Darwin's Game
6.6
Darwin's Game

Manga de FLIPFLOPs (2012)

Vingt-six volumes, comme pour Btooom!. La comparaison est aisée dans la mesure où les deux figurent dans la même liste, sans compter que la survie y est évidemment placée bien au centre de l’intrigue. Darwin’s Game, je ne sais pas où le prendre en premier. Ce n’est pas qu’il soit si exceptionnel que je ne sache par où commencer, mais il a le défaut et l’avantage de ne rien me suggérer… tout en me le suggérant. La sensation est difficile à définir, mais elle m’amène à ne pas trouver de motif à me plaindre de l’œuvre à ses débuts – chose rare – mais sans trouver matière à me réjouir. En lisant Darwin’s Game à ses débuts, je ne saurais trop dire si j’aime ou non ce qui me parvient.


Les dessins sont bons mais, comme beaucoup trop de Seinens passés la décennie 2010, ils ont la fâcheuse tendance à être impersonnels. Je croyais reconnaître un style en le lisant pour finalement découvrir que le dessinateur ne m’avait jamais fait parvenir la moindre esquisse par le passé. C’est un dessin plaisant, détaillé, qui sert bien l’écriture du binôme chargé du scénario. Le duo atteint aisément la complétude alors que les styles s’harmonisent. Mais ce dessin, je le trouve pareil à d’autres sans lui trouver de caractéristiques distinctes. Il n’est pas banal, il est glacial ; pareil à un beau visage inexpressif auquel on peine alors à trouver du caractère. Et pourtant, il n’y a pas motif à s’en plaindre. C’en est quelque part frustrant car on ne sait trop quoi en dire.


Notez que mes tourments de pamphlétaire névrosé ne pèseront pas bien lourd pour le moindre lecteur potentiel de Darwin’s Game, alors que tous ou presque seront assurément conquis par ce qu’ils liront. Du moins pour ce qui est du dessin. Les phases de gore m’évoquaient parfois Jujutsu Kaisen pour la brutalité du trait et certains graphismes me ramenaient à ma lecture de Tokyo Ghoul. Ce sont en tout cas les seules proximités que je pouvais établir tant le style – pourtant qualitatif - évoque tout et rien à la fois.


Darwin’s Game s’inscrit dans un héritage, dans un registre même alors qu’il est un manga de survie auquel se mêlent un jeu macabre et une pointe de science-fiction pour justifier la mise en place du jeu. Les auteurs mentiraient éhontément s’ils niaient l’influence prépondérante qu’a pu jouer Gantz sur leur œuvre. On retrouve le même cocktail anxiogène dont les ingrédients nous seront rapportés parcimonieusement afin de ne pas lever le mystère. Le récit est incroyablement bien maîtrisé, les prémices captent immanquablement l’intérêt et pourtant, je ne sais trop quoi en dire. Peut-être Darwin’s Game a le démérite de ne nous parvenir que trop tard. Gantz est passé par là, mais d’autres aussi. Il manque peut-être au manga la primeur que l’on puisse escompter d’un bon Seinen de survie. Car les qualités d’un grand, Darwin’s Game, lorsqu’il s’illustre à ses débuts, les a sans l’ombre d’un doute.


Je ne saurais résister à cette envie, voire même à ce besoin, qui consiste à user de l’œuvre présentement critiquée comme d’une lame acérée afin de mieux écorcher un auteur qui m’est cher : j’ai nommé l’inqualifiable monsieur Tetsuya Tsutsui. Cet auteur, honteusement révéré en France, avait commis – entre autres méfaits scripturaux – un certain manga intitulé Dud’s Hunt. Je mesure, avec le recul que m’offre Darwin’s Game, la différence flagrante entre deux scénarii strictement analogues (j’aimerais ne pas avoir à supputer une influence d’une œuvre sur l’autre, mais les similarités sont trop flagrantes), exécutés entre les mains d’auteurs différents. Darwin’s Game, avec le recul critique qui m’est permis, se présente indubitablement comme la version aboutie d’un Dud’s Hunt dont l’auteur aurait soigné son scénario au-delà du seul principe qui motive sa création. Nous parlons là d’une graine qui aurait pris la peine d’être arrosée. La remarque valait en tout cas la peine d’être rapportée, d’autant qu’on ne crache jamais assez sur Tetsuya Tsustui.


Ce jeu, le Darwin’s Game d’où le manga tire son nom, a des règles. Et moi j’aime ça quand il y a des règles partout. On se familiarise avec un univers à part qui, néanmoins, s’obstine à rester ancré dans la réalité. Il s’agit d’un MMORPG sans Isekai, et celui-ci est remarquablement bien foutu au regard de toutes ses facettes et ses mécanismes. Mécanismes très vite abandonnés au profit de combats erratiques et bruyants même sur papier. Malgré le couple de protagonistes, on reste tout de même à des années lumières d’un Sword Art Online. Là encore, la dichotomie entremêlée entre le jeu et la réalité rappellera Gantz et cela, parmi bien d’autres mécanismes inhérents au Darwin’s Game.


Mais à trop me soucier des règles et des enjeux, j’en venais à négliger les personnages. Ceux-là ne s’en tireront pas à si bon compte. Si vous ne le savez pas, vous ne tarderez pas à le savoir : les lycéennes hystériques et espiègles qui disent « nya » calquées sur un modèle de loli avec des couettes, ça m’excite, mais pas comme se le figurent les amateurs : ça m'excite de rage. Car de tous les archétypes lourds que comprennent les mangas, c’est sans doute le pire qui puisse se concevoir. Et celui-ci ne fait pas exception à la règle. Dire qu’il se trouvera d’autres personnages féminins juvéniles aussi lourds pour plomber le récit. C’est bien malheureux et ça ne va pas en s’arrangeant à mesure que se déroule le récit puisque le reste de la cuvée est apparemment puisé depuis le même tonneau.


Et pour une fois depuis bien longtemps, depuis des temps immémoriaux, quand l’Atlantique était encore une flaque et quand les Shônens étaient audacieux (oui, ça remonte à ce point), je peux le dire et je ne me prive pas de l’écrire afin que ce testament subsiste : l’intrigue ne va pas d’elle-même par la grâce de ses auteurs. Rien n’est laissé au hasard. Le protagoniste avance dans la mesure des moyens qui lui sont accordés par une narration inflexible. Aucun cadeau ne lui est fait au prétexte qu’il soit le personnage principal, pas de main invisible du scénario pour lui sauver la mise, tout, dans l’écriture, est réfléchi et quadrillé diligemment pour ne pas se perdre vers une quelconque errance scénaristique permise par la facilité.

C’est du moins ce que j’aurais écrit si j’avais cessé ma lecture avant le deuxième volume. Hélas, après avoir fait le beau et montré les abdos, Darwin’s Game cesse de rentrer le ventre et se montre bien plus pansu qu’il n’y paraissait à l’origine. En amour, trompe qui peut, en mangas aussi. La première impression était réussie, mais une première impression n’est jamais valable qu’à condition de continuer sur la lancée qui a été impulsée.


Darwin’s Game ne s’est pas tant trahi qu’il est allé au bout d’une logique dont on ne soupçonnait pas encore bien les implications. Les Sigils, qui sont les pouvoirs uniques accordés à chaque joueur, n’ont pas tous le bon goût d’être astucieux et réfléchis. On fraye en effet plus souvent avec des pouvoirs qui se destinent à un affrontement débraillé et grossier ; typiquement, celui de Shuka. Ils n’ont pas tous les allures et encore moins l’envergure d’un stand. Le Sigil de Kaname pourrait se qualifier dans ce registre, mais il fait finalement figure d’exception notoire. Une exception dont le potentiel est bien bêtement employé alors qu’il ne fait apparaître que des armes à feu. Dans l’ensemble, les combats virent aux agitations typiques d’un Shônen. Car c’est ça, finalement, Darwin’s Game : un sur-Shônen. Avec des dessins moins élaborés, quelques rares passages gores amputés, le tout, présenté dans un magazine approprié, il aurait pu être un bon Shônen, il sera finalement un Seinen très moyen.


Car les antagonistes, sont des méchants. Mais alors, je vous parle de ce qui se fait dans la plus pure tradition de la méchanceté. Le regard vicieux et tordu, les rires tonitruants à chaque acte de cruauté gratuite : un sur-Shônen écrivais-je.

Et l’enquête de police en parallèle nous détourne trop souvent de l’action et sans réelle finalité. Cette distraction est pareille à celle commise par les organisateurs de Btooom! dont on se foutait ouvertement des enjeux.


Là-dessus, une symphonie bien trop coutumière me résonne dans les oreilles : « pan, pan » avec, pour marquer le rythme un « Takatakatakatakatakatakatakata» d’usage et les sempiternels « BOUM !» en guise de grosse caisse. Et croyez-moi, nous sommes loin d’un World Trigger. C’est bourrin et ça s’en cache de moins en moins tandis que se succèdent les chapitres. Le verni craque et on aurait aimé ne pas constater ce qu’il y avait dessous tant tout cela est vulgaire.


Le récit s’essouffle et c’est le lecteur qui se fatigue à trop le parcourir. Rien ne s’améliore dans la construction de ce qui nous est présenté, on retrouve les mêmes schémas narratifs chiants et soporifiques que l’on retrouve dans ce type d’œuvres, à commencer par les errements de trop, notamment ceux qui conduisent la trame dans un monde parallèle peuplé d’onis évoluant dans un contexte proche du Japon du début du vingtième siècle. Pour un peu, je reviendrais presque sur mon crachat adressé à l’intention de Tsutsui en lui reconnaissant au moins le mérite d’avoir sur s’arrêter à temps avec Dud’s Hunt. Les esprits primaires ont en effet le mérite de ne pas avoir les moyens cognitifs pour accéder à la décadence car il ne peuvent déjà simplement pas tutoyer la grandeur.

La grandeur, Darwin’s Game l’aura effleurée le temps d’un volume à peine : le premier. De là, il aura trébuché de plus en plus violemment. Son parcours continuera sous cette augure jusqu’au jour où il aura l’élégance se s’effondrer une bonne fois pour toute. Car la bagatelle clampine depuis dix ans déjà, outrepassant ainsi trop conséquemment l’hospitalité qui lui est due. Oui, décidément, c’est un sur-Shônen qui copiera le genre jusque dans ses travers éditoriaux les plus grossiers.

Josselin-B
3
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le 13 janv. 2023

Critique lue 240 fois

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Josselin Bigaut

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