C’est un plaisir immense de renouer – en bien tout honneur – avec Q Hayashida. Avec ses dessins d’abord, et l’atmosphère de ses œuvres ensuite. Une atmosphère à même de dépeindre les ténèbres leurs affres sans même une once de concession, dans tout ce qu’elles ont de plus rebutantes – et donc de plus alléchantes – tout en parvenant à les faire apparaître comme pittoresques malgré la terreur qu’ils persistent à nous inspirer. Dans les œuvres qui en font mention, l’horreur n’est que rarement éthéré si ce n’est jamais ; c’est néanmoins ce sentiment qui suinte sans peine le long des pages de Dai Dark, et cela, au milieu de corps calcinés entre autres délicieuses abominations graphiques. Avec Dai Dark, l’auteur ne déroge en aucune façon à ce qu’elle avait institué le temps de Dorohedoro. Le cadre dans lequel évolue ce nouvel univers change, mais pas tellement.
Cet environnement spatial absurde et noir, délectable par ce qu’il délivre au lecteur, marchera implacablement sur les platebandes de En. Le monde magique et sombre que l’on avait connu alors a été remodelé pour la circonstance ; mais on jurerait ne jamais l’avoir quitté depuis notre dernière lecture de Dorohedoro. Les dessins y sont pour beaucoup alors qu’un style graphique aussi unique s’est imbibé dans l’œuvre initiale de son auteur et ce, au point de s’y amalgamer. On ne voit que ça. Le fait que tous les personnages ou presque portent des masques n’aide en rien à distinguer les deux ouvrages. Notez que ce qu’on lit n’est pas déplaisant au regard, mais chaque trait parcouru par notre rétine ne pourra pas nous rappeler autre chose que Dorohedoro. Hayashida nous rapporte ici quelque chose de nouveau sans pour autant être parvenue à se renouveler.
Je peine à croire qu’il m’aura fallu attendre d’avoir cette deuxième composition de madame Hayashida entre les mains pour enfin prendre en compte l’une de ses inspirations majeures. Hellraiser, enfin. Hellraiser à tous les étages, mais en parvenant toutefois à s’émanciper bien assez de Clive Barker pour fonder un style foncièrement original. J’ai honte de le dire… mais le fait que Dai Dark se passe dans l’espace m’aura rappelé les tristes heures de Hellraiser IV pour enfin susciter chez moi une révélation.
S’il faudra un temps – un court temps – pour se départir du sentiment de s’en être retourné sur les traces de Kaiman, le souvenir de cette lecture passée, peu à peu, s’estompera. Malgré un style graphique trop analogue au point d’être constitutif des deux univers qu’aura dépeint l’auteur, celle-ci, par l’emploi un huis clos relatif alors que les protagonistes restent résolument ancrés dans un vaisseau, établit ainsi un nouveau terrain où l’intrigue, à mesure qu’elle se familiarise avec, dégage une nouvelle atmosphère. Le procès en similitude peut être fait à Dai Dark, mais à ses débuts seulement.
La narration, sans pouvoir être non plus qualifiée d’expérimentale, a quelque chose d’inconventionnel qui déroute tout en intriguant. Aucun objectif n’est défini aux personnages principaux qui, en un sens, ne sont jamais vraiment présentés. Cette manière de procéder enjoint le lecteur à vouloir les suivre plus volontiers pour mieux comprendre d’où ils viennent et où ils vont. Dans l’aventure Dai Dark, on s’y lance sans trop savoir où l’on va ou sans trop comprendre pour quelle raison on chemine, mais on se plaît à cavaler derrière l’intrigue tant elle paraît prometteuse de promesses induites.
L’univers, même s’il se construit et se définit un peu plus à mesure que se poursuivent les chapitres, reste néanmoins nébuleux. Qu’on ne s’y trompe pas, ce n’est pas parce que Dai Dark opère dans l’espace que nous frayons ici avec de la science-fiction. L’occulte y a la part belle et même quasi-exclusive ; un sens de l’occulte évidemment macabre et folâtre se trouve énoncé comme le contenu du Necronomicon depuis la bouche d’un nouveau-né. Quand on trifouille parmi les tripes qui pleuvent à verse avec une frivolité confondante, on y retrouve comme des bribes d’innocence. Finalement, Dai Dark, comme pouvait l’être Dorohedoro, est un récit onirique ; un conte pour enfants remanié pour n’être accessible qu’aux adultes. À des adultes pour qui le sordide et l’allégresse se marient admirablement bien quand on y met les justes ingrédients ; ce qu’accomplit madame Hayashida avec maîtrise et minutie.
Quand enfin le scénario se précise, ce n’est que pour mieux rappeler à nous celui de Dorohedoro. De même que Kaiman recherchait le sorcier qui avait modifié son visage, Sanko court après celui qui l’a maudit en réclamant ses os en échange d’un vœu accordé à celui qui les lui arracherait. Une infortune pour le moins inconvenante quand l’univers entier connaît votre identité.
Dorohedoro encore, Dorohedoro toujours, Shimada nous apparaît comme une fusion de Noi et de Nikaido. Chaque fois que l’on croit s’être démarqué de la précédente œuvre de Hayashida, celle-ci nous y replonge le museau à l’occasion d’une autre référence. Référence dont on ne sait trop si elle est volontaire ou bien occasionnée par le fait qu’elle n’ait pas su se renouveler en tout point.
Mais on se plaît à enchaîner les chapitres, bien que les personnages soient loin d’être aussi appréciables et charismatiques que du temps de Dorohedoro. L’univers se démarque cependant de celui des sorciers de par ses attributs. La visite au magasin, la séquence de cuisine, tous ces petits détails anodins – mais abondamment détaillés – contribuent à établir sous nos yeux un univers remarquablement construit où chaque case sont autant d’embryons d’originalité concentrés. De la science-fiction et du fantastique comme on n’en a jamais vu ailleurs, voilà qui contribue à faire rayonner l’aura d’un manga qui a bien plus que du macabre et du gore à nous transmettre.
Malgré les tentatives d’omission de Dorohedoro, le manga se rappelle à nous à chaque chapitre qui vient du fait de la construction du récit ou de l’apparence de ses protagonistes ainsi que de son univers. Les multiples et fréquentes contiguïtés font qu’un lecteur de Dorohedoro ne verrait que ça tout en appréciant néanmoins ce qu’il lit… mais bien moins qu’il le devrait alors qu’il saurait que tout cela, sous une autre forme, a finalement déjà été fait. Au regard du talent de Kyu Hayashida, Dai Dark manque cruellement d’ambition même s’il est lustré par du talent à l’état pur.
Au risque d’insister davantage au point même de m’acharner, Dai Dark est une nouvelle émule de Dorohedoro. Elle est plaisante à lire, mais elle n’est finalement que plaisante. Les personnages n’ont pas une aura aussi étincelante que ceux qui garnissaient l’œuvre précédente et, qui plus est, se distinguent péniblement de ces derniers. Ce qui s’apparente à une enquête est finalement loin d’être trépidant alors que tout ce que pourrait nous apprendre l’intrigue pourrait éventuellement nous interpeller sans jamais parvenir à nous surprendre.
Dai Dark a tant d’attraits viciés par le fait qu’il n’en a pas la primeur qu’on le dépréciera en conséquence. On l’appréciera néanmoins, mais la passion, à aucun instant, ne nous saisit à la lecture. Dai Dark, on peut l’aimer, mais on ne peut malheureusement pas l’adorer.