigne. Certaines figures en principe notoires tels que les généraux Socalo et Cloud n'auront même quasiment aucune exposition à leur actif. La négligence dans toute sa splendeur.
Lorsque l'on sait que, de toute manière, exception faite du noyau dur, les autres personnages principaux seront gentiment abandonnés sur le banc de touche après l'arc de l'arche de Noé, on finit par se faire à l'idée qu'Hoshino n'a jamais eu l'intention de rendre ses personnages appréciables auprès du lecteur. Pensez donc, les histoires de la famille des apôtres sont autrement plus importantes à mettre en scène que le développement des protagonistes du manga.


En fait non. Pas du tout.


Démons de différents niveaux, histoires d'expériences secrètes sur les humains, création de combattants hybrides pour combattre les adversaires... tout cela est si convenu qu'on se surprend à deviner le contenu du chapitre suivant à la case près. Les antagonistes sont motivés par des desseins pour le moins nébuleux pour ne pas dire absents. À ce stade, difficile d'en extraire le moindre enjeu digne de ce nom.


Les combats ne contribueront certainement pas à rattraper les carences patentes parsemant D. Gray Man. On eut pu espérer sous la plume d'une femme un semblant de raffinement, de charme, de tact, de subtilité même. En vain. Les combats sont bourrins, aucun pouvoir à l'exception de celui de Miranda ne s'extirpent des canons de la violence sourde. Toutes ces agitations ne servant aucun propos véritable la plupart du temps et ne se distingueront ni par leur intensité et encore moins par la portée de leurs enjeux. «Inattendu», voilà un mot à bannir de votre vocabulaire lorsque vous vous engagez dans la lecture de D. Gray Man. Certains se sont plu à draper ce Shônen d'une aura qu'il n'avait pas. Ça a beau être moins épidermique et agité que le Shônen moyen, ça n'en reste pas moins une œuvre basique et dépourvue de la moindre ambition tangible.


Effectivement, ça se laisse lire. Contrairement à bon nombre de ses semblables - car ce Shônen est pareil à tout autre - D. Gray Man ne m'a pas rebuté avant un certain temps. Ni palpitant, ni décevant, nous nous situons quelque part dans les limbes du monde du Shônen. Rien d'original ou de marquant à répertorier mais rien qui ne vaille non plus d'être dépeint comme lamentable. Incapable de me faire hausser un sourcil de surprise ou même de me faire sortir de mes gonds, D. Gray Man se veut au final un Shônen quelconque. Ce qualificatif est peut-être plus infamant encore que celui de «médiocre» car il suppose que l'œuvre n'a clairement aucune saveur. Même un nanar du manga peut avoir son charme tant il est ridicule. Sans piquant, sans même un sens du vivant, D. Gray Man est un astre mort. Un peu plus haut perché dans les cieux que ses semblables, il ne brille cependant que d'une lueur terne qui ne saurait capter le regard.


L'émotion, Hoshino aura du mal à nous la suggérer. Dans cette guerre à mort entre la Congrégation de l'Ombre (organisation assez peu définie s'il en est) et les Akumas du Compte Millénaire, on ne retiendra que la mort de figurants. Aussi impuissante à l'idée de tuer un protagoniste qu'un membre de la famille des apôtres, Katsura Hoshino ne fait rien avancer, piégée qu'elle est par son excessive précaution à vouloir protéger tous ses personnages de la mort.
Le destin de Suman eut pourtant été autrement plus pesant pour le lecteur si celui-ci avait connu ne serait-ce qu'une case d'exposition avant de subir les bénévolences douteuses du Compte Millénaire. Il en va de même pour la mort de Daisya ou de Tapp.
Avoir peur de tuer ses personnages dans une intrigue impliquant une guerre totale est une forme de frilosité indue. Un manque de courage en tant qu'auteur. Le lecteur a besoin d'être brusqué pour ne pas qu'il somnole et je puis vous assurer qu'à ce titre, je suis ressorti de ma lecture très reposé.


Le ressort tragique ne sera amorcé efficacement qu'une fois. On a appris à apprécier des personnages secondaires qui nous quittent une fois le trajet jusqu'à Edo accompli. L'emploi du pouvoir de Miranda pour rendre leur disparition plus soudaine encore était finement joué. Voilà un exemple qui aurait gagné à être renouvelé. Malheureusement, cette parenthèse heureuse ne constituera qu'un épiphénomène dans l'agencement de la trame. La première et dernière surprise dont saura nous gratifier D. Gray Man.


Rapidement et sans trop d'interruptions, les arcs s'enchaînent. Un recrutement, un voyage... même une énième resucée de l'arc du sanctuaire de Saint Seiya avec l'antienne coutumière des protagonistes restant tour à tour derrière pour s'occuper d'un ennemi afin que les autres puissent avancer. Le procédé est ampoulé mais loin d'être brillant.


Enfin, la quiétude de ma lecture sans remous s'achève. On nous introduit «le Quatorzième». Car bien sûr, les choses ne pouvaient être telles qu'elles apparaissaient être jusqu'à maintenant. Non, il fallait impérativement qu'une histoire cachée surgisse de sous le boisseau. Paraît-il pour gagner notre intérêt.
À l'usure, j'en viens à me demander combien de Shônen et affiliés - car la frontière est poreuse avec certains Seinen - publiés au cours des deux dernières décennies n'ont pas eu recours à ce procédé scénaristique visant à générer une intrigue ex-nihilo sur le tard. Très peu, je le crains. C'est bien simple, j'ai le sentiment de lire et relire la même révélation de dernière minute de Shônen en Shônen. Il s'agit là d'une manœuvre douteuse ; celle du dernier atout dans la manche d'une auteur aux abois qui ne sait manifestement pas se renouveler autrement qu'artificiellement. En clair : le chant du cygne. Plus spécifiquement, d'un cygne qui se serait étranglé avec ses propres glaires et qui nous les tousserait à la gueule jusqu'à sa mort qu'on espère prochaine.


Serait-ce trop demander que de vouloir un Nekketsu où le personnage principal ne soit pas un élu ou le descendant d'une lignée prestigieuse et cruciale à l'intrigue ? Un héros qui ne doit rien à son ascendance, sa destinée ou à un ersatz de démon renard (car c'est ce qu'est le Quatorzième pour Allen, ne nous voilons pas la face) mais plutôt à son mérite, ça aussi c'est pas mal. Non. C'est même mieux. Infiniment meilleur. Ça changerait, surtout.


Toute cette affaire macère dans son jus sans jamais se digérer. Car, du début du manga à là où en est la parution actuelle, foncièrement, rien n'a changé. Une stagnation perpétuelle qui se complaît dans la sclérose et le statu quo. Je n'ai pas même le sentiment que les protagonistes aient évolué en terme de puissance, le rendu de leurs combats étant toujours sensiblement le même. Pas de menace réellement planante ou croissante de la part des antagonistes non plus. La Congrégation gagne toujours ses combats de toute manière, pourquoi s'inquiéter ? Comment s'inquiéter ? Sans enjeu ni pression d'aucune sorte, comment même s'intéresser à la situation en cours ?


Conséquence prévisible du manque d'imagination de l'auteur, surviennent bien assez tôt les hybrides humains-akuma créés en laboratoire. J'ai lu cette parodie de scénario tant et tant de fois que je me demande si je n'ai pas lu que ça depuis vingt ans. Le procédé de l'hybride est courant, quasi perpétuel dans les Shônens de cette nature. Je propose de baptiser le concept de vizardisation. Mais le choix est permis, car ce ne sont pas les exemples en la matière qui manquent. Hélas.


La suite vire évidemment au foutoir illisible. Alma sort de nulle part dans l'intrigue (des fois qu'on n'ait pas suffisamment soupé de rats de laboratoires humains), Néah surgit du néant pour finalement en imbiber le reste du manga ; j'y vois là les ultimes convulsions d'une œuvre à l'agonie qui demande à ce qu'on l'achève. L'affaire n'a effectivement duré que trop longtemps. Pour ceux qui suivent assidûment la parution (dont je ne suis pas), les pauses de l'auteur sont interminables. Interminables et injustifiées. Il est aisément compréhensible qu'on puisse attendre des mois et des années pour un chapitre de Hunter x Hunter, Berserk ou Sunabozu, mais certainement pas pour D. Gray Man. La créature souffreteuse que Katsura Hoshino aura exploité jusqu'à en tirer le dernier rendement demande grâce. Qu'on la lui accorde.


Lorsqu'on en est réduit à nous faire passer les origines communes de Néah et du prétendu Compte Millénaire comme des révélations capitales, c'est que l'on n'a pas compris les enjeux initiaux de sa propre intrigue. Que le Compte Millénaire soit la fusion de Mana et Néah ou même de deux nains dans un costume n'a, pour la trame, strictement aucune importance. Qu'Attila ait des origines orientales ou belges ne change rien aux méfaits qu'il prodigue. Cette histoire de quête identitaire menée d'une main d'infirme ne sert aucun motif. Du drame à pas cher. De la télé-novela. Voilà à quoi on en est réduit.


Et tout ça pour quoi ? Apprendre que les méchants veulent détruire le monde ? Vingt-six tomes pour une fausse-couche, c'est long la désillusion. Néanmoins, ce serait injuste de parler de déception ; car pour décevoir, il faut avoir suscité la confiance en premier lieu. Or, D. Gray Man ne m'a jamais laissé la moindre impression d'aucune sorte et ce, depuis son premier chapitre. C'est une œuvre éteinte, terne et blafarde, un Nekketsu qui, malgré le maquillage du début s'avère confondant de banalité et dépourvu d'énergie. Dans chaque chapitre, on y digère le néant dans une apathie constante et ronflante. À ne pas savoir quoi faire de ses personnages ou du scénario, Hoshino trépigne sur place et, ce faisant, creuse la tombe de son œuvre sans le savoir. Après tant de négligence, à ne pas savoir s'en occuper comme il le fallait, elle a fini par avoir sa peau. Qu'enfin elle se rende à l'évidence et l'enterre ; laisser son cadavre encore exposé depuis si longtemps est franchement indigne.

Josselin-B
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le 19 avr. 2020

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Josselin Bigaut

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