Duds Hunt
6.9
Duds Hunt

Manga de Tetsuya Tsutsui (2004)

Pourquoi.


Pourquoi faut-il que ce qui se présente humainement comme le plus exécrable des auteurs de Seinen se trouve être aussi le pire des stakhanovistes ? La réponse est quand la question, puisque la qualité s'accomplit autant au détriment de quantité que la quantité advient aux dépends de la qualité. On choisit d'écrire beaucoup ou de bien écrire ; mais jamais les deux à la fois.
J'entame donc la critique sur un procès d'intention. Toutefois, les intentions de ce bon monsieur Tsutsui, je m'y suis comme qui dirait échaudé par le passé. Assez en tout cas pour avoir un avis très arrêté sur tout son cheptel de lecteurs assidus. Car il a du succès en France, le bougre. Assez pour justifier une frappe nucléaire tactique sur tout le pays en guise de juste rétribution.


Que le brasier nucléaire me consume ; on n'a pas idée de s'humilier au point d'accorder le moindre crédit à un auteur dont le passif n'est pas aussi formidable qu'on s'accorde à le dire. Disgrâce parmi les disgrâces, de tous les mangakas présents dans le top 100 Seinen, Tsutsui est celui dont les œuvres y sont les plus nombreuses. Cinq mangas sur cent dans la liste et pas un pour en rattraper l'autre. Ce succès témoigne alors d'une ironie mordante.
Tsutsui, qui, au cours de sa carrière, a passé plus de temps à se plaindre d'une censure quasi-fictive dont il aurait été l'unique victime, est paradoxalement le plus exposé chez nous. Le principe de la censure promotionnelle a de beaux jours devant elle. Car sa notoriété, l'auteur, il ne la doit pas à son talent. Ça, c'est acté. Dud's Hunt, dans le dossier Tetsuya Tsutsui, figure à ce titre comme une preuve de plus visant à mieux accabler l'accusé.


L'accusé, parfaitement. Parce que Dud's Hunt, je l'avais condamné avant de le juger ; avant même de le lire. La méthodologie critique laisse à désirer dans le principe, j'en conviens. Mais le procès d'intention m'aura évité la déconvenue cinglante qui attend chaque lecteur au tournant.
Alors, oui, c'est mauvais. Mais on parle d'un niveau de médiocrité qui se mesure sur l'échelle de Tetsuya Tsutsui. Le nom, seulement, a de quoi indisposer à la lecture.


Il est des mangakas qui, chez moi, suscitent le mépris. Généralement parce qu'ils cèdent à la facilité de bonne grâce. Mais ceux-là... ai-je envire de dire.... ont au moins pour eux la flagornerie des truands. Quand Mashima nous pond une œuvre depuis son intestin grêle, il n'est pas dupe de ce qu'il a fait. Il sait bien que ça ne pisse pas bien loin. Mais ça pisse en tout cas suffisamment loin pour ruisseler dans son portefeuille.
Le cynisme de certains auteurs prend le pas sur le déshonneur. Tant qu'il y aura des victimes consentantes pour lire ce qui ne mérite pas même un coup d'œil, le filon sera exploité à l'envi et on ne saurait le reprocher à ceux qui le prospectent. Mais Tsutsui, contrairement aux autres prévaricateurs de sa profession, a le culot de penser qu'il a du talent pour l'écriture. Un peu à la manière de ces cinéastes réalisant des films d'auteurs chiants qui croient avoir les assises pour regarder de haut les auteurs de films d'action bourrins.
Y'a des nuances dans nullité ; deux zéros ne se valent pas. Cette arithmétique d'un nouveau genre, je l'ai apprise en multipliant les œuvres de Tetsuya Tsutsui. Car quitte à s'astreindre à des expériences de lecture douloureuses, autant savoir en tirer le meilleur parti.


Dud's Hunter, donc, car c'est ainsi qu'aura été nommé le nouveau forfait de son auteur, se veut un One Shot. C'est-à-dire un manga dont l'histoire s'en tient à un tome seulement. Et c'est heureux.
Mais ce One Shot, il loupe sa cible, qui qu'elle fut. Même qu'il explose dans le canon sans toucher qui que ce soit.


La recette d'écriture à la mode Tsutsui, c'est à l'odeur d'arsenic que j'en hume les fragrances. Ça a une pestilence commune, une que je reconnaitrais dans mon sommeil. Un manga signé Tsutsui, ça se sent avant de se lire. Pour autant, ça ne porte pas bonheur si on le piétine du pied gauche.
Vous me trouvez dur avec lui ? Attendez de voir à quel point il mène la vie dure à ses lecteurs en scrutant un instant Dud's Hunt, vous m'accorderez alors la présomption de légitime défense. Voire la grâce présidentielle.


Fidèle à ses principes, ou plutôt, à l'absence manifeste de remords et d'honnêteté que constitue sa profession de foi, Tetsuya Tsutsui démarre au quart de tour. Il y est question d'un manager qui rabroue injustement son employé par pur mépris de classe. Le supérieur hiérarchique, incarnant une figure d'autorité, est donc, dans le logiciel Tsutsui, un personnage intrinsèquement injuste, stupide, borné là où son employé - injustement calomnié - est pur et vierge de tout vice. Cela... jusqu'à ce que la fatalité n'amène ce dernier à se fourvoyer à l'insu de son plein gré.
Comprenez ma brave dame que si ce personnage vient d'un institut scolaire attribué aux délinquants, c'est parce que la société... [insérer palabre abscons et mensonger pour compléter].
Je n'en étais pas à dix pages et après avoir mis les pieds dedans, j'en avais déjà jusqu'aux genoux.


Un One Shot pour quoi ? Pour une cible dans laquelle on a déjà vidé un chargeur. Duds Hunt, ça s'entame comme le film The Game, ça se poursuit comme Gantz avant de se conclure en Battle Royale niveau maternelle deuxième section. Si je devais dire de ce manga qu'il y avait de l'idée dans son concept, je serais alors contraint de corriger en disant que, si idée il y avait eu, elle n'était pas de lui.
Parce qu'un One Shot, pour un mangaka, c'est l'occasion d'expérimenter, de sortir des sentiers battus. Changer un peu de registre, aller au-delà de sa marotte coutumière. Mais pour son auteur, Dud's Hunt, c'était avant tout l'occasion de griffonner des pages blanches sans savoir quoi mettre dessus. Car si l'on m'assurait que Tsutsui avait une idée bien définie de ce qu'il avait à écrire ce jour-là, c'est que mon diagnostique le concernant est en réalité autrement plus optimiste que ce qu'il en est réellement.


On a droit ici à un manga abusivement générique enfilant les clichés ininterrompus jusqu'à la crise d'épilepsie. C'est un patchwork de lieux communs éditoriaux. Mal cousu de surcroît. Je ne pourrais pas dire du bien de la narration, pas plus que je ne pourrais en dire du mal ; je ne pourrais rien en dire car il n'y a pas de contenu. La trame, on la devine autant qu'on l'abhorre, c'est désespérant de sottise.


Les dessins sont vraiment rigides. Tant et si bien qu'on voudrait graisser les traits pour mieux qu'ils coulissent. Les proportions ne sont pas toujours respectées et le minimalisme règne sans partage. Non, y'a même pas une bouée de sauvetage à laquelle se rattacher, on est voué à se noyer dans le mauvais goût. Gare à ne pas boire la tasse.


La tension de cette intrigue timbre-poste est abominablement mal gérée, la scénographie n'œuvre en rien à son avènement et la menace Eksam apparaît finalement pour ce qu'elle est : un amas de pixels sur un écran sans aucune réalité derrière.
Tout ça pour une histoire de revanche sans envergure ni intensité où aucun des protagonistes en action n'importent. Aurait-on vu des cancrelats s'entredévorer en leur inventant une histoire que le rendu nous serait apparu sensiblement similaire pour ne pas dire identique.


Maaaaais, la méchante de l'histoire aussi avait des excuses pour son comportement malencontreusement homicidaire. Y'a eu papa au bout d'une corde, le viol, tout ça. Fautive violée à moitié pardonnée, c'est ça ? C'est à croire que Dud's Hunt a été écrit par la magistrature française tant elle trouve d'excuses aux criminels ici présentés. Une habitude chez l'auteur.


Même au collège j'aurais eu des scrupules à rendre une copie si mal ficelée. Mais Tetsuya Tsutsui, auteur persécuté je le rappelle - parce que sinon on ne le saurait pas - de par sa renommée, peut présenter un étron estampillé «auteur dissident» pour que la masse la dévore à pleines dents. Pas pour la savourer, mais pour se pâmer d'en avoir mangé.
À la manière qui pousse certains à aller voir le film d'un prétendu dissident iranien primé à Cannes. C'est chiant, c'est prétentieux et, si ça n'avait pas été présenté comme subversif, jamais on ne se le serait infligé une connerie pareille.


On lit pas une œuvre avec Duds Hunt, on lit un auteur. Des bribes d'auteur. Celles-ci constituant toute son envergure.
L'effroi, alors, me guette en me disant que des milliers de mangakas n'arrivent pas à percer chaque année quand ceci parvient sur les étalages sans peine et ce, malgré la censure supposée, rappelons-le encore. Le succès de la bibliographie de Tetsuya Tsutsui, c'est une affaire de renommée préalable. Jamais il n'a renoué avec Manhole, jamais même il n'a frôlé son succès passé. Pas avec ce One Shot en tout cas. Ni avec le prochain d'ailleurs. Prochain, que je me chargerai aussi d'étrier comme il se doit. En espérant que ma cinquième critique sera le dernier clou dans le cercueil de son auteur ; un homme dont j'ai fait ma Némésis.

Josselin-B
1
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le 30 oct. 2021

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Josselin Bigaut

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