Pour leur deuxième collaboration, André Juillard et Yann continuent d'explorer les périodes méconnues de la guerre aérienne au XXème siècle. Mais là où Mezek se penchait sur l'après-Seconde Guerre Mondiale, Double Sept plonge désormais le lecteur dans son prologue : la guerre civile espagnole de 1936-1939.


Cette intention de sortir des sentiers battus et de dépoussiérer le genre, toujours aussi louable, n'est pas le seul point commun entre les deux albums, loin s'en faut : tous deux s'ouvrent sur le bombardement des populations civiles, le personnage principal est à nouveau un pilote étranger perdu dans une guerre qui le dépasse, c'est aussi un beau blond dont l'adresse aux commandes de son chasseur pourtant rustique ne connait guère de limites, et bien entendu, comme fait plus que le suggérer la couverture, il va s'amouracher d'une beauté locale.


Les comparaisons s'arrêtent là, cependant. Je n'irai pas par quatre chemins : Double Sept est une déception. C'est d'autant plus malheureux que comme nous pouvons nous en rendre compte, sur le papier la quasi-totalité des éléments qui faisaient le succès de Mezek sont là. Et ne nous y trompons pas, je ne demande pas son remake dans un cadre hispanique. Je déplore tout simplement l'approche beaucoup plus scolaire, bavarde et empruntée de ce nouvel album.


Qu'on s'en rende compte dès les pages de garde : c'est un véritable cours de géopolitique sur la Guerre d'Espagne que nous offre Yann ! Je conçois que ce conflit soit plus complexe (ça fait beaucoup de cons…) que celui pour la création d'Israël, mais tout ce qui est raconté là au sujet des tensions au sein du camp républicain et du dessein réel de Staline, le scénariste revient de toute façon dessus au cours de l'album lui-même ! Cela nuit à l'immersion et à l'intérêt pour la trame narrative que de balancer autant d'informations avant même que l'aventure ne s'ouvre.


Mais le pire, c'est que cet aspect de l'histoire n'est pas franchement passionnant et constitue davantage une diversion qu'une sous-intrigue. On ne sait rien de ce qui pousse l'émissaire soviétique à se tailler avec le magot, si ce n'est par pure cupidité. Un peu limité d'un point de vue scénaristique, non ?


De manière générale, tout parait plus amorti dans Double Sept, moins spontané. On se perd en lieux communs sur le fascisme, la soi-disante "lâcheté" de Léon Blum et du Front Populaire, le double-jeu de Staline, etc, au lieu de se focaliser sur les personnages et de laisser la "Grande Histoire" parler à travers leurs émotions. La présence d'Ernest Hemingway apparait particulièrement forcée, à cet égard, elle n'apporte rien au récit (plus anecdotique et subtil, comme Moshe Dayan dans une case de Mezek : le caméo de l'as allemand Adolf Galland, moustache et cigare aux lèvres, futur auteur de Jusqu'au bout sur nos Messerchmitts).


Il en résulte que notre couple titulaire, Roman le pilote soviétique et Lulia la pasionaria espagnole, parait presque tout aussi anecdotique. Tous deux sont bien introduits mais leur romance est expédiée en deux temps-trois mouvements ; ils se rencontrent et s'embrassent en quatre cases ! Où sont passés la naissance et le développement de cette relation improbable entre un Russe et une Ibère ? Difficile de vraiment s'attacher à eux dans ces conditions. Leur présence à Guernica apparait comme une case à cocher elle aussi, et la dernière planche est tout bonnement ridicule.
Les personnages secondaires ne sont pas mieux servis : les frères d'armes américains, français et espagnols de Roman et Lulia sont bâclés et les méchants caricaturaux, la palme revenant évidemment au commissaire politique, redite masculine de celle du Grand-Duc écrit par Yann.


Ce n'est hélas pas la seule erreur qu'il a commis : sur la forme, je déplore encore et toujours des dialogues ternes lorsqu'ils ne sont pas ridicules, cette fois-ci pénalisés par un véritable déluge d'hispanismes et de russe adapté phonétiquement. Ce sont là deux langues que j'adore mais les "Joder", "Me cago en Dios" et autre "Tchiort Vazmi" n'ont leur place que dans les BD "Pilote" de Charlier et Goscinny dans les années 60. Tant qu'à jouer la carte de la coloration, autant le faire à fond et laisser les dialogues russes en cyrillique, puisque 99% des lecteurs n'y comprendront rien de toute façon.


Plus grave, sur le fond Double Sept pue la vision enfantine et tendancieuse d'une période bien plus complexe et cruelle que ce que l'album veut bien nous montrer. Certes, les débordements des Républicains (luttes fratricides, viols de religieuses, purges…) sont dépeints, mais quand est-ce que Yann se décidera à explorer ces horreurs en leur sein plutôt que de les juger via des héros à contre-courant ? C'est le même choix de la facilité qu'il avait fait pour Le Grand-Duc. Dire texto que "le Stalinisme et le Fascisme, c'est peu ou prou la même chose" est un anachronisme, autrement Vassili Grossman n'aurait pas eu les pires ennuis du monde pour l'avoir écrit en… 1960. Et si Yann tient tellement à le faire savoir, ne pourrait-il pas le faire de manière plus subtile ? Mais qu'importe, ce travail de jugement et de dénonciation, aux dépens de la tentative de compréhension, des idéologies est lassant car il est paresseux, enfonçant une porte ouverte il y a des décennies.


Je serai en revanche beaucoup plus indulgent avec André Juillard, dont le dessin est toujours aussi beau. Dommage que ce soit au service d'un scénario certes divertissant, mais paresseux et assomant là où il aurait pu marquer les esprits. Que Lastima, comme dirait Yann.

Szalinowski
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le 5 mars 2019

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