Les procès d’intention, je les adresse avant même l’instruction de l’affaire.
Des insouciants ou des vicieux – des abonnés, quoi qu’il en soit – me recommandent une lecture. Comme avant de commettre un braquage, parce que je sais qu’il y aura de la casse, je repère les lieux. Éclats d’Âme, c’est tout de même foutrement ronflant et présomptueux comme titre, j’aurais bien tort de ne pas m’en approcher à pas de loup. Prudemment, je me renseigne sur son auteur. La bonne idée que j’aie eu là. Je lisais alors, sur son profil mangauptades :
« Mangas favoris : Naruto et Ninja Scroll [film que j’apprécie tout autant par ailleurs]
Aime les chiens
S’identifie en tant que « X-Gender », une forme de non-binarité au Japon. Aussi asexuelle »
Je riais sous cape lorsque, deux lignes plus loin, on trouvait :
« Sexe : Féminin »
Le présent manga, que je m’apprête à critiquer d’autant plus férocement que mon biais politique m’y incline urgemment, a donc été écrit par une nipponne dont la libido était si basse (je blâme la pollution au plastique) qu’elle ne ressent plus de pulsion sexuelle au point de s’imaginer être un escargot. Un X-cargo, pardon.
Ça pèse dans mon jugement, ce genre de dossier. Ça pèse lourd ; lourd comme une sanction divine.
« Tu t’égares, Bigaut, triste créature aux aspirations aussi méphitiques que rétrogrades. C’est être immature que d’espérer qu’un auteur réponde favorablement à ton corpus idéologique afin d’en apprécier les compositions. Un créateur ne saurait être réduit à ses seules affinités sexuelles, ses œuvres allant bien au-delà de sa seule condition. »
Synopsis : Quand ses camarades de classe découvrent dans l'historique de son téléphone des traces de porno gay, Tasuku Kaname ne souhaite qu'une chose : mettre fin à ses jours.
« … Je… euh… ne jugeons pas trop sévèrement. Peut-être que ça ne tournera pas seulement autour de l’identité sexuelle et que l’orientation du personnage n’est qu’incidente au récit »
Douzième meilleure œuvre de la liste « Les meilleures BD traitant de l’homosexualité »
« Bon, d’accord. Donne-t’en à cœur joie. »
J’écris cette critique en novembre 2023, soit, comme les autres, probablement un à deux ans avant sa parution sur SensCritique, (bonjour à mes abonnés du futuüüÜÜ~r), aussi aimerais-je savoir si, à cette date, il existe une facette de l’homosexualité, dans la fiction, à ne pas avoir déjà été abordée à ce jour. Parce que, c’était peut-être osé que d’aborder le sujet dans le bloc dit « occidental » durant les années 1960, mais à présent que l’ONU s’en fait le chantre et nous gerbe littéralement des arc-en-ciel en pleine gueule, j’en viens à me demander si la trame, depuis le temps, n’est pas légèrement éculée.
J’ai dit « éculé » ! Calmez-vous. N’allez pas déjà me prêter des calembours douteux sur le peuple de l’alphabet.
Étant un homme de crime plutôt qu’un homme de vice, je n’ai jamais poussé la dépravation jusqu’à me faire le lecteur ou le spectateur de toutes les œuvres traitant de l’homosexualité au lycée.
Un âge vulnérable, un bouleversement identitaire assez flagrant ; y’a matière à travailler un sujet, il est vrai... mais cela a été fait un million de fois au moins. La Vie d’Adèle, on y a eu droit à l’école, mes enfants. Et imposé au forceps, je vous prie de le croire. Alors qu’on m’excuse si je fais la grimace alors que vient l’heure de rempiler avec un manga analogue.
Rien de sexuel dans « analogue », calmez-vous, enfin.
Au prétexte que pas mal d’homosexuels en ont relativement chié durant leur scolarité – j’ai en tout cas lu ça sur la fiche wikipédia de madame – il va falloir qu’on se la coltine sa souffrance, à la dame. Les névroses des auteurs, même passées à travers un avatar, ça me laisse comme de l’indifférence entre les dents. Une indifférence exaspérée. Exaspérée de découvrir qu’ils sont si nombreux, ces auteurs, à se penser intéressant du fait qu’ils aient connu des menus déboires le temps de leur parcours estudiantin.
T’as été la risée de tes camarades, c’est dur à vivre, mais Yuhki : je m’en fous. Je m’en fous même avec d’autant plus d’ardeur que le fait de m’enjoindre à souscrire à telle détresse m’encourage finalement à prendre le contre-pied de l’injonction. Car, derrière ces petits airs de manga innocent… c’en est une, d’injonction. « Vois comme j’ai souffert, vois comment qu’ils souffrent les gens qui sont pas comme toi, chiale ».
Or, c’est irrésistible : je m’en fous.
Certains sont persécutés à l’école parce qu’ils sont pédés, c’est peut-être malheureux, mais d’autres le sont parce qu’ils sont pauvres, d’autres parce qu’ils sont gros…
Y’a toujours une bonne raison, à l’école, d’attrouper une meute de hyènes autour d’un individu isolé, au seul prétexte que celui-ci ne souscrive pas au grégarisme ambiant. Le personnage principal aurait-il été pointé du doigt par ses camarades parce qu’il avait une sale gueule, que le propos, au fond, et même à la surface, aurait été exactement le même.
« C’est vraiment trop injuste », c’est peut-être bien vrai comme propos, mais Caliméro l’a fait avant. Et en mieux. Tandis que j’écris ces lignes, des centaines d’enfants meurent quotidiennement sous les bombes à Gaza. Je m’essaye d’ailleurs à une prédiction adressée à mon moi du futur… rien ne sera arrangé d’ici à la parution de cette critique près d'un an plus tard.
SPOILER Bingo.
Tout ça pour dire que les malheurs, dans le monde, y’en a assez pour je garde les yeux secs sur la souffrance d’une minorité estudiantine logée dans les beaux arrondissements de Tokyo. Cette manie que chacun a à exhiber bien haut son trou du cul, comme pour nous présenter un autel censément venu recueillir nos larmes, me fatigue et m’indispose. Éclats d’Âmes, c’est pas un manga avec une histoire dont le personnage principal serait homosexuel ; c’est rien que l’homosexualité même qui est ici le centre de gravité du moindre propos jeté dans l’œuvre. Un véritable trou noir fait de narcissisme à l’état pur. Mais avec le sourire et les yeux qui brillent. Important, ça, les yeux qui brillent, pour tromper la vigilance avec des bons sentiments. Les propagandes, cela se sait, passent mieux avec la vaseline des mots doux plutôt qu’en gueulant en allemand dans un micro.
Tiens, puisque je caresse langoureusement le point Godwin du doigt, on pourrait parler de la S.A. Après tout, on y trouvait énormément d’homosexuels parmi les cadres, dont Ernst Röhm.
Chiche de nous faire pleurer sur leur exécution sommaire advenue durant la Nuit des Longs Couteaux ? Bah quoi ? On parle bien d’homosexuels honteusement persécutés. On se doit d’y être sensible, non ?
Je taquine, mais méchamment. J’aime décidément pas qu’on me tende la sébile pour que j’y chiale droit dedans. Ça me suggère des mollards.
PEUH !
Dessin qui me rappelle ces Seinens psychologisant et supposés traumatisant, à croire qu’il y a une empreinte graphique tout spécialement dédiée à ce support en particulier. Avec plus d’afféterie dans le trait toutefois. Car elle a beau être « non-binaire », notre auteureeeeeeuh ; il reste comme quelques lourdes traces de féminité qui débordent jusque dans son art.
Tout y est très féminin – comme quoi – esthétisé à outrance au milieu des esquisses épurées. Rares seront ceux à s’en étonner, les mangas traitant de thématiques sociââââââles sont rarement dessinés par Tetsuo Hara. Ce serait drôle, ça, tiens, commencer le manga par la réplique « Tasuku, as-tu regardé un porno gay ? » avec, comme protagonistes, Raoh et Kenshiro occupés à se rendre des regards sévères.
Mais un manga comme Éclats d’âmes – non je me fais pas chier à écrire « Éclat(s) », le titre est assez pompeux comme ça – eh bien, ça n’est pas fait pour être drôle. C’est sérieux, y’a pas de place pour la légèreté. Alors forcément, c’est lourd. Mais lourd !
D’ailleurs, le postulat ne tient debout que si on se laisse avoir. Comment, exactement, le camarade de Tasuku a-t-il pu savoir quel type de porno il regardait ? Quelle négligence l’a conduit au point d’être percé à jour de manière aussi stupide ? Tout part de là, mais l’introduction suggère davantage de questions que de réponse.
Ce manga est parti d’un fantasme de sa démiurge : « Ah que ça aurait été chouette si j’avais eu une sorte d’entité magique pour m’accompagner au moment de ma crise d’identité sexuelle. Avec un lieu où les gens seraient comme moi, ouverts d’esprit et raffinés et... ». En clair, elle a transposé le canal « LGBT » de Reddit en un café venu faire office de « Safe Space » au protagoniste. Avec ses lesbiennes, ses travestis et le reste. Il ne manquait guère qu’un dresseur d’ours.
Tout cela, à la lecture, est trop adolescent pour être retenu comme du contenu sérieux. Car au dehors du café d’Anonyme, les gens sont intolérants, mais dans ce café, on y trouve le réconfort et toutes les réponses dont on a besoin grâce à ces personnages bienveillants interchangeables qui, en ces lieux, y vivent à l’état de sagesse incarnée. Ils ont la Vérité ; ils SONT la Vérité, et nous autres, lecteurs vernis, somme les heureux spectateurs de cette grâce scripturale.
Voudrais-je prendre l’œuvre au sérieux que je ne le pourrais pas. Les personnages du café, déjà creux, sont ridicules de perfection.
Vous vous souvenez, dans South Park, lorsqu’ils vont voir des films indépendants où des cowboys homosexuels mangent du pudding ? Ôtez le chapeau à ces messieurs, remplacez le pudding par de la glace et des sorbets, et on se retrouve en plein dedans. À multiplier les tendresses coupables pour des personnages sans dimension ni substance, Yuhki Kamatani fait le récit d’une parodie qui s’ignore. À la lire, j’en déduis, car j’y suis contraint par la main du récit venu me guider mon cheminement de pensée, que tous les homosexuels, enfants travestis et le reste – je reste évasif par politesse – sont des gens formidables. Ah mais… tous autant qu’ils sont, sans exception. Après... si une très large part de tueurs en série en étaient... moi ça me regarde pas, hein.
Je retiens, après m’être fané tout ce foutoir, que le meilleur moyen que Tasuku a trouvé pour accepter son homosexualité… aura consisté à vivre à l’écart de ses lieux de sociabilité habituels (école, famille, club), et de s’isoler physiquement au milieu de personnes pensant exactement comme lui.
On appelle ça du sectarisme, pas de l’ouverture. Je remarque d’ailleurs que c’est toujours à la majorité de s’ouvrir à la minorité, de faire les efforts pour inclure. Par contre, le chemin d’intégration, quand il se fait dans l’autre sens, est soudain moins perméable. C’est une voie à sens unique, voyez-vous. Toi, le bon couillon qui, comme moi, appartiens à la « majorité sexuelle » - que les anthropologues fermés d’esprits présentent comme la norme – sache que si, socialement, tu ne fais aucune distinction entre un homo et un hétéro, la réciproque n’est pas nécessairement de mise. Pour avoir eu droit à quelques captures d’écran des canaux Reddit originaires à la gentille et tolérante communauté LGBT, je peux vous assurer qu’ils savent faire le distingo entre le « eux » et le « nous ».
Mais ce sont tous des gens formidables, donc cela justifie bien tous les égards. Surtout, ne lisez pas le livre « Richie » sur Richard Descoings et son aréopage. Ne regardez pas non plus le documentaire « The Gift ». Ça pourrait fausser vos perceptions de tout ce beau monde en vous jetant quelques concentrés de réalité en pleine gueule. Le glamour et les yeux scintillants y ont une place moins nette, comprenez.
Elle aura beau y faire, l’auteur ne parviendra à convaincre personne de censé qu’il existe une « communauté LGBT » factuelle avec son système de valeurs commun. Encore moins avec une culture commune. Un agriculteur qui est de la jaquette est pas vraiment en fraternité avec le trader s’acceptant comme un sémillant homosexuel au prétexte que les deux ont les mêmes penchants. Les auteurs et militants homosexuels, de par leurs thèses, astreignent tous les homos et transformistes dans un ghetto mental d’où ils sont sommés de ne sortir pour aucun prétexte. Leur existence, progressivement, ne se réduit plus qu’à leur identité sexuelle ; c’est-à-dire à bien peu de choses.
L’histoire d’Éclats d’âmes aurait pu nous présenter Tasuku comme un personnage avec ses idées, des aspirations, avec ses centres d’intérêt, avec sa personnalité… mais elle l’aura finalement borné à sa seule homosexualité. Vous qui avez lu le manga, outre le fait qu’il soit homosexuel, que savez-vous de lui ? Quelles autres informations nous parviennent quant aux éléments qui le constitue en tant qu’individu ? Aux yeux de son auteur, il n’est apparemment que ça, et c’est par ce biais étriqué qu’on nous le présente. Toute la bienveillance du monde dans le traitement de la thématique n’ôtera en rien au fait que les acteurs militants de la cause « LGBT » ne font que réduire ceux qu’ils estiment être « les leurs » à ce qui constitue leur plus infime dénominateur commun.
La majeure partie du manga tournera ensuite autour du fait qu’il soit amoureux de Tsubaki mais n’ose pas se déclarer comme homo ; ce qui lui vaudrait un rejet. Alors ça tourne en rond avec les habituelles et même sempiternelles trames rose bonbon débordant d’un enthousiasme naïf. C’est bien simple, on croirait lire un vulgaire Shôjo. Mais paraît que l’œuvre vaut mieux que ça. Qu’elle touche un sujet sensible pourtant traité ici superficiellement. Qui se comporte aussi faussement que Tsubaki, avec ses sourires constants, toujours esquissés les yeux fermés pour mieux affirmer la résolution de sa pureté ?
Rendre un sujet crédible, ça passe d’abord par la crédibilité de ses protagonistes. Si j’en suis quasiment rendu à dresser des parallèles avec Fruit’s Basket en terme de construction de personnage, c’est que quelqu’un a foncièrement merdé son écriture.
Et puis… coup de bol, hein. Tsubaki, ce garçon que convoite Tasuku, lui aussi, il en est. Statistiquement, ça n’avait presque aucune chance d’advenir, eh bah ça s’est fait. Tout se finit toujours bien pour les invertis, en fait.
Quelque chose me dit que la vérité est pas aussi idyllique et que dame Yuhki a romancé un poil la vie des lycéens qui finissaient par se déclarer homo. Quelque chose me dit que ce ne doit pas être aussi simple.
Un fantasme d’adolescente qui a souffert psychologiquement ; un exutoire où y jeter des espérances naïves, voilà ce qu’est Éclats d’âmes. Ça vaut pas mieux qu’un Shôjo nunuche et ça se paye en plus le luxe d’avoir un propos sociâââl. Deux raisons de ne pas estimer ce qui n’est ni plus ni moins qu’un pamphlet sirupeux qui ne sait même pas traiter son sujet convenablement.