Les Defenders de Marvel ont la réputation d'être une "non-équipe", un assemblage assez bizarre de héros, dont les séries n'ont jamais fait de grosses ventes et où les auteurs étaient assez libres de partir dans leurs délires. Cette nouvelle mini-série Defenders Beyond, qui est la suite directe de la mini-série Defenders de 2021 et qui est pilotée par la même équipe créative (Al Ewing au scénario, Javier Rodriguez aux dessins) veut vraiment s'inscrire dans la tradition expérimentale de cette non-équipe.
Les deux mini-séries Defenders d'Al Ewing sont vraiment du Ewing 100% pur jus. C'est un peu un espace de liberté pour lui ou il peut continuer/achever son travail sur la cosmogonie de l'univers Marvel et reprendre des fils narratifs de ses précédentes séries, retrouver des personnages qu'il avait aimé écrire. Et vu qu'il a une connaissance encyclopédiques de l'univers Marvel et de ses recoins, il en profite pour faire revenir certains éléments oubliés, approfondir certaines choses, faire des connexions pour donner plus de cohérence à l'ensemble.
Dans la première mini-série, il terminait l'intrigue autour du Masked Rider et de l'infinity Mask lancé dans l'anthologie Marvel #1000, mais il allait surtout approfondir son concept des différentes incarnations numérotées de l'univers qu'il avait introduit dans sa série Ultimates après l'event Secret Wars de 2015, en faisant notamment revenir Moridun du 5e cosmos, antagoniste aperçu dans son run de New Avengers à l'époque. Il partait du 8e cosmos, le présent, puis allait dans le 6e cosmos (celui de l'univers avant l'univers, d'où vient canoniquement Galactus), et remontait ensuite au 5e, 4e, etc. pour aller vers une version toujours plus primordiale de l'univers Marvel.
Dans cette 2e mini, il veut explorer ce qu'il y a au-delà du Multiverse, en s'inspirant de l'arbre de vie de la tradition kabbalistique juive et chaque numéro correspond à un sefirot différent (mais honnêtement j'y connais rien dans ce domaine donc je ne pourrais pas vraiment approfondir sur la correspondance Defenders Beyond - Kabbale), il aborde donc le sujet des Beyonders, du Phoenix et de sa White Hot Room et ainsi de suite jusqu'au One Above All. Il met un peu d'ordre dans ses concepts qui sont de temps en temps utilisés et souvent réinventés par les auteurs Marvel et qui fascinent certains lecteurs. Au niveau des Beyonders : il essaye d'unifier le Beyonder de Shooter avec les Beyonders de Hickman, avec des types qu'on voyait dans les Defenders de Fraction, et de leur donner une place cohérente vis à vis de la chronologie des différents cosmos et des Celestials, etc. Pareil pour le Phoenix où il essaye d'unifier toutes les versions de la White Hot Room qu'on a pu voir dans l'univers Marvel. Et ce qui est bien c'est qu'à la fin de chaque numéro, Al Ewing indique des vieux numéros auxquels on peut se référer si on veut approfondir des éléments qu'il a évoqué.
Cette incursion dans l'au-delà de l'univers Marvel va aussi lui permettre de faire un peu de méta-commentaire, notamment dans le 4e numéro où il évoque les reboots à répétition, mais plus globalement il va parler de manière plus ou moins détournée de la nature collaborative des univers de comics, du potentiel des histoires, etc. Le genre de choses qu'on peut attendre d'un comics où les persos cherchent plus ou moins à rencontrer Dieu.
A côté de ça, au niveau du casting de l'équipe, il ne peut plus utiliser le Dr. Strange qui est mort en ce moment dans l'univers Marvel, il en profite donc pour être inventif et utiliser des persos qui n'ont jamais été (à ma connaissance) des Defenders : il va réutiliser Blue Marvel, qu'il a beaucoup écrit dans Mighty Avengers puis Ultimates, America Chavez qui était aussi dans ses Ultimates, la version gender-fluid de Loki qu'il écrivait dans sa série Loki: Agent of Asgard, Taaia la mère de Galactus qui vient de sa précédente mini Defenders, et il ramène l'héroïne Tigra, qu'il n'a jamais écrit jusque là mais qu'il va réussir à connecter à des concepts qu'il a précédemment développé. Le protagoniste qui va le plus l'intéresser est Loki où on sent vraiment qu'il essaye de faire ses adieux proprement à cette version du perso à laquelle il semble très attaché.
Dans ses deux mini, il est accompagné par le formidable Javier Rodriguez, qui est toujours aussi excellent et peut s'en donner à cœur joie dans ses découpages conceptuels et les mises en pages inventives. Lui qui avait dessiné tout l'Histoire de l'Univers Marvel dans une mini-série a désormais eu l'occasion d'aller encore au-delà. C'est magnifique et c'est vraiment les dessins qu'il fallait pour cette histoire d'Ewing et aller au bout de ces concepts.
C'est vraiment une lecture que j'ai adoré mais c'est pas forcément sans défauts. C'est assez perché et ça l'est de plus en plus au fur et à mesure de la lecture, et il vaut mieux avoir lu de précédents titres d'Ewing pour en profiter au maximum (surtout Loki: Agent of Asgard, Ultimates (2015) et Ultimates² (2017) ainsi que la précédente mini-série Defenders) même si perso j'ai pas terminé sa série Loki ni Ultimates² (parce que je n'en ai pas eu l'occasion pas parce que c'était mauvais) mais ça ne m'a pas empêché d'apprécier cette mini. L'autre point qui pourra diviser, c'est que ça reste un peu un comics sur les comics, cependant Ewing fait quand même en sorte que ça aille au-delà de juste un truc sur l'Univers Marvel et qu'il y ait une portée plus universelle.
Mais bon, si comme moi vous adorez Ewing et Rodriguez, c'est vraiment une super lecture. Une excellente mini-série à découvrir.