Le Quichotte et moi avons une histoire compliquée. Quand j'ai finalement été obligée de le lire pour un concours, j'ai consacré à ses deux tomes volumineux tout un été, sur une chaise longue au soleil. Quarante minutes de lecture (alors que je suis une lectrice endurante) finissaient systématiquement par me plonger dans un sommeil proche du coma. A ce train-là, vous comprenez qu'il m'aura fallu quasiment un trimestre. Le mieux, c'est que ce sujet n'est pas tombé au concours... Bref. J'aurais pu me contenter du panache si j'avais été moins mauvaise joueuse. D'un point de vue plus littéraire, je n'ai pas du tout accroché avec cette histoire hurluberlue dont je comprends les enjeux mais redoute la lourdeur narrative. Le style est quand même trèèès ampoulé, il faut l'admettre, et j'ai toujours été hermétique à l'absurde, considérant qu'il y a de meilleurs usages à faire de sa tête et manquant dramatiquement d'humour, comme chacun sait. Bon, considérant qu'on tient là le précurseur du roman moderne, le respect m'impose un silence stratégique. Pour autant, je n'ai pas renoncé à fureter dans l'univers de Cervantès et cette BD m'a fait de l’œil lors d'une visite à ma librairie habituelle. Il faut avouer que la couverture est attrayante. Le libraire m'ayant promis des physionomies remarquables, je suis partie avec ce gros livre sous le bras, et j'ai bien fait : l'histoire de don Quijote est respectée, fidèlement, mais l'accent est astucieusement mis sur son entourage bienveillant, qui se heurte à la pusillanimité de ceux qui préfèrent moquer la folie douce du chevalier errant ou carrément le pousser dans les cordes pour se divertir. Ainsi, l'ambigüité de notre espèce (re)devient-elle le véritable sujet de cette histoire, peut-être comme l'aurait souhaité l'auteur lui-même, qui lorgnait en douce vers un indubitable moralisme. Mais rien n'est trop appuyé ici, même si le trait est souvent outré. C'est toujours pour la bonne cause : l'expressivité des personnages est exemplaire, et on suit sur leur visage l'évolution de leur pensée. C'est assez rare en BD pour être souligné. En prime, les épisodes oniriques bénéficient d'une mise en couleur délicieuse, qui fait entrer une bourrasque d'air frais dans les paysages surchauffés de Castille. Je ressors de cette lecture sous le charme de cadrages admirables et d'une gestion des détails enthousiasmante ! Ça vaut vraiment le coup d'oeil ! C'est délicat, expressif, subtil et épique à la fois, et le dessin se met au diapason de chaque frémissement de l'histoire.