Attardons-nous quelques instants, si vous le voulez bien, sur l'un des tous premiers volumes proposés par l'un des meilleurs éditeurs BD français de ces dernières années, j'ai nommé Urban Comics. Malgré quelques couacs, ce dernier a permis aux pays francophones de découvrir un large panel de la BD américaine, largement sous-estimée en Europe. Si les Batman, Superman et consorts n'ont jamais eu autant de succès dans nos contrées, c'est en grande partie grâce à ce fier étendard des créations DC Comics. Pour aborder ses lecteurs tout en douceur, Urban avait d'abord proposé une nouvelle édition de Watchmen avant de nous concocter cette anthologie fait maison de l'histoire de DC.
La proposition est avant tout historique. Près de la moitié de ce volume est consacrée à des œuvres des années 40, 50 et 60. Des dessins au style parfois poussiéreux et des intrigues souvent très naïves, clairement destinées aux enfants, pourront donc hérisser le poil des lecteurs les moins curieux. Pour l'intrépide archéologue du neuvième art, par contre, le voyage se révèle savoureux et pour le moins instructif. Non seulement les comics de cette anthologie sont, la plupart du temps, bien choisis, mais surtout, l'appareil critique est passionnant et permet de mieux appréhender une histoire éditoriale de 70 ans (à l'époque de sortie du recueil) !
Et puis, quel plaisir de voir des héros aux dégaines et aux tronches ahuries prendre peu à peu de la maturité et perdre leur joie de vivre initiale pour sombrer dans la noirceuuuur de l'ère moderne ! Une certaine vision du désenchantement du passage à l'âge adulte mais aussi des désillusions de la société occidentale.
On ne va pas analyser les comics du recueil un par un, mais sachez que ce sont des histoires forcément courtes et, si possible, marquantes. Celles dont je recommande la lecture:
Flash des deux mondes (1961): Première occurrence du Multivers, ce regroupement de dimensions proposant différentes versions de la Terre, chacune dotée de ses propres super-héros, certains très proches de la version de base, d'autres beaucoup moins...
Les origines secrètes des Gardiens (1965): Un épisode de Green Lantern qui bâtit tout une mythologie sous nos yeux, y compris par un bref aperçu de la création de l'Univers selon DC (rien que ça, ouais).
La Fille du Démon (1971): Première apparition de Ra's Al Ghul, l'un des ennemis les plus intéressants de Batman, l'un des rares qui ne soit pas cinglés (quoique...).
Tygres (1986): Le meilleur récit du recueil, écrit par... par qui, au fait ? Oh, Alan Moore ! Quel hasard... Ce conte prend place juste avant l'épisode 1 de la saga Green Lantern. Comme d'habitude, Moore parvient simultanément à justifier une incohérence scénaristique de ses prédécesseurs et à offrir à ses lecteurs un jeu mental stimulant.
Différents univers (1988): Superman qui agresse sexuellement Wonder Woman (en tout cas d'un point de vue féministe de 2019), les Néo-Dieux de Kirby qui envahissent l'Olympe des dieux grecs... Un très chouette épisode plein de rebondissements.
Cas d'école (2002): L'alliance divine de Paul Dini et d'Alex Ross ne remplit pas toutes ses promesses mais a le mérite de nous proposer une autre origine, méconnue, du Joker.
Les autres BD restent agréables à lire, aucune mauvaise histoire à signaler. On aurait peut-être aimé découvrir plus de héros mais, pour des raisons commerciales évidentes, ce sont toujours un peu les mêmes que l'on met en avant. Ce DC Comics Anthologie reste malgré tout une très bonne expérience qui devrait se retrouver dans toutes les bibliothèques des collectionneurs de comics ou de ceux qui souhaitent le devenir.