Dédale
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Dédale

Manga de Takamichi (2013)

J’ai toujours du mal – d’un point de vue strictement graphique j’entends – avec des mangas saturés d’effets par ordinateurs. Le côté factice et dépourvu de la plus petite once de caractère vous saute au yeux autant qu’à la gorge, c’en est si patent qu’on ne voit plus que ça. Le « clic » de la souris se fait plus audible que le tracé du crayon sur le papier. Ça s’estompe passées les pages couleur, mais la suite s’illustre pas une absence de style véritable.


Les personnages – au nombre de deux – n’ont apparemment pas vocation à être trop franchement développés, mais on ne s’en formalisera que peu. Ils ont déjà bien davantage d’aspérités et de traits de caractère à faire valoir que dans Liar Game. Oui ; Liar Game. La comparaison est faite. Il s’agit d’un de « ces mangas » qu’on pourrait appeler – je me risque au baptême improvisé – des mangautistes. Contraction ô combien savante de manga et…. enfin… disons qu’il est question de ne se focaliser que sur des éléments ayant trait à un strict sens de l’astuce. Les personnages, l’intrigues ; tout ça a été expédié aux chiottes avant que le premier chapitre ne soit posé. Et je m’en contente. Même que je m’en réjouis. C’est dire si les légendes noires colportées dans mes sections commentaires, quant à mon intransigeance jusqu’au-boutiste, ont quelques kilotonnes de plomb dans l’aile. S’il n’y a qu’un élément de l’œuvre qui soit brossé, alors qu’il en soit ainsi. C’était le cas de Liar Game qui, en dépit de ses personnages insipides et son intrigue évasive jusqu’à en être absente, aura su sublimer son contenu par les seuls mécanismes des jeux qui nous étaient proposés. Et de ce genre de jeux – quoi que dans un registre autre – il en sera ici question avec Dédale.


Les deux personnages, réveillés dans une maison qui leur est inconnue, en arpentent chaque recoins. Elle semble être en dehors du monde cette demeure, au point même d’être garnie d’éléments surnaturels. Or, les protagonistes, ou tout particulièrement Reika, ont dans l’idée d’exploiter ces mécanismes fantastiques afin de détourner leurs usages afin d’en tirer profit en vue d’une évasion. Je l’avais précisé à l’occasion de ma critique de Liar Game ou encore de Kaiji ; ce qui fait fait l’astuce tient avant tout au fait de présenter des règles établies dans un contexte défini, et de savoir les détourner sans les enfreindre pour en faire un usage inattendu. Et c’est de ça dont il sera question ici.


En jetant par exemple une balle de tennis dans une chute qui se répète – un peu à la manière des boîtes de Portal qui tombaient indéfiniment en passant d’un portail à l’autre – l’idée de se servir d’un pareil mouvement perpétuel, en usant des maigres outils à leur disposition, leur permettrait de créer une source d’énergie. Même si cela n’était ici évoqué qu’au stade hypothétique, l’idée était plaisante. C’est un exemple parmi tant d’autres des ingénieries ici exploitées pour nous ravir une cervelle en manque de stimulation après avoir été justement trop exposée au gros du cheptel des mangas contemporains. Voilà un Mind Game comme je les aime et même, comme je les adore. Des personnages ? Une trame narrative ? On peut s’en dispenser quand on a quelques sévères prédispositions à l’autisme : l’important étant la belle et juste utilisation de l’astuce par l’auteur.


Seulement voilà, le « mais » étant dans mon vocable une lame de Guillotine acérée, je me dois de tempérer mes ardeurs et les vôtres par anticipation. Dédale s’émancipe de l’autisme pour s’attarder sur un scénario ; sur l’origine de leur Donjon Game. Un qui n’est pas franchement palpitant et qui nous détourne de ce qui constitue la seule richesse du présent manga : l’exploitation des « bugs » de l’univers afin d’en tirer un bénéfice inattendu. Ça cause de trop pour ne rien dire et nous raconter une histoire dont on se fout très viscéralement. Les intentions de Tagami ou qui soit-il… peu me chaut ; c’est son jeu qui m’intéresse. Parlez-moi moins de son créateur que de son contenu je vous prie. Imaginez devoir lancer une partie de Mario avec en introduction, toute la biographie de son créateur ainsi que d’une ribambelle d’informations sur l’élaboration du jeu. Des heures de contenus. Vous vous estimez heureux d’avoir autant d’informations ; mais supposons à présent que vous ne puissiez pas passer cette intro pour enfin jouer… Nous y voilà.


Faudra attendre le huitième chapitre (sur vingt-trois) avant de se préoccuper plus sérieusement des éléments fantastiques du dédale afin de les exploiter de manière intelligente. Tenez la barre jusque là. Après tout, la première épreuve de Liar Game n’était pas terrible non plus, sachez passer outre les écueils scénaristiques inauguraux, même s’il faudra pour ça prendre son mal en patience un volume entier. Le premier qui plus est : le plus crucial en principe. Après ça, toutes les potentialités de la duplication et de la téléportation conditionnée seront abordées jusqu’à la dernière des coutures. Je suis intimement persuadé, à le lire, que Takamichi, en tant qu’auteur, doit tenir Yoshihiro Togashi et Hirohiko Araki comme des sources d’inspiration revigorante. Le fait de découvrir les règles qui s’imposent à elles, de faire des tests afin de tout comprendre de leurs effets ainsi que de leurs limites et ce, pour mieux s’en servir, tombe vraiment dans l’escarcelle du Nen et des stands. Autant dire qu’il n’y a pas matière à bouder son plaisir.


En tout cas, des recherches approfondies en matière de level design auront été effectuées. C’est véritablement le travail d’un passionné ; et non celui d’un énième branleur dépourvu d’imagination qui, parce qu’il aime jouer à Dragon Quest, se sera dit qu’il allait nous pourrir l’existence avec un Isekai. Malheureusement, ce sera pour retrouver ses mauvais réflexes quelques temps après et s’en retourner dans la rédaction d’une intrigue dont on se fout. Peu importait d’où venait Gantz dès lors où la sphère noire permettait ce qu’elle permettait. Il en va de même ici. Donnez-nous un monde étrange, évoluez au travers et apprenez à en dompter ses effets fantastiques, c’est ce qu’on demande. Le célèbre « Mais en fait, voyez-vous, tout a commencé parce que... » n’a aucune espèce d’importance. Quand un monde mérite qu’on l’explore, il n’y a pas lieu de se demander d’où il vient.


Une fois les armes des Braconniers acquises, tout se facilite en conséquence. Nul besoin d’astuce quand un pouvoir magique vous accorde tout sur la simple pression d’un bouton. Quel intérêt y a-t-il alors à en être les spectateurs ?


Et juste quand je me réjouissais qu’un auteur ait enfin l’idée de présenter, parmi ses protagonistes, une fille qui ne soit pas attirante (obèse avec un visage ingrat), nous détournant enfin des canons du genre où seules les filles mignonnes ont droit de citer dans les mangas… eh bien non. Ulahup ! Un coup de lampe de poche magique, et Youko devient maigre et belle. On va pas laisser les moches s’exposer et avoir un rôle intéressant non plus, oh. Ça n’existe pas d’ailleurs pas les gens moches. Sauf chez les méchants ou les personnages secondaires rigolos.

Heureusement, l’auteur revient sur sa décision deux chapitres plus tard…. pour se débarrasser d’elle aussitôt. Les moches ont le droit d’exister dans les mangas… mais jamais trop longtemps. Question de bienséance, comprenez-vous.


Après ça, le manga se transforme littéralement en Portal 3 avec l’arme qui permet de créer des portails. La fin prématurée s’explique très vraisemblablement par un manque de lectorat. Il faut dire que passé le charme et les espérances du début, Dédale n’a pas su tenir ses promesses. Ce Mind Game qui n’avait qu’une cartouche dans le barillet l’a tirée bien assez tôt. De là, difficile de le trouver impressionnant une fois qu’on plongea les yeux droit dans le canon.

Josselin-B
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le 4 oct. 2024

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Josselin Bigaut

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