Demain un être vivant recommence
Énorme claque encore du Maître Tezuka qui va nous montrer comment vont être les animaux s'ils développaient les même facultés intellectuelles que les humains. Comme a son habitude un bon truc bien...
le 18 oct. 2023
Mon titre est une allusion aux nombreux reports de la publication du premier des cinq volumes en édition Prestige du Phénix de Tezuka, on attend toujours à l'heure où j'écris ces lignes. L'édition Prestige nous offre les mangas suivants : Ayako, Barbara, Kirihito, MW, L'Histoire des trois Adolf (2 tomes), La Vie de Bouddha (4 tomes), Dororo (2 tomes), Demain les oiseaux évidemment et on nous annonce donc les cinq tomes de Phénix et un tome pour Princesse Saphir. Dororo n'était pas prévu initialement, du moins le titre n'était pas annoncé comme à venir, mais il a pris place suite au succès du remake de l'animé Dororo en 2019. Pour des raisons apparemment de mise au point d'une édition parfaite du Phénix, ce manga est mis en attente, sachant qu'à l'heure actuelle le public français n'a pas accès aux titres les plus connus de Tezuka, sauf sur le marché de l'occasion : Astro (incomplet d'ailleurs en français), Black Jack et Le Roi Leo. Princesse Saphir fait d'ailleurs partie des titres les plus connus et donc lui aussi très attendu. J'espère d'ailleurs par souci d'exhaustivité que le tome pourra inclure le tome Les Enfants de la princesse Saphir, mais je ne me fais pas trop d'illusions.
Je me construis une collection d'oeuvres de Tezuka. J'ai La Nouvelle île au trésor, même si en fait de manga initial on a une version très remaniée de la fin de la vie de l'auteur, le volume sorti par Isan Manga est d'excellente facture avec un dossier. J'ai réussi à récupérer des mangas des débuts : Lost World, Next World et Metropolis. J'essaie de me faire un bon pan de l'histoire du manga sur plusieurs décennies en collectionnant ainsi tous les Tezuka. J'ai des lacunes parce que je n'ai commencé ma collection qu'il y a quelques années et il me tarde d'accéder aux gros succès populaires pour enfants. Fuji Manga (éditeur absorbant l'ancien Isan Manga) nous fait des éditions des mangas old school pour enfants à un rythme très soutenu actuellement. D'ici 2023, je les aurai tous.
Et puis, il y a les mangas plus matures de la fin de vie de l'auteur. Et on ne va pas se cacher que, si Tezuka a fait sa légende des années quarante aux années soixante, les mangas les plus captivants de Tezuka c'est quand il passe au sombre, à l'influence du gekiga et qu'il écrit pour un public plus adulte. En-dehors de Princesse Saphir, tous les titres retenus pour l'instant dans la collection Prestige de Delcourt-Tonkham font partie des titres plus tournés vers un public adulte, cas à part de Dororo qui est une oeuvre de transition à ce sujet.
Mais les mangas adultes de cette collection qui ont été publiés jusqu'à présent développent une intrigue suivie avec des ramifications complexes ou en tout cas très riches. Le cas de Demain les oiseaux est différent. Tezuka a publié énormément d'histoires courtes également. On peut penser au chef-d'oeuvre Sous notre atmosphère qui est un recueil d'histoires, à Tonkaradani, aux nombreux volumes des Histoires pour tous. Et Tezuka s'est essayé aussi au manga de satire politique avec Debout l'humanité et quelques autres titres La Grande pagaille du Diletta, etc. Et on peut parler encore des récits allégoriques qui sont aussi des satires des travers de l'humanité, avec le Chant d'Apollon. Je cite ces trois directions artistiques parce qu'elles sont toutes réunies dans Demain les oiseaux. C'est un récit allégorique sur les travers de l'humanité avec une inversion, les humains repassent au stade d'animaux dominés même s'ils conservent l'usage de la pensée, la capacité à créer des objets, etc., tandis que les oiseaux les remplacent pour le pire et la même chose. C'est aussi une suite d'histoires courtes à partir du thème imposé d'un remplacement des humains par la civilisation des oiseaux. Il y a un fil directeur et il y a aussi une intrigue générale du devenir de cette civilisation des oiseaux incluant la déchéance totale des humains, car la dernière histoire crée une forme de boucle avec un rebondissement final (qui ne ramène pas aux humains, mais il y a boucle quand même...). Donc, une histoire progresse à travers les différents récits, mais chacun des à peu près vingt récits est autonome avec ses personnages propres. Et donc on comprend que c'est une composition originale et on devine aussi que le manga a énormément de force, car il n'y a pas de temps mort, on passe d'un récit significatif ramassé à un récit significatif ramassé. Il n'y a aucun flottement où on attend la résolution de l'intrigue. On pourrait avoir des histoires courtes un peu sans intérêt, ça arrive dans les recueils de Tezuka que ce ne soit pas extraordinaire, mais ici chaque histoire est à sa place par rapport à l'ensemble, chaque histoire a son intérêt. Il n'y a pas vraiment de faiblesse. Enfin, c'est un ouvrage satirique. Tezuka a une façon gros sabots d'être un progressiste qui combat les réactionnaires, le racisme, etc., mais cela passe dans la mesure où son manga tient encore de la manière de raconter aux plus jeunes. Je précise que l'idée du combat du progressiste contre le racisme, je reprends des termes employés dans le manga lui-même, dans l'un des derniers récits. J'ai conscience que coller l'étiquette progressiste ça pose problème vu que le mot peut s'entendre différemment et s'accompagner d'idées préconçues, mais c'est le discours de base du manga. C'est un discours humaniste qui invite toutes les parties qui ont une raison à s'entendre et c'est aussi un progressisme qui proscrit l'esprit revanchard. L'oppressé de la veille peut devenir l'oppresseur du lendemain.
La couverture de l'édition Prestige m'a charmé, elle est tirée d'un dessin au milieu du manga, mais n'en retient qu'une moitié. Dans le manga, le dessin représente la Terre avec des primates surdimensionnés qui la foulent et gracieusement des oiseaux volent en-dessous du globe en le frôlant de leurs ailes.
Evidemment, cette image valorisante des oiseaux ne domine pas dans les récits, les oiseaux vont prendre le chemin des querelles comparables à celles du genre humain.
Les récits étant courts, on apprécie la maestria d'une narration qui va à l'essentiel, mais cette lecture est rendue marquante par les modèles qui servent à la construire. Tezuka annonce clairement qu'il s'inspire du film Les Oiseaux d'Hitchcock pour partie, l'auteur du roman Les Oiseaux est mentionné, Daphné du Maurier, et l'intrigue est rappelée. Tezuka s'inspire aussi très nettement du roman français adapté en film par les américains La Planète des singes. Evidemment, les oiseaux remplacent ici les singes en tant qu'êtres intelligents dominant la planète, et cela donne lieu à des créations cocasses efficaces ou à des créations symboliques percutantes. Il y a aussi un conflit bien mieux amené que dans le surestimé Beastars entre les oiseaux insectivores, herbivores et les oiseaux carnivores. Vers la fin du manga, on a une très habile intégration d'un récit onirique sur le thème de l'oiseau bleu avec évidemment en fin d'histoire un renvoi explicite à l'auteur belge de L'Oiseau bleu, Maurice Maeterlinck. Je ne vais pas vous expliquer les références culturelles, mais le manga prend une force incroyable avec ses renvois à des modèles. Ce n'est pas des allusions en passant, il y a vraiment un effet dynamique du jeu de renvoi à des modèles Planète des singes, Les Oiseaux, etc. Tezuka va plus loin encore. Il n'est pas toujours dans le politiquement correct. On a un récit en Afrique du sud où un oiseau juge le renversement entre bourreaux et victimes, puis on a une idée complètement folle, c'est de parodier la conqûête de l'Amérique en assimilant les oiseaux aux colons anglo-saxons et les indiens à des humains diminués et mis dans des réserves. On se rappelle que les indiens portaient des plumes, idée que ne précise pas le mangaka dans son récit mais qui rend piquant le procédé d'inversion. Il y a plein de trucs très barrés dans les allusions et cela contribue à rendre le manga fascinant, cela contribue à donner plus d'impact à son discours moral.
Tezuka s'adonne ici à fond à son penchant pour l'humour noir. Il s'adonne aux portraits négatifs accentués de certains personnages. L'épisode 15 "Le club des becs-rouges" nous livre une histoire parfaitement cynique avec une chute remarquable de cruauté. On a droit à tout un lot sordide de meurtres impunis brutaux et gratuits, y compris des assassinats d'enfants, humains ou oiseaux. Dans leur révolte, par exemple, les oiseaux ne font pas le tri entre ceux qui les aiment et ceux qui les oppriment. Un sadisme très cru se retrouve un peu partout dans les récits. L'image des oiseaux permet de nombreux jeux de mots, permet le recours à de nombreuses métaphores animales satiriques. Et puis, je parlais des modèles culturels, il y a la parodie saisissante du christianisme. C'est génial, car Tezuka n'imagine pas un Christ sous figure d'oiseau, je n'en dis pas plus, parce que c'est scotchant quand on voit ce qu'il a fait, quand on l'apprend sur le vif en lisant le manga.
Le fait de découper le récit en histoires indépendantes permet aussi de ne pas s'appesantir sur les inévitables invraisemblances. Il ne faut pas lire ce manga en cherchant à en apprécier la rigoureuse cohérence dans la succession des événements. Les humains se font battre par les oiseaux, puis dans un autre récit il est question d'une bombe atomique conservée qui évidemment fait du dégât. Mais le récit autour des vestiges destructeurs de l'humanité a sa force allégorique propre et on comprend que les épisodes permettent de faire une revue complète des points de vue que l'auteur voulait adopter pour faire passer son message. La division en épisodes permet aussi de créer un tragique de répétition.
Avec Tezuka, il conviendrait comme toujours de parler de la mise en page, de l'interaction des dessins entre eux, des subtilités de son dispositif, mais je l'ai déjà fait pour d'autres mangas. Je voudrais souligner un point original du manga Demain les oiseaux. On le sait, Tezuka adopte un style de dessin caricatural, vite esquissé, sommaire mais expressif. Or, il a une formation de médecin, et il sait aussi dessiner les animaux avec un certain réalisme. Et si les corbeaux de Tezuka, dans le récit, ressemblent aux corbeaux des dessins animés américains de la Warner Bros avec la panthère rose, Grosminet, etc., si les oiseaux sont dessinés de manière un peu caricaturales, on a droit tout au long des pages à une abondance de dessins réalistes d'oiseaux. Et ça crée un effet saisissant. Imaginez les planches d'un livre d'ornithologie. C'est ça que reproduit Tezuka sur quantité de pages du manga. Sur la première page, on a un découpage à la verticale avec à gauche une demi-page de cases de manga et à droite une demi-page d'une sorte de planche de représentations réalistes de profil de dix oiseaux différents, et le titre est placé sur cette partie, et ce titre est une parodie des noms scientifiques latins des oiseaux : "Urolonca domestica ignis". Le mot "Urolonca" semble exister dans quelques langues, il doti désigner des sortes de passereaux, le mot "domestica" signifie que l'oiseau est apprivoisé et élevé en cage par les humains, mais la feinte est l'ajout du mot "ignis" puisque c'est un oiseau qui a appris à mettre le feu que nous découvrons dans le premier récit. Il y a d'autres inventions de noms latins des oiseaux par la suite dans le manga. mais à un moment donné on a une présence assez constante de dessins réalistes d'oiseaux, parfois une description carnassière où l'oiseau a capturé un petit mammifère, on a évidemment un jeu sur le regard perçant des oiseaux ou sur l'allure fière quoique pataude d'espèces apparentées au canard. Ces dessins réalistes achèvent de créer le côté dérangeant d'oiseaux qui pourraient nous remplacer et avoir le désir primaire de broyer les humains si cela leur était possible. Cette idée de mettre des dessins réalistes en marge des cases du manga a un rendu tout à fait spectaculaire. Et finalement un des intérêts de ce manga, c'est qu'il a un côté hypnotique dans son récit. On vit le mirage anthropomorphique. Les oiseaux endossent le rôle d'humains cruels de manière convaincante. Les têtes et regards d'oiseaux n'ont aucun mal à s'animer de pensées humaines déterminées. Et même si les histoires sont caricaturales, les crimes des oiseaux sont très vivants, très crédibles. On arrive parfaitement à avoir la superposition de la simplicité des actions de chasse des oiseaux et le rendu du côté sombre de l'exercice machiavélique de la pensée. Le récit n'a pas à viser à plus de réalisme, car l'allure caricaturale est adéquate pour manier habilement ce double visage de la cruauté du prédateur et de la cruauté des humains qui ont soit des pensées intéressées, soit le besoin de dissimuler leurs passions en société.
Il y a les bonnes histoires, il y a les messages, il y a l'esthétique, mais pour faire un bon manga il y a aussi la qualité de l'opération alchimique pour combiner efficacement ce qui en principe ne l'est pas et en tirer un parti époustouflant, et c'est vraiment cela qui fait de Demain les oiseaux un grand manga de Tezuka.
Créée
le 25 juin 2022
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