Ancienne critique :
Très heureux de découvrir une série signée Jodo et Manara.
Rassuré par ce premier tome. Rien d'extraordinaire, mais une histoire bien dégueulasse et réaliste autant que puisse se faire pour des événements et des personnages qui ont pris à travers les siècles et les fantasmes une envergure mythologique. On est à la fois dans le propos ultra réaliste, de la real politik de l'époque, le cynisme le plus abject, avec des personnages baignant dans la perversion des institutions, des fonctions, un état de délabrement spirituel au plus haut sommet. C'est peut-être là que le glauque et l'infâme le disputent à une sorte de poésie du pire, avec un récit toujours plus baroque, des personnages plus hauts en couleurs. J'aime bien comment Manara et Jodo s'amusent des stéréotypes très "mauvais genre", dans l'érotique, le criminel, l'immoral, la complaisance à décrire ce niveau le plus bas de l'humanité, les plus bas instincts. On ne peut s'empêcher de pouffer devant tant d'horreur, ne pas y croire, d'y trouver l'outrance de ceux qui en ont rêvé. Et d'y voir là un terrain de jeux parfaits pour ces deux vieux crapauds. Et de se demander pourquoi ils ne se sont pas attelés aux Borgias plus tôt. Cela semble tellement évident.
Le dessin est très beau. Ce sont surtout les couleurs qui m'ont plu. Les femmes de Manara sont toujours les mêmes, sublimes. Elles sentent. Je ne sais comment dire. Je les sais grâce à son dessin, elles sont en chair, malgré certaines poses un peu factices. La plupart du temps, elles sont vrai. Au moins j'y crois. Non, ce qui change par rapport à son travail précédent, c'est vraiment cette colorisation, parfois éclatante, parfois aquarelisante, si je puis dire, mais tellement dans l'idée que je me fais des couleurs vives de cette époque. On voit que le dessinateur a pris son pied à recréer le vieille Rome, les détails domestiques ou publiques. Il y a certaines cases qui sont hallucinantes de beauté.
Nouvelle critique :
Je ne connais pas assez l’histoire papale médiévale pour juger de l’historicité réelle du récit. Je suppose que l’épice prévaut sur la réalité, la couleur et le contraste sur le fade et le flou. Aussi le récit privilégie-t-il les excès, une gourmandise dans la violence et le grotesque. Les décors et le contexte paraissent réalistes mais on n’est pas non plus dans le réalisme poétique et politique de Pasolini.
On se retrouve bien entendu dans un monde opulent, bruyant, avec des dynamiques internes promptes à l’agitation, comme sait les inventer le génial Jodorowsky.
Toutefois, les thématiques comme les méandre de l’histoire sont caractéristiques de la bande dessinée de Manara, avec ses nombreux virages, son outrance dans les traits, jumelée à une finesse d’exécution dans le graphisme et puis un soin particulièrement précis à la description qui finit par produire une esthétique à nulle autre pareille.
Si bien que ces deux créateurs sont d’évidence faits pour s’entendre : il y a une espèce d’ heureuse concomitance de styles et de visions. Ce premier tome alors spectaculaire est largement à la hauteur de mes espérances.
La mise en forme, dans les grands cadres, très cinématographiques pour le coup, jusque dans la couleur et l’image picturale qui en résulte, donne à l’ensemble fière allure. De la belle ouvrage ! Il s’en dégage un sentiment de grande sérénité dans le fond comme la forme. Le trait est sûr, tout en efficacité. J’aime beaucoup.
Et puis, quel plaisir d’admirer le dessin de Milo Manara… je ne m’en lasserai jamais ! Hâte de passer à la suite.
Captures