Desert Punk
6.8
Desert Punk

Manga de Masatoshi Usune (1997)

Toute œuvre qui, dans un préambule de deux pages, s’engage par l’exhibition d’une paire de fusils à pompe, s’engage par ce biais à défourailler le plus sévèrement du monde. Masatoshi Usune ne fait en effet montre d’aucune pudeur alors qu’il nous déploie un gros calibre sous nos yeux impréparés. Non, préparés, nous ne le sommes jamais dès lors où vient une œuvre de qualité dans le paysage manga ; il n’empêche qu’on s’y acclimate rudement vite, à ce désert rendu torride des passions qu’il suggère.


Desert Punk n’est en effet pas l’affaire de gros flingues, mais de passions sincères. Passion de son auteur pour les armes à feu tout d’abord, dont la connaissance encyclopédique en la matière a de quoi susciter des vertiges ; mais passion de ses lecteurs surtout qui, présentés à ce qui vient, se fascineront de ce que recèlent les vestiges du Kantô.


L’œuvre elle aussi est un vestige. Entamée un beau jour de 1997, elle aura traversé les époques et les tendances jusqu’à s’achever en 2020, cumulant les décennies sans jamais céder à la déchéance. Elle est un joyau inestimable qui, même laissé au beau milieu du désert – éditorial celui-ci – ne se sera jamais terni à force que le sable l’ensevelît.

Car Desert Punk fut bel et bien enseveli, par l’ingratitude d’un lectorat fainéant tout d’abord, puis par le temps que prit l’auteur, en orfèvre, à peaufiner une gemme pour en faire un bijou ; un trésor. Chose amusante, quoi que ce ne l’était pas tellement lorsqu’il fallut attendre après chaque chapitre, Masatoshi Usune, réputé pour ses longues pauses à durées indéterminées, avait comme assistant un certain Hideaki Togashi, frère du fameux. C’est à croire que la hiatusite aiguë lui a été transmise par là.


Desert Punk, au regard de son absence de notoriété, ne se découvre que par hasard, parce qu’un rayon de soleil, inopinément, fit scintiller le joyau qu’on prit de loin pour un bout du verre. Une occasion de plus, pour moi, pour vous... pour d’autres, de remercier très chaleureusement les éditions Glénat. Les remercier, pour avoir édité l’affaire jusqu’au tome treize… et finalement abandonner au regard de la parution erratique.

Que des impératifs éditoriaux le leur commandèrent, je ferai semblant d’y croire ; mais Dieu de Dieu, qu’ils lâchent les droits ! À quoi bon un trésor si on le laisse dans un coffre dont on a oublié la clé ? À encourager au braquage, voilà à quoi.


Le début des années 2000 furent les années fastes de l’œuvre, celles qui précédèrent sa paisible et langoureuse traversée du désert. En ce temps-là – parce que ça commence à remonter – la parution poursuivait son rythme et un studio animé, bien mal inspiré dans sa décision, prit sur lui de saloper l’adaptation du manga en une vingtaine d’épisodes. Passez outre, sinon à côté, car vous vous dégoûteriez de l’œuvre à vous y essayer.

Desert Punk, au fond, et pour ce qui tient de ses formes ; ça ne se prête pas à l’adaptation animée. En tout cas, pas longtemps.


La frontière, entre les Shônen et le Seinen, considérant par là où on l’aborde, est poreuse ; les territoires se contestant aisément au point de pouvoir être assimilés aux deux entités. La précédente mention de Yoshihiro Togashi, si elle fut fugace, n’avait alors rien de fortuite. D’abord, car on ne loue jamais assez un tel nom, ensuite, parce que de Desert Punk à Hunter x Hunter, il y a un flou qui, en bien des aspects, nous intime à les confondre. Ils n’ont pourtant rien à voir, mais un semblant de recul nous conduit à penser qu’ils se jumellent.


Desert Punk, ou Sunabôzu pour les weebs, ça a, dans ses prémices, tous les apparats d’un Shônen. Et cela, je l’écris pour une fois à la seule fin de m’en réjouir. D’en jouir et de m’en réjouir. Un personnage principal nous est présenté dans ce qui serait le désert du Kantô, terre dévastée par ce qu’on suppose être une joyeuseté thermonucléaire. Trois brutes surgissent de sous le sable, ils sont laids, stupides, vindicatifs ; pour un peu, on sentirait presque leur haleine.

Y’a juste ce qu’il faut de contextualisation dans ce premier chapitre, une mention fugace du gouvernement ; on jurerait que ça n’engage à rien, mais ça ne demandera qu’à être approfondi jusqu’au noyau.


Alors, Desert Punk, ce ne serait donc qu’une bête histoire controuvée de chasseur de primes ? C’est d’un classique.


Du moins le croit-on.


Oh c’est bien ça, Desert Punk, les aventures d’un roublard au beau milieu du désert du Kantô. Cela et rien que ça. Dans un premier temps du moins. Seulement, un maître de sa création sait qu’un sujet, quel qu’il soit, a tout pour rutiler pour peu qu’on s’embarrasse à en polir le moindre contour.

Même à vouloir me persuader du contraire, les apparences comptent pour beaucoup et, si elles ne font pas tout, de ce tout, elles en sont le prélude. Faut le dire, Desert Punk, ça nous tient d'abord par son dessin ; quasi-invariable en dépit de l’écoulement des décennies qui passent, sans qu’une année n’en ternisse le trait.


Ainsi, le contenant, à la juste mesure de son contenu, s’expose comme léger et brutal. Le sens du détail, jusque dans la moindre esquisse, décors compris, y est scrupuleusement fignolé tout en laissant, sur le faciès des protagonistes, un rien de simplicité qui là encore, pourrait bien évoquer une composition Shônen. Paneling, scénographie, dessin, tout ça s’agence et s’imbrique dans un arrangement dont l’orchestration confine en réalité à l’excellence.


Mais ces visages, pour peu qu’ils y approchent, de la focale, gagnent en précision au point presque de se confondre avec une photographie. Excepté Masatoshi Usune, je crois n’avoir jamais lu un auteur dont les protagonistes nippons ressemblent à ce qu’ils sont. C’était, je crois, la première fois dans un manga où je découvrais des contours asiatiques sur le visage de nippons. Et c’est sans compter les sales gueules affichées en série ; dans le désert du Kantô y’a pas de soin de beauté, et tous les traits sont burinés par le sable, la crasse et la vilenie. Cela, rien que cela, suffit amplement à nous plonger dans un univers qu’on sait crédible par le plus moindre de ses aspects. Le désert du Kantô n’en avait alors pas fini de s’ébaucher que nous nous sentions d’être ses citoyens d’honneur. Chaque ligne de script qui viendrait, une lettre après l’autre, n’en finirait alors pas d’élaborer ces fondations solides pour y échafauder pierre après pierre l’un des plus fabuleux monuments sur lequel on put poser les yeux et y reposer l’esprit.


Les cases défilent, et, bien que l’entame de l’œuvre ait tout de l’entrée en matière la plus conventionnelle qui soit, avec son lot de brutes, de demoiselle en détresse et de héros, le premier chapitre s’effeuille jusqu’à ce qu’on découvre que, de tout cela, il n’en est rien. Très vite, mais à point nommé, nous saurons que Kanta, bien qu’intrépide dans ses œuvres, ne saurait être légitimement qualifié de héros. Point d’anti-héros bourru n’est à déplorer ici non plus, qu’on se rassure ; jamais Kanta ne fait justice au nom du bien. Pétris de vice jusqu’à la plus petite cellule qui le compose, il est assez vénal, sournois et libidineux pour qu’on ne lui trouve rien de charmant. Je ne vous conte pas là un de ces protagonistes porté sur la drague lourde, ou venu jouer les mercenaires impitoyables tout en dissimulant un grand cœur. De l’Humanité et des belles choses, Kanta n’en a cure, n’agissant pour le compte que de ses intérêts stricts, dévoilant les imperfections dont il est fait sans chercher à les contrebalancer par la moindre vertu. C’est sans vergogne, et avec le sourire, qu’on le saura prompt à vendre des enfants en esclavage et séquestrer une demoiselle afin de lui arracher ses faveurs les moins avouables.


Mesdames et messieurs, notre héros.


Enfin quelqu’un de vrai et de sinistre qu'on ne peut, néanmoins, s’empêcher d’aimer. Tant de petitesse en un seul homme, cela exerce sur nous – en tout cas sur moi – un charme irrésistible tant on se plaît à le voir s’abaisser sans cesse à plus vile manœuvre que la précédente. La focale ne serait-elle pas posée sur lui qu’on aurait juré qu’il s’agissait là d’un de ces méchants perfides et lâches comme on en trouve parmi les antagonistes subalternes.

Et vous ne savez pas encore jusqu’où il ira dans la bassesse ; vous n’en avez d’ailleurs pas la moindre idée à ce stade. Pourtant, jusque « là », il ira d’un pas assuré, sans s’embarrasser à regarder en arrière. N’espérez pas de lui qu’il s’impose la moindre la moindre limite, il est un personnage authentique et prêt à tout pour ses seuls intérêts. Certains sourient, condescendants, d’autres, peut-être les mêmes d’ailleurs, roulent des yeux, indisposés qu’ils sont à me croire sur parole.

De ce que j’écris ici, vous en attesterez lorsque vous l’aurez lu jusque dans les plus noires profondeurs de Desert Punk.


Oh mais, c’est potache, ça sait être léger ; ce qui ne rend l’horreur que plus terrible pour ce que sa présentation a d’indolente et de vraie. Les rires seront cependant un peu plus grinçants et crispés à mesure que viendront s’agglomérer les éléments d’intrigue qui, nous parvenant insidieusement d’abord, auront tôt fait de nous cerner dans un scénario dont on n’aurait jamais soupçonné qu’il put être si bien agencé.

Le héros ne l’est pas, la demoiselle en détresse l’est moins encore ; le désert du Kantô érode les cœurs et personne ou presque n’est ici digne de confiance. Si l’humanité a pu laisser subsister un semblant de société au milieu des vestiges de l’Armageddon, elle se sera adaptée à son environnement. Si c’est du post-apocalyptique qu’on lit ici, c’en est un qui a su se rendre réaliste à force de crédibiliser le moindre élément qui le compose, de la sociologie de ses personnages jusqu’au contexte politique ambiant.


Les agréments – y’en a tant – seront eux aussi autant d’arguments éloquents pour vous engager à poursuivre votre lecture sans avoir à rechigner un instant. L’auteur est un mordu d’armement et nous le fera comprendre à chaque tir qu’il saura toujours habilement mettre en scène. Outre les crachoirs, il s’attardera tout particulièrement sur les armures du désert, prolongeant le vice, pour notre plus grand plaisir, jusqu’à en détailler les composants en fin de volume pour que nous soyons érudits de ses plus infimes atouts. Et des modèles d’armure du désert, nous n’avons pas fini d’en voir défiler, aux propriétés diablement ingénieuses et réalistes, y compris pour les plus perfectionnées d’entre elles. Rien que le système de treuil de l’armure de Kanta nous ouvre des boulevards de ruses qu’on ne pourra que se plaire à déguster.


Cet aspect pris en compte, on sait que chaque affrontement qui nous parviendra, par-delà les canonnades enfiévrées, sera parsemé de tactiques et autres astuces somptueuses à même de nous régaler de la moindre action qui s’y déroule. D’autant que celle-ci, d’action, y est chaque fois dépeinte divinement, par un dessin et une orchestration des planches esquissés sur mesure.


L’œuvre délivre à ses lecteurs son lot de personnages secondaires, tous plus minables et cauteleux les uns que les autres. Pas un signe de morale ou de probité n’est à recenser, l’honneur et la vertu ayant, depuis long, été ensevelis sous les sables du Kantô. Mais c’en est si bon enfant qu’on se plaît dans cet environnement sordide sans même avoir à y forcer nos accès.

À quoi tient une histoire digne d’être lue ? À un script qu’on aura pris la peine d’accoucher du début à sa toute fin avant même d’y poser par-dessus le plus insignifiant croquis. Desert Punk, s’il est un délice d’écriture enrobé d’un contexte mûri et pensé jusqu’au plus dérisoire de ses composants, doit ses mérites à la planification méticuleuse de sa trame. Dès le chapitre six, une promesse nous est faite quant à l’avènement d’un dénouement scénaristique très ultérieur. Croyez-le et patientez à dessein, cette promesse sera tenue par-delà ce que vous pourrez concevoir. Cet engagement, vous l’aurez oublié lorsque, très subitement, il se rappellera à votre bon souvenir au gré d’événements futurs.


Desert Punk a été pensé du début à la fin sans qu’une omission ne soit à déplorer du long de sa partition. Sa symphonie, contrairement à trop de mangas, ne s’improvise pas en free jazz après dix chapitres, car elle s’accepte ici comme un opus dei qu’on aura composé savamment de la première à la dernière note. Ce n’est qu’à compter de là que Masatoshi Usune, en interprète virtuose, entama son œuvre pour y poser le crayon après avoir rangé la plume.

Qu’elles sont savantes ces informations de fin de tome, avec leur cortège d’éruditions techniques en matière d’armement ou de survivalisme. À voir tout le barda que se traîne Kanta et les arpenteurs du désert, on se demande où l’auteur trouvait chaque fois le temps de les détailler sur chacune de ses cases. Sans doute, cette attention délirant porté au détail explique pourquoi Kanta est si souvent couvert de sa cape ; au moins pour épargner à son démiurge de trop avoir à esquinter son crayon sur les bagatelles.


Et pourquoi Togashi au fait ? Pourquoi présumer une parenté, au moins stylistique, entre les deux auteurs ? Car la ramification, entre eux, se fait par deux endroits.

Par le dessin, d’abord. Le style graphique de Togashi, cohérent et propre à cet auteur, s’avère néanmoins protéiforme, traversant les époques une mue après l’autre. En 1997, date à laquelle paraissait Desert Punk pour la première fois, je trouvais entre les deux des proximités graphiques saisissantes entre l’œuvre de Masatoshi Usune et ce qu’on put voir parfois traîner en fin de Yu Yu Hakushô et tout particulièrement, durant la période Level E. Les intenses nuances ombragées, les vêtements froissés, tant de petites choses qui font un tout, qui élaborent un style dont les attraits se reconnaissent pour peu qu’ils se profilent entre deux œuvres.


Par-delà les yeux, la jonction entre Togashi et Usune s’accomplit aussi par l’esprit ; par le procédé narratif et ce que celui-ci nous relate. La chose nous apparaît plus claire encore depuis que l’arc de princes de Kakin s’est élaboré ; les deux auteurs aimant à travailler un contexte politique détaillé aux protagonistes multiples et aux imbrications tortueuses. Ce sentiment, à la lecture, je ne l’ai jamais retrouvé qu’en lisant ces deux auteurs bien particuliers dont les compositions s’interpénètrent plus volontiers que ne le concevrait un regard amateur. Il ne fait nulle doute que les deux hommes se sont nourris de leurs compositions mutuelles afin de renforcer leurs œuvres. Encore une fois, que le frère de l’un travailla pour l’autre ne contribue qu’à renforcer cette hypothèse qu’un œil averti tient pour certain.


Tout est sale dans Desert Punk, de l’épiderme jusqu’à l’âme. L’eau y est rare et, de là tout s’explique, mais de ces salissures perpétuelles, on en rit. C’est notre univers à présent, on s’habitue à la crasse et à l’odeur, on trouve même un charme certain à ce panorama de dunes et d’habitations délabrées. En dépit de l’Apocalypse survenue, le drame paraît ne jamais trouver sa place. Rien n’est toutefois traité désinvoltement et, un enjeu, même d’un instant, s’empare de vos tripes dès qu’il advient jusqu’à ce qu’il se résolve – et toujours divinement. Mais l’auteur s’abstient de forcer le trait pour accentuer l’ombre. Il n’y a, dans Desert Punk, ni cri, ni larme – l’eau est précieuse – ni pudeur d’apparat. Quand la tragédie s’accomplit, la vie continue aussitôt, dure et âpre, mais avec son lot de réjouissances simples. Voilà un auteur de génie pour articuler un pareil équilibre entre légèreté et gravité, s’abstenant de verser dans le frivole ou le trop sérieux pour garder la cap sans jamais tanguer. Et c’est aussi pour ça que le rendu nous apparaît réaliste par l’adversité et le lot du quotidien car, de ce quotidien, dans le désert du Kantô, chacun aura appris à composer avec.


Kanta, jamais ne roule sur l’intrigue ; le chemin aura chaque fois été rendu cahoteux pour qu’il s’y foule une cheville sinon les deux. Ses plans, savants et astucieux, à base d’embuscades traîtres et sournoises, ne se déroulent jamais comme prévu, et c’est le plus souvent lui qui se trouve pris au dépourvu, à devoir désespérément raccrocher les wagons pour sa vie. Voilà un protagoniste comme je les aime, imparfait, faillible, malin, mais jamais brillant. L’intensité des enjeux n’en est que décuplée dès lors où on sait le personnage principal si prompt aux échecs ; ses victoires souffrant généralement d’un contrecoup majeur.

C’est la guerre ma brave dame et, à ce jeu là, personne ne gagne jamais.



Mais qu’est-ce qu’on se marre ! Les foirades sont légendaires et jamais grotesques, la tactique a beau jeu et les adversaires ont du répondant. Ajoutez à ça les armures et la mise en situation, chaque fois fignolée aux petits oignons, sans compter l’humour noir… vous n’aurez même pas l’occasion de vous plaindre de quoi que ce soit, même à vous forcer à le faire.

Il est si retors, notre héros, que l’un de ses clients aura même cherché à demander de l’aide aux bandits contre lequel Kanta devait le prémunir lui et les siens. C’est pour ces petits moments, et tous les autres, qu’on ne peut qu’adorer ce personnage.

Loin de s’en tenir au format des aventures épisodiques, bien qu’en prenant néanmoins la voie apparente, chaque épisode des pérégrinations mercenariales de Kanta s’inscrit dans un temps long de vingt-deux volumes. Du reste, la moindre de ses missions est un plaisir de gourmet, sachant varier ce qu’il faut sans que jamais une redondance ne se profile. Une bête mission d’aide aux villageois prend ici des dimensions spectaculaires et démentielles sans jamais rogner sur la crédibilité et la cohérence. Masatoshi Usune excelle si bien dans ses œuvres que même un format de narration que je croyais abhorrer en devient un régal.

Les scènes de combat, de guérilla dans le désert, sont criantes de justesse et de vivacité. La scénographie, en usant de ses effets, est toujours dans les bons tons, donnant lieu à des théâtres de guerre à échelle réduite où les tactiques guerrières vont bon train. À ce niveau-là aussi, le rendu est prodigieux.


Lorsqu’on craint, pour de bonnes raisons, qu’un personnage juvénile et féminin – double peine – ne ruine l’ambiance instaurée jusqu’à lors, Taiko/Kosuna tombe opportunément pour partager l’affiche avec Kanta. Aussi roublarde que son maître, moins maline cependant, elle aura su le rouler en faisant appel à ses vices afin qu’il l’admît comme larbine. Vous n’en lisez pas beaucoup, de ces mangas où le héros, présumé sympathique, s’embarrasse d’une fille de quatorze ans avec l’espoir défini de la conditionner à lui être soumise jusqu’au jour où elle sera pubère. C’est le genre d’humour avec lequel on fraye ici, aux frileux de passer leurs chemins et d'aller se perdre dans le désert ; celui de l’édition manga contemporaine. Car l’humour ici, comme le reste d’ailleurs, ne s’embarrasse pas de scrupule pour marquer, sans jamais toutefois se risquer à un registre graveleux ou excessifs, les personnages féminins étant finalement très peu sexualisés en dépit des travers de Kanta.


Graduellement, les contours se dessinent plus clairement. Ce futur post-apocalyptique succède à une période futuriste dont les reliques repêchées auront une incidence dévastatrice sur l’écosystème politique des fragiles Oasis de Kantô. Et c’est autour de cette intrusion technologique – naturellement militaire – que s’agencera le lot de manœuvres politiques amenées à s’enchaîner par la suite. Pour une fouille dans un désert, un monde entier bascule, et nous serons au beau milieu de la tourmente.


Mais avant que la tornade ne chemine, la bise souffle paisiblement, aussi nous y viendrons en temps voulus, progressivement, sans jamais forcer le destin. Et quel destin, mes aïeux !

L’intrigue, dans sa globalité, ne se construit d’abord que comme un récit linéaire, mais en parsemant, mission après mission, des pièces d’un puzzle qui, d’un coup ou presque, s’assemblera pour nous offrir une nouvelle perspective sur les événements en cours. C’est aussi ça, savoir écrire son script.


Un script qui décolle d’une première strate à compter du volume huit, là où les pièces du puzzle, jusque là réparties en une myriade de personnages et de factions, s’entremêlent pour définir le paysage politique complexe et tortueux avec lequel nous serons amener à composer. Ce qui s’avérait déjà intriguant devînt alors fascinant, la trame gagnant en densité pour mieux s’inscrire dans un contexte qui, jusque là nébuleux, se définit plus nettement à mesure que viennent les chapitres, posant un à un les jalons à même d’orienter l’histoire. Les bouleversements sociaux ne sont pas le fait de cataclysmes ou de quelque autre banal élément perturbateur venu tout chambouler ; l’Oasis Ouest s’écroule lentement du fait d’un pourrissement généralisé, comme cela est le propre de toute société complexe. La redistribution des fruits des excavation en est la cause première, celle-ci résultant du tarissement des ruines, entraînant quelques insidieux mais inquiétant bouleversements des rapports sociaux. Les mineurs sont peu à peu déconsidérés, les commerçants s’arrangent avec les brigands ; le désert du Kantô s’effondre en silence, faisant le lit d’une sédition balbutiante venue grandir en son sein comme un cancer. Le portrait dressé du paysage politique est d’une redoutable acuité, rien n’est abandonné sur l’autel de la facilité alors que tous les efforts d’écriture se destinent à l’élaboration d’un contexte politique d’une cohérence et d’un réalisme hors du commun.


Manigances et coups bas parsèmeront la trame politique qui se dessine ; Kanta, devenu officieusement contractant des basses œuvres de la faction gouvernementale dissidente, n’est ballotté que comme le pion dérisoire d’une lutte intestine et clandestine. Mais savez vous, vous autres, ce qui advient d’un pion ayant franchi l’échiquier ; quel est son sort après avoir esquivé mille morts ?

Ainsi qu’on l’agite comme un mercenaire dérisoire quoi que précieux, Kanta change et se décompose. Lui qu’on connaissait si roublard et vindicatif cède à la morosité, s’éteignant peu à peu de désespoir.

Du moins le croit-on, car tout est calculé chez cet homme-là, à commencer par ses intérêts. Un mercenaire ne tire-t-il pas, après tout, ses rentes de la misère ? Car c’est une crise politique sévère qui frappe l’oasis ; c’est dans ces instants charnières de l’histoire que tous les espoirs sont permis. Et il va se permettre des choses Kanta, car s’il ne souhaite pas devenir Seigneur des Pirates ou le prochain Hokage, ça ne l’empêche pas d’avoir des ambitions bien précises dont on ne discerne cependant pas encore les contours exacts.


La menace que constituent les ennemis par la suite croîtra une mission après l’autre, le progrès technique annihilant qui reste à la traîne de ses avancées… à moins de compenser l’écart par son lot de manœuvres tactiques astucieuses. Les victoires, le plus souvent, ne s’arrachent que dans la retraite et la compromission ; car c’est une réussite que de seulement réchapper à de pareils adversaires.

Adversaires qu’on ne saurait cependant dépeindre comme des « méchants ». Les deux « fantômes » partis pistés Kanta s’illustrent par leur générosité envers le peuple. Cette organisation n’a rien de maléfique, mais simplement des intérêts divergeant de ceux dont on suit le parcours. Et très honnêtement, la faction Ookami, en dépit de ses nobles desseins, laisse à désirer dans l’exécution de ses projets. Régénérer les méfaits de l’ère Ankoku pour la prospérité populaire a tout d’un pacte faustien qui, le plus inexorablement du monde conduira au prométhéisme le plus dévastateur qui soit ; le même qui détruisit le monde d’avant. L’auteur n’est pas partial dans ce qu’il nous expose, présentant chaque fois la thèse et l’antithèse des idéologies qui nous parviennent. On peut ainsi autant souscrire à la doctrine d’une faction que celle s’opposant à elle.


Graduellement, à la manière d’un voleur chinois, Masatoshi Usune éloigne Kanta de la focale et des projecteurs, versé qu’il sera dans les « opération électorales ». Sans qu’on s’en soit aperçu, en quelques chapitres à peine, il semble que Taiko ait raflé le prix du personnage principal de l’intrigue. Le manga s’appelle Desert Punk après tout et, son maître, pour s’affairer aux missions d’assassinat confiées, lui en abandonne justement le titre. La transition du maître à l’élève aura en tout cas été indolore. Presque imperceptible d'ailleurs.

C’était la passation de flambeau, le préambule d’un spectaculaire coup de théâtre au terme duquel, celui qui était pourtant protagoniste principal de l’œuvre, virera de bord après avoir cherché à éliminer ses compagnons. Même en considération du tempérament de Kanta, on n’aurait osé espérer ça de lui. Et pourtant, si on s’en stupéfie, le recul nous amène à reconnaître que cela n’avait finalement rien d’étonnant venant de sa part. Ainsi le héros de l’œuvre en devient son antagoniste majeur. C’est aussi parce qu’on a droit à ce genre de délices qu’on se pourlèche les doigts chaque fois qu’on tourne une page de Desert Punk.

De la crise économique résulte une inéluctable guerre, une dont le Desert Punk sera partie prenante, ses missions à présent tournées vers la guérilla. Je dois admettre cependant que le début la mission des tunnels et Mizusaki était assez confuse et m’aura pas mal désintéressé de l’affaire. J’avais non pas l’impression de lire Masatoshi Usune, mais Masatoshi Usune qui lirait par-dessus sa propre épaule. La formule y était, l’entrain déficient. La fébrilité de l’arc est sans doute à mettre sur le compte de la santé de son auteur. C’était à cette époque qu’il prît deux pauses de quatre et trois ans, interrompant dès lors son récit et peinant à se remettre dans le bain. Cela se ressent péniblement à la lecture. Mais durant trois chapitres seulement, l’intrigue et ses tenants retrouvant grâce aux yeux de leur lecteur. Ce sera la seule courte baisse de régime dont accusera l’œuvre ; suffisamment rare pour être remarquée.


Plus les arcs progressaient et plus le récit, dans la manière qu’il avait de se conter, ressemblait à ce que Togashi construisait depuis ses arcs récents. C’en était perturbant, mais évidemment délectable ; les proximités des deux styles n’en apparaissaient que plus probants. La forte impression de jadis tourna à la certitude assumée dès lors où s’orchestra l’arc Hameau NO.14 et son corollaire de joyeusetés répressives.

Les événements de la mine D-3 constituent vraisemblablement l’un des meilleurs récits de guerre qui puissent être. Ce n’est pas faire offense aux vétérans venus nous chroniquer leurs déboires que de dire qu’ils n’ont pas été à même de nous détailler aussi précisément le déroulé d’un siège militaire et de son défilé d’atrocités, sans jamais qu’il ne soit besoin de charger la mule. La guerre, quand on s’applique à la chroniquer, est autrement moins glamour que d’autres se plaisent à la dépeindre. Pour un peu, on sentirait presque l’odeur de décomposition des cadavres tant celle-ci nous est rapportée avec une acuité diabolique. Le volet stratégique n’était pas en reste alors qu’on renouait avec Stratège en allant même au-delà de ses prérogatives. Du caviar à la louche durant vingt deux volumes, c’est ça, Desert Punk ; avec une fragrance différente à chaque nouvelle bouchée. Et croyez-moi bien que tout ça se savoure sans même avoir besoin d’un appétit.


Puis je voyais s’égrainer les chapitres, l’un après l’autre, à m’en repaître goulûment jusqu’à ce que la nervosité me guetta.

« Comment il va conclure en si peu de temps ? »


Il y avait tant de fils à nouer pour que tout fut complété. La guerre de l’Oasis Sud contre l’Oasis West, le conflit interne de l’Oasis Ouest, la Clairvoyance huron arrivée sur le tard, la mission d’Amagumo et puis… les desseins de Saint Kanta, tout de même. Or, à dix chapitres de la fin, nous étions à mille lieues de tout cela, et même des protagonistes auxquels nous étions accoutumés.


L’auteur s’applique tant et si bien qu’il s’attarde sur le moindre détail et paraît omettre que l’intrigue dans laquelle il est engagée est une course de longue haleine, un marathon où, à chaque nouveau kilomètre franchi, il s’attarde prendre le paysage en photo et se renseigner sur le moindre de ses tenants. Desert Punk est un manga complet, mais un qui ne le sera jamais assez faute de ne pas avoir poursuivi son parcours suffisamment longtemps.

C’est là que me vient une nouvelle idée de proximité entre Masatoshi Usune et Yoshihiro Togashi ; pas une dont nous trouverons cette fois matière à nous réjouir cependant.

La jurisprudence Yu Yu Hakushô, il y en a à qui ça parle ; à qui ça hurle ?


Ce retour sur le premier théâtre de guerre entre les Oasis Ouest et Sud, outre son strict contenu, visait à mieux contextualiser le cadre d’une guerre dont on n'eut jusque là que des aperçus échappés par bribes. Passé la violence de la Mine D-3 et des premiers conflits armés, le conflit, parce qu’il était trop ruineux en ressources, déjà rares dans le désert du Kantô, après un mois seulement, muta en un conflit larvé, de l’ordre de celui qui, depuis des décennies, se poursuit officiellement entre Israël et la Syrie ; sans que toutefois des mouvements de troupe ne soient à déplorer ; la guerre n’étant alors plus qu’un concours de regards en chien de faïence parsemé de courtes et fugaces escarmouches.

Tenant compte de ce cadre, le lecteur aborde ainsi l’intrigue d’un regard neuf bien que le contexte n’ait en réalité pas varié d’un iota.


Ce dernier chapitre, s’il boucle la boucle – quoi qu’en la tordant ce qu’il faut pour la contorsionner – n’est pas non plus le plus satisfaisant qui puisse se concevoir. Non, en réalité, il aurait peut-être fallu deux volumes de plus a minima pour achever d’arrondir les angles. Si la chute ne nous tombe pas dessus comme un couperet, elle nous laisse des regrets au cœur. Si ce n’est Akio, nous n’avons pas revu les frères Kawaguchi depuis cinquante chapitres au moins ; et que dire de Junko, personnage majeur du récit, purement et simplement oblitéré de la trame telle une vulgaire Lunch.

Et puis il y a le dessin. Les derniers chapitres témoignent et crient la fatigue de son auteur. Physique d’abord, psychique ensuite, c’est sa santé qui lui a vraisemblablement arraché sa conclusion. Scénaristiquement parlant, cette fin était irréprochable, son seul défaut étant d’être advenue trop brutalement, sans un épilogue à même de brasser assez large pour qu’il n’y eut aucun laissé pour compte. Ce ne pouvait pas nécessairement être mieux, ç’aurait néanmoins du être autrement. La fin de Desert Punk ne déçoit pas, pas entièrement du moins, mais elle fait forcément bouillir en soi un rien de frustration qu’on ne saurait taire en dépit de toute l’estime en laquelle on put tenir l’œuvre jusqu’à lors.

Rien, toutefois, qui vous fera jamais regretter d’en avoir un jour défloré les premières pages.

Josselin-B
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le 12 juil. 2024

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Josselin Bigaut

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