Tsutomu Takahashi. Voilà un auteur qui se sera employé à me faire graduellement perdre toute estime à son endroit alors qu’il n’en finissait plus de lacérer sa crédibilité un coup de pinceau après l’autre. Après Bakuon Retto, je l’avais sincèrement pris pour quelqu’un de sérieux. Puis vinrent Neun et Soul Keeper qui, par la puissance sourde de leur récit, me démontrèrent quel guignol nous gratifiait de ses œuvres. Un Takahashi aujourd’hui ? Je l’aborde avec une pelle avant même de le lire, car il y a de grandes chances pour que je me retrouve à devoir l’enterrer.


Un personnage principal haïssable au possible pour ce qu’il a de spécieux et de faussement cruel à faire valoir, des Yakuzas cruels qui enferment un gosse pour le tuer afin de choper moins de dix-mille euros, une jeune « fille » ravissante et impavide qui se fera la/le complice du protagoniste… je voudrais l’agonir d’injures ce manga que je ne le pourrais pas du fait qu’il ne suggère rien, ni la haine, ni le mépris, pas même la consternation. Comme trop souvent avec Takahashi, l’encre y est abondamment étalée sur le papier sans trop que l’auteur sache ce qu’il a l’intention de raconter. L’œuvre est muette en ce sens où elle n’a rien à dire. Lisez-la sans même laisser votre regard esquisser une bulle de texte, et l’expérience sera la même que si vous aviez glané jusqu’à la moindre syllabe. Ça n’est pas contemplatif : c’est ennuyant.


Ennuyant avec des relents de sensationnalisme supposés choquants alors que le chef de clan Yakuza, libidineux, vicieux et cruel, astreint Daigo aux brimades comptant parmi les plus licencieuses qui soient à compter du deuxième chapitre. Car il est méchant, comprenez-vous. Cela, l’intrigue ne se chargera jamais suffisamment de nous le rappeler, quitte à être outrancière.


C’est si mauvais et mal inspiré que c’en est éreintant, les forces me quittent un peu plus à chaque page qui vient.


Je retiendrai toutefois mes coups alors que la thématique du travesti, pour une fois, nous épargne le plaidoyer politique tel qu’il se pratique en nos contrées depuis des années maintenant. Le personnage y est présenté pour ce qu’il est, et non comme un pamphlet sur pattes à gloire des légers hébétés. C’est assez rare pour être souligné. Et si ça ne me fait pas remonter monsieur Takahashi plus haut dans mon estime, cela le dispense de tomber plus bas.


Fut un temps où je trouvais que le dessin de Takahashi avait des airs très empruntés à Akio Tanaka. J’observe avec Détonations qu’il se laisse aller à présent vers du Araki post 2010. Pas celui qui vieillit comme le bon vin, plutôt de ce dessin déliquescent comme une graisse adipeuse au bout de l’abdomen. Le trait a beau être élaboré, ça trouve souvent le moyen d’être hideux et quelconque.


Aucun personnage ne sera développé, qu’on se rassure, l’auteur ne va pas déroger ici à ses principes parmi les plus fidèles qui consistent à ne surtout pas s’appesantir sur l’écriture. On navigue à vue, on va nulle part, et même sans avoir où l’on se dirige, on se perd plus que de nécessaire pour ne dire à l’arrivée.


L’action y est grotesque et adolescente sans prodiguer d’effet particulier à la lecture si ce n’est un profond ennui devant une scénographie dépourvue d’intérêt, là encore, on évolue en terrain connu. Si ce n’est prendre des airs et faire de l’esthétisme plutôt que de présenter les choses par la pose pour la finalité de la pose, le dessin ne retranscrit rien. Je le dis assez souvent, un dessin rudimentaire et expressif vaudra toujours infiniment mieux qu’un crayonné de maître dépourvu de la plus petite trace d’âme.


Donc, Edgy McDark tue des Yakuzas tranquillou et s’en va avec son travelo à Shinjuku puis se fait poursuivre par le chef des méchants qui, rappelons-le… est très très méchant. Il profane le corps de ses hommes de rage, escompte dévorer les yeux de notre protagoniste avec du wasabi – alors que ça pique – et persiste à vouloir brimer le travesti qu’il traquera sans relâche.


Naturellement – NATURELLEMENT – la route jusqu’à Shinjuku sera semée de drames d’un ridicule consommé. Un suicide de sœur par-ci advenu dans tout ce que le dramatisme a de plus débile et mal écrit, puis un enfant abandonné par-là. Enfant dont on ne se doute pas, là encore, qu’il adoucira le caractère stupidement ténébreux du personnage principal à force de s’y éprouver. Je crois que Takahashi a la prétention d’écrire la suite de Bonne Nuit Punpun en s’essayant à ces drames humaines en pâte-à-modeler. Pas vraiment, Tsutomu. Pas vraiment.


« Ouais, on est une famille dysfonctionnelle tu vois, moi je suis un travesti et toi t’es un type asocial, mais ensemble, tu vois, on va élever un enfant en fait » sera le propos navrant de ce manga nous parvenant après que le quart du récit soit entamé.


Tout le monde est méchant, tout le monde est vicieux – à commencer par ceux qui ont des têtes de vicieux, ce qui tombe rudement bien – mais nos héros, vaillants, surmonteront dans leur cavale l’adversité d’un monde cruel pour ces âmes pures mais tourmentées que sont les leurs. (lisez ce paragraphe avec une voix de lectrice de Marie-Claire si vous souhaitez mieux percevoir le sarcasme). Bon Dieu, on nous gratifiera même des Ténardier à la sauce Takahashi. Le goût ne sera évidemment pas fameux tant tout s’écrira sans subtilité.

Si vous voulez une histoire de cavale avec un misanthrope cruel et lui aussi dépourvu de sourcils, mais avec cette fois une écriture démentielle, The World is Mine vous ouvre grand les bras.


Ah oui, et l’enfant qu’ils trimbalent avec eux s’avère être le fils du chef Yakuza à leur poursuite. Le lisier étant déjà si odorant qu’on pouvait aussi bien, à ce stade, y ajouter quelques pelletées de fumure par-dessus. La pestilence étant déjà à son comble, celle-ci ne pouvait en effet empirer davantage.

Ce manque d’inspiration qui conduit à multiplier les drames ridicules en série, Takahashi aura beau s’en défendre, ses scripts sont pareils à ceux qui parsèment les épisodes de télénovela. Sauf que lui, en tortillant du pinceau ce qu’il faut, mystifie son monde pour se présenter comme un brillant auteur.


Le trave est abattu par le méchant – vous ai-je dit qu’il était si méchant qu’il tuait ses victimes en laissant le corps derrière pour que la police puisse mener une enquête tranquillou ? – et notre héros part en croisade pour le venger. Car au fond, ce petit taciturne, il a un cœur figurez-vous ! Surprise et stupéfaction, n’est-ce pas ?

Pour retrouver l’assassin, il n’hésite pas à… se faire passer pour un travelo à son tour afin de remonter jusqu’à lui ?


Sinon… y’a Internet, tu sais. Tu rentres son nom et tu finis par avoir un idée plus ou moins définie de là où il se trouve.


Mais va pour la prostitution en travesti. T’as raison. Ça rajoutera du contenu choquant et brut… et racoleur. Surtout racoleur tant tout ce qu’on y délivre ici est purement gratuit. Et comme le dit l’adage, ce qui est gratuit ne vaut rien. Du tapageur à pas cher pour créer une œuvre « poignante », ça esbroufera sans doute des midinettes, mais qui a un minimum d’esprit critique ne pourra que lever les yeux au ciel devant tout ce que Détonations a de tape-à-l’œil et de criard sous couvert d’une histoire sombre incapable de se doter ne serait-ce que d’un ersatz de crédibilité. Tout y est si adolescent qu’on jurerait le scénario rédigé par un élève de cinquième mal dans sa peau se figurant être un génie incompris au beau milieu de sa puberté laborieuse.


Il butera aussi un Yakuza avec un pic à glace alors que ce dernier le tenait en joue à bout portant.


Si tu veux, Tsutomu. Si tu veux. Moi, je suis plus à ça près, tu sais.


Satoru est un protagoniste invincible, inflexible, qui jamais ne cille ou ne vacille et reste parfaitement calme en toute situation de crise. Golgo 13 ? Akira Satou ? Rien que des petites bites comparés à l’énorme zob de ce travesti étincelant. C’est fou tout de même d’écrire des œuvres par dizaines jamais être capable de concevoir UN SEUL personnage écrit convenablement. Statistiquement, ça défie l’entendement. Mais Tsutomu Takahashi est un homme de prouesses. Du moins quand celles-ci tendent vers le bas.


Et contre toute attente – ça n’est pas comme si tous les signaux étaient rouges vifs depuis un moment – Satoru, devenu à la fois Bonnie ET Clyde, se sacrifie pour sauver cet enfant qui a donné sens à la vie. Et c’est poétique, parce que c’est des réprouvés et qu’ils font des choses belles en tuant des méchants et en étant injustement châtiés, fin.


N’avais-je pas déjà écrit que Tsutomu Takahashi était un Tetsuya Tsutsui plus mijauré dans ses prévarications ? Car si tel n’est pas le cas, je profite de la présente occasion pour le faire dans l’allégresse. D'autant qu'ils ont les mêmes initiales.

Il faudra qu’on m’explique pourquoi on m’a tant recommandé d’œuvres écrites et dessinées par cet ostrogoth. Car autrement que d’avoir usé de ma plume pour sanctionner l’auteur comme un mercenaire le ferait au gros calibre, je peine à croire qu’on puisse seulement envisager que de telle déjections scripturales aient pu paraître dignes de trouver grâce à l’acuité de mon regard critique.

Josselin-B
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le 9 sept. 2024

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Josselin Bigaut

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