Premier chapitre achevé, et voilà que j’ai comme une idée d’où Kazuo Umezu a puisé l’essence de son Fourteen. La lecture vous prend au dépourvu. « Demain les oiseaux » ; le titre seulement laisse entendre, sur un ton tendre et aseptisé, un quelque chose de lyrique et léger. Il n’en sera rien, la parenté avec les Oiseaux de Hitchcock – dont il sera même explicitement fait mention – est indéniable d’une part, et intelligemment exacerbée ensuite.
Les dessins de Tezuka, encore enfantins dans les tons à cette période de sa carrière, trouvent malgré tout le moyen de s’inscrire dans une horreur latente. Le contraste du premier chapitre, où les humains sont représentés voilés d’une ombre noire, pose la distinction entre le « eux » et le « nous » de l’engeance aviaire.
Loin des habituels et prévisibles lieux communs de « nous sommes méchants avec Dame Nature », les oiseaux présents, bien qu’eux-mêmes victimes du genre humain, ne déméritent aucunement dans le registre de la cruauté. Sortis de leur cage, ils n’apportent pas la Justice, mais la pure vengeance. Le tri ne sera pas envisagé dès lors où il sera question de disséminer les victimes, quand bien même celles-ci œuvraient pour leur bien.
Œuvre littéralement prométhéenne, Demain les Oiseaux nous introduit au concept de la découverte du feu par diverses espèces aviaires et de ses conséquences. Les flammes, les piafs ; c’est à croire que Tezuka n’est jamais trop sorti du giron de Phénix.
Le manga est alors un recueil d’histoires courtes où les protagonistes varient à chaque nouvelle occurrence. Les oiseaux restant chaque fois la menace latente de chaque péripétie qui nous vient. Qu’on ne s’illusionne pas en voyant les dessins, c’est un roman noir qu’on nous peint.
En dépit de la gravité croissante de la menace ailée, Tezuka parsème son manga de jeux de mots et de petits gags pétris d’humour noir – quoi que jovialement énoncé – qui nous rappelleront ses lubies du temps de l’écriture de La Vie de Bouddha.
Les histoires courtes, bien qu’elles bifurquent entre les protagonistes, gardent pour fil conducteur l’invasion puis la domination des oiseaux sur le Japon. À voir la veulerie des puissances publiques et la génuflexion de tout un peuple devant ses envahisseurs, on n’aura pas à plisser des yeux trop fort pour y deviner quelques parallèles avec l’occupation américaine du pays dont Tezuka fut contemporain. Une thématique qu’il n’hésitera pas par exemple à aborder au début de Ayako.
Toutefois, l’histoire n’en restera pas là dès lors où l’on franchira le Pacifique afin de constater l’emprise mondiale exercée par le peuple à plume, là où l’on découvrira les origines de l’intelligence nouvellement acquise par les oiseaux. Un chapitre qui, à maints égards, m’aura rappelé la Genèse de ce que fut la menace de Gyô, autre manga d’horreur que je suspecte d’avoir été amplement inspiré par celui-ci.
Sans surprise, les oiseaux, après des millénaires de domination, pareils aux hommes, se laisseront aller au confort permis par le progrès technique. La phase de conquête achevée, le monde tenu pour acquis, ils régresseront sur le plan biologique au point de perdre les attraits morphologiques qui leur avaient permis d’incendier le monde. Leur domination reposait alors principalement sur l’espèce humaine qui, pourtant dominée, était la main d’œuvre primordiale à la survie des oiseaux.
Le pastiche sur la naissance du poussin par la vierge Mariya avec ce qui s’ensuit est…
Les Japonais et le monothéisme… faut vraiment les en tenir à bonne distance.
Il n’empêche que le volet religieux, ici abordé est autrement plus consistant que le globiboulga de Fire Punch. Il n’empêche qu’on s’en lasse assez vite et que cela dure plus longtemps que nécessaire.
D’autant que ce qui suit est tout aussi enrobé de poncifs. Les humains relégués comme équivalents des autochtones d’Amérique, oppressés par les colons européens… les parallèles avec l’histoire de la civilisation humaine ont ici ce qu’il faut en eux pour vous faire piquer du nez. Ce volume unique – de plus de trois-cents pages toutefois – était trop fourni d’au moins un tiers de ce qui le constituait.
Passée l’apogée civilisationnelle des oiseaux, les histoires qui s’enchaînent ne sont plus guère que des bavardages longuets dont la pertinence s’érode une page après l’autre. Les histoires se raccourcissent et n’ont ensuite plus vraiment rien à dire sinon nous faire comprendre que la civilisation avilit qui s’y éprouve. Du Miyazakisme passif, en somme. Peut-être était-ce novateur pour l’époque, mais il est des litanies qui vous occasionnent des indigestions à la première bouchée. C’en est.
Une petite leçon qui n’en est pas tellement une pour conclure et l’affaire se solde de trop s’être bradée. Il y avait de l’idée, avec Demain les Oiseaux, mais on aura cherché à prospecter le filon jusqu’à ce qu’il ne resta que des cailloux dans le chariot. Ce qui avait scintillé nous sera apparu très vite terni et dépourvu de la moindre valeur. L’histoire, assurément, ne savait plus où elle se dirigeait à mi-chemin, et nous égara avec elle sans trop qu’on sache ce qu’on faisait trop en sa compagnie.
Y’a pas deux œuvres de Tezuka à m’avoir laissé le même sentiment une fois la dernière page refermée, celle-ci aura alors généré en moi un semblant de surprise pour dérouler par la suite une lente et morne déception. Demain les Oiseaux, mais demain seulement.