J'entends souvent dire que les nains sont des guerriers courageux mais quand tu es en face d'un viandar, c'est juste une histoire de gros bon sens, pas d'héroïsme. Il s'agit simplement d'enfoncer la caboche de l'autre avant qu'il te raccourcisse et si on ne tourne jamais le dos à son ennemi, c'est principalement parce que quand t'as les guibolles deux fois plus courtes que ton adversaire, c'est plutôt risqué de t'enfuir en cavalant.
Un tome de transition ?
Dröh des Errants, le neuvième tome de la saga Nains, publié par les éditions Soleil et écrit par Nicolas Jarry, offre une nouvelle perspective sur l'univers captivant des « Terres d’Arran ». Cette série, qui se déroule dans un monde d'heroic fantasy, se démarque par son exploration de différents aspects de cet univers, notamment à travers les séries « Elfes », « Orcs & Gobelins » et « Mages ». Avec un scénario haletant qui se conclut (en général) en un seul volume, la saga Nains a de quoi captiver les fans du médiéval fantastique. Dans ce deuxième album centré sur l’ordre des Errants, l'histoire incarne l'enfermement qui sommeille dans l'esprit des esclaves qui en arrive à se garder de briser leurs chaînes. On plonge ainsi au cœur du microcosme de la partie tourmenté de ce peuple fier, en découvrant les cinq ordres qui composent le pouvoir de leur société : l'Ordre du Talion, du Temple, du Bouclier, de la Forge et des Errants. Cette épopée nous transporte dans un récit passionnant, offrant une vision renouvelée de l'univers des Nains. L'Ordre des Errants occupe une place singulière, bien qu'il ne soit pas officiellement reconnu en tant que tel. Il représente une caste tragique, regroupant les dépourvus d'ordre, ces errants exclus de la société qui se voient privés des quatre droits fondamentaux inhérents à la condition naine. Ces droits sont celui de forger des armes (la Forge), de porter des armes (le Bouclier), de participer au commerce et de posséder de l'or (le Talion), ainsi que le droit de construire des édifices en pierre taillée (le Temple). En conséquence, la seule alternative qui leur reste est de travailler la terre pour les autres castes, subissant brimades, mauvais traitements et impôts démesurés. Ces nains, dépourvus de tout droit, se trouvent réduits à l'exploitation par le biais de leur sueur, de leur chair et de leur sang. Des esclaves !
Après avoir été captivé par le premier tome consacré aux Errants, intitulé "Oösram des Errants", j'attendais avec impatience de retrouver Dröh et de suivre l'héritage laissé par son défunt père, celui d'une quête de liberté et de la libération des esclaves. Cependant, mes attentes ont été cruellement déçues. Lorsque Dröh revient chez lui, après sept longues années d'exil durant lesquelles il s'est entraîné, forgeant son corps, son esprit et son cœur dans l'acier, dans l'espoir de poursuivre l'œuvre de son père, il découvre une réalité désolante : personne ne veut plus entendre parler de révolution. Les flots de sang ont déjà trop coulé. Face à ce constat amer et devant le refus systématique de ses semblables, , Dröh décide de s'engager dans la construction d'une route qui traverse le pays des Vents. C'est lors de ce chantier ardu qu'il fera la rencontre de tribus Orcs, un peuple dont il ignorait tout jusqu'alors. Dans une construction en deux parties, Nicolas Jarry tisse une histoire empreinte de déceptions et de regrets. La première partie relate le retour du héros et ses retrouvailles, marquées par une amertume face aux réactions de ses pairs. La seconde partie dévoile l'évolution de sa personnalité dans un rôle inattendu, celui de guide parmi les exclus, les Orcs. Un récit qui explore avant tout la quête d'identité d'un personnage portant le poids d'un fardeau lourd, celui des espoirs brutalement anéantis de son père et de son peuple. Il apprend à ses dépens qu'il n'est pas son tendre géniteur et qu'il doit se trouver lui-même. Il cherche désormais à donner un nouveau sens à sa vie. Survient, les révélations surprenantes issues de sa rencontre avec une prêtresse orc qui vont bouleverser son périple et le guider vers un objectif semblable mais nouveau. Une incrustation imprévue bienvenue bien qu'elle ne m'a que partiellement convaincu.
Il est si facile d'allumer un brasier dans un cœur desséché.
Ce scénario se démarque au sein de la série, car il se concentre principalement sur un discours nuancé autour de la guerre, mettant en avant les luttes de classes et les notions de races. Cet album adopte une approche réfléchie qui relègue l'aventure et l'action au second plan, préférant souligner la volonté de briser les entraves psychologiques héritées de l'esclavagisme, présentes chez la majorité des Errants, plutôt que de se concentrer sur le combat en lui-même. En conséquence, on attend une guerre qui ne se concrétisera jamais, espérant ainsi voir l'ascension véritable des Errants à travers le fils prodigue qui, en fin de compte, n'est pas à la hauteur de nos attentes. C'est une désillusion pour le lecteur que je suis. Malgré la pertinence conceptuelle de cet album, sa conclusion laisse un goût amer. On a l'impression d'avoir sacrifié une histoire épique ainsi qu'un héros prometteur au profit d'un scénario, certes intelligent dans le fond, mais qui échoue à traiter pleinement de son sujet principal à savoir la libération. Au lieu de cela, il s'écarte et cherche à se donner une conscience intelligente, ce qui, malheureusement, agace même si ça reste pertinent. On aurait pu espérer quelque chose de différent après les attentes suscitées par l'excellent quatrième tome. La fin ouverte nourrit en moi l'espoir de retrouver Dröh dans le futur, afin qu'il puisse enfin devenir le Spartacus des nains et porter le flambeau de son père pour la liberté. Au moins, dans cette histoire, le personnage parvient à développer une maturité, une conscience et une expérience qui surpassent celles de son père. J'espère sincèrement que tout cela ne sera pas vain et que cela conduira à la suite que nous méritons. Car si l'histoire s'arrête là, cet album n'aura simplement servi à rien, et tout cela serait pour une déception immense. J'en viens à espérer que ce soit un album de transition vers quelque chose de conséquent.
Jean-Paul Bordier donne vie à des personnages dotés d'un charisme indéniable, évoluant au sein de panoramas grandioses qui allient charme et diversité, tels que Port-Gris, avec ses brimades et ses humiliations, ou encore le fameux chantier qui est subtilement mis en images. Un travail efficace sur les vignettes permettant une analyse approfondie et une immersion dans les dessins. Tout n'est pas parfait, cependant, car les dessins souffrent parfois d'un manque d'ambition en termes de composition et d'un style parfois trop simpliste. Néanmoins, ils soutiennent efficacement l'histoire grâce à un environnement ludique et un travail efficace des visages qui sont expressifs. On retrouve les caractéristiques trapues et les musculatures atypiques et virils des nains qui n'ont jamais été autant sublimés que dans l'univers des Terres d’Arran. Les couleurs vives réalisées par Digikore Studios apportent une belle intensité, tandis que la couverture réalisée par Héban Olivier avec l'aide de Bordier Jean-Paul est plutôt réussie bien que simpliste. Graphiquement, cet album offre une représentation frappante de la société naine et de ses normes sociales : le racisme, la hiérarchisation de la société et les relations envers les autres peuples. L'exploration de l'exploitation des Orcs est également appréciable.
CONCLUSION :
L'album "Dröh des Errants" offre une exploration intéressante de la société naine et de ses dynamiques sociales, mettant en lumière des thèmes tels que le racisme et la hiérarchie. L'exploitation des Orcs est également bien développée, offrant une perspective pertinente sur les relations entre différents peuples. Cependant, l'album souffre d'un manque d'ambition, avec un récit qui jamais ne répond au périple épique que l'on espérait. Une impression globale positive, mais avec beaucoup de réserves.
Ma note est peut-être un brun sévère, mais je ne peux pas juger cet album sans tenir compte de celui d'avant, qui promettait un périple épique qui jamais n'arrive dans cette suite.
J'avais entendu trop de ces discours... J'en avais prononcé moi-même un certain nombre. Des phrases creuses, des mots trompeurs, destinés à mener le troupeau à la mort.