Apocalypse bucolique
Le genre même du post-apocalyptique sous-entend, à cause ou grâce aux multiples productions qui en ont découlé, qu'il doit forcément montrer une société en proie à la division et au chaos. Les...
le 17 avr. 2021
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Voir Yokohama et mourir. Ou même mieux, mourir... sans avoir vu Yokohama. Sans l'avoir lu surtout. L'idée me plaît bien mais, en ce qui me concerne, le projet est compromis.
L'aventure qui n'en était d'ailleurs pas une, ici, ne m'aura transporté nulle part. Pour transporter, il savoir prendre et moi, on ne me prend pas en règle générale et par les bons sentiments, encore moins.
Mon fiel, ma bile, je les crache toutefois la bouche fermée. Car je mentirai éhontément si je vous relatais ici que j'avais pataugé dans une mélasse mielleuse et insipide comme cela a pu m'arriver auparavant. Escale à Yokohama, derrière les sourires et les mignardises omniprésentes, c'est autrement plus profond que ça ne laisse présager en surface. Il y a un double degré de lecture à avoir. Plutôt perturbant si on s'y attarde - ce que je ne peux qu'apprécier - tant le contraste entre les deux lectures est béant. Escale à Yokohama, c'est le fatalisme glacial de la fin d'un monde avec, dessus, un sourire d'ange.
Ce constat que j'établis alors, dans le principe, a vraiment tout pour me plaire. Et pourtant et.... pourtant... un degré de lecture se veut autrement plus apparent que l'autre au point de prendre le pas sur lui.
Le fait est que le lecteur inattentif pourrait se fourvoyer, aussi je l'avertis : Escale à Yokohama n'est pas un manga gnangnan où les yeux sont humides et les rires ostensibles. Cela peut donner cette impression au premier abord mais, peut-être faut-il deux lectures pour pleinement mesurer l'implication d'une œuvre qui, finalement, est d'une subtilité admirable. Tant et su bien que le vernis de l'allusion insidieuse s'évapore sous l'encre au point où l'on n'aperçoit plus que cette dernière. Hitoshi Ashinano aura finalement été trop habile pour son bien en écrivant Escale à Yokohama ; il était si minutieux dans son écriture que lire entre les lignes sera devenu chose impossible à moins d'y aller à la loupe. Et pourtant, dans Escale en Yokohama, tout est écrit en filigrane.
Sous les pavés, la plage ; mais sous la plage de Yokohama, on retrouve une problématique à ne pas prendre à la légère.
Avec tous ces visages et ces personnalités bienveillantes, d'emblée, on serait tenté de se laisser aller. Nous sommes en sécurité, déjà étreints par les anges, à flotter sur un nuage. Et c'est parce que Escale à Yokohama paraît distiller ce sentiment à longueur de planches qu'on ne voit pas venir ce qui vient à revers, comme une lame de fond invisible soudain surgie des abysses d'une eau paisible. On entend à peine le clapotis de l'eau, mais on sait que cette eau-là, pure, calme, azurée.... elle dissimule quelque chose. Il y a une ombre au fond de cet océan idyllique et on passe un manga entier à tenter de deviner ce qu'elle désigne.
Mais à moi, on la fait pas. Non pas que je fus en mesure d'apercevoir le second degré de lecture d'un coup d'œil. À dire vrai (et je ne dis que la vérité, c'est là mon plus grand malheur), je n'ai eu que des soupçons de malaises au détour de quelques rares chapitres. Mes yeux seuls ne pouvaient m'aider à comprendre que quelque chose n'allait pas, mais mon instinct se rappelait à moi périodiquement le temps de s'alarmer d'une menace planante et insidieuse dont je ne parvenais même pas à dessiner les contours. Tout était beau, tout était léger, mais ce doux sentiment de béatitude, à force de m'y éprouver, me faisait l'impression d'une première engourdie alors que l'euthanasie s'installe.
Et puis, si je n'ai pas baissé ma garde - je ne baisse jamais ma garde - c'est aussi et avant tout parce que la protagoniste était robotique. J'ai connu comme des précédents en la matière. Oui, plusieurs. Alors, ainsi échaudé, rien que le principe m'a donné envie de plier les gaules au plus tôt. Mais j'ai tenu la barre.
Lancé dans l'intrigue, qui, de prime abord, s'orchestre davantage comme un flottement ; un errement ouaté qui n'en finit pas, je m'interrogeais. Est-ce là une de ces œuvres faussement contemplatives supposées me laisser sans voix devant la beauté éthérée de sentiments humains imbibés d'une atmosphère mélancolique ? Un de ces récits dont chaque commentaire visant à en faire sa panégyrie se devraient de comporter les termes «tranches de vie intenses», «poésie de tous les instants», «douceur de vivre» entre autres conneries assez doucereuses pour vous filer le diabète rien qu'à les lire ? Navré de tout salir d'une bile bien noire régurgitée à bout de plume, mais ça, tout ça, là ; ça n'a pas pris. La cause, cette fois, n'incombe pas à une incompatibilité d'humeur, mais à un raté de la part de l'auteur. Le temps d'une escale à Yokohama, on aménage le néant mais on ne créé rien. Ici, on ondule le vide pour le doter de teintes faussement bucoliques ; rien que du bricolage scénographique de haute volée. Deux degrés de lecture, ça n'enchante que si le premier enjoint à lire le second.
Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, on se croirait chez Drucker un dimanche après-midi. Tous ces faux sourires niais constamment placardés sur la gueule du tout venant... c'en est si inauthentique qu'on en retire une sensation de gêne à trop les scruter. Sans être cependant aussi marqué que cela se fait à la sauce Kawai (rien que l'écrire m'occasionne des coliques néphrétiques), c'est trop mignon. Pas poussif... non. Subtil, expressif sans jamais le dire et surtout, impénétrable. La légèreté a pourtant ici quelque chose de criminelle. On nous enrobe dans du coton, on nous berce, on nous sourit.... jamais alors on ne voit venir le tranchant de la lame dissimulée dans un angle mort.
On a essayé de rejouer Bagdad Café sur planches ; mais sans musique - et sans le talent des actrices - y'a rien qui vient. Ce sera donc Bagdad Déca. La comparaison, ici, n'a rien de gratuite. Perdus au milieu de nulle part, dans une atmosphère pétrie de quiétude avec au centre, un salon de thé... le rapport, moi, je le vois sans avoir à ouvrir les yeux en grands. La chronologie rend l'incidence et l'inspiration largement vraisemblable. Escale à Yokohama, c'est sept ans après Bagdad Café.
Les dessins ne seront simplement d'aucuns secours pour atténuer la mièvrerie captieuse dans laquelle on trempe. Si encore la contemplation pouvait s'apprécier pour ce qu'elle a d'esthétique à offrir, de quoi mimer la surface pour taire la profondeur. Mais il n'y a pas même ça à se mettre sous la dent.
S'il y a effectivement quelque chose en plus caché derrière la surface de la trame, quelque chose de conséquent dont on peine à savoir ce que c'est, les indices concernant cette entité scénaristique sont finalement bien maigres. Pour un chapitre qui nous apporte du grain à moudre, il y en a deux à jeter avec l'ivraie qui le compose. La contemplation, facilité de mise en scène trop de fois employée par divers auteurs, prend trop souvent le pas sur le propos et l'écrase en conséquence.
Tranche de vie me direz-vous ? Plutôt tranche de vide. Et toujours la même, en boucle. On ne varie même pas les déplaisirs ; l'atmosphère manque d'intensité comme la trame - bien maigre - manque de nouveautés ; rien que de la contemplation pure pour ne rien y voir. Une ombre peut-être. Légère et sombre, qui se dessine le long d'un horizon lointain jusqu'auquel on n'ose trop hasarder le regard. Peut-être Escale à Yokohama est-il si contemplatif pour nous inciter justement à contempler, à voir. Voir quelque chose qui ne s'observe que si on y prête une attention particulière.
Peut-être.
Il n'empêche que certains chapitres renvoient vers le néant sans sucre ajouté.
Ce que certains prennent ici pour du lyrisme, c'est un fatras de platitudes improvisées ; pas même au niveau d'une poésie de collégienne. L'assertion est assénée violemment, mais bon nombre de chapitre se lisent avec un coude sur la table, le menton posé dans la paume. Finalement, l'escale se voit plus qu'elle ne se lit.
Le tout est perturbant pour des raisons dont on ne saurait déterminer exactement si celles-ci sont bonnes ou mauvaises. Il n'y a, en tout état de cause, pas de scénario. Cela est voulu comme tel. On lit les pages pour rythmer le bruit de la pendule dont la cadence rythme l'ennui d'un instant interminable. Un instant qui ne trouve sa justification que quand il s'achève. Alors, on comprend le «pourquoi» du moment.
Car finalement, tous ces instants d'ennui, de contemplation qui se faisaient à vide - apparemment - prennent un sens tout particulier quand survient la conclusion. Escale à Yokohama, ça se lit au moins deux fois pour s'apprécier.
L'histoire - s'il y en avait une - aura su se halter sans secousse, suivant le rythme de la trame jusqu'à ce que cette dernière n'aboutisse à son terme. Ce sentiment à sa conclusion, c'est comme voir un atterrissage réussi. Je n'y étais même plus habitué depuis le temps. Finalement, je comprends pourquoi tant de personnes lui trouvent des qualités, car celles-ci sont indéniables. Ça aura mis le temps à me contaminer, comme des germes rampants pareils à des métastases, mais j'aurais été un court instant ébranlé par la quiétude finale d'un monde qui meurt en douceur. La narration, je l'avais pensée absente jusqu'à la découvrir allusive et méthodique.
Ça aura raconté une histoire sans la dire ; il aura toutefois fallu de la patience pour en saisir ses subtilités. J'y ai vu une œuvre mielleuse pour y découvrir un drame diffus en arrière-plan. Sans larme, sans cri et même chroniqué avec un doux sourire, rien que le récit d'une Apocalypse délicate.
Tout cela n'était cependant pas aussi grandiose qu'on s'accorde à le reconnaître dans les milieux initiés. Pourtant, je lui reconnais une puissance véritable au regard de l'intensité avec laquelle nous aura été rapporté le message. Un message, sans un propos clairement articulé ; une idée plutôt, une qui aura mis le temps à germer au terme d'une longue et languissante épopée champêtre. Peut-être l'une des formes de narration comptant parmi les plus efficaces qu'il m'ait été donné de lire. Je ne pense cependant pas que tout ce qui fut narré appelait à une signification précise, que beaucoup aura été laissé à l'expectative, abandonné bien opportunément sur l'autel du lyrisme salvateur. Le propos avait peut-être un sens, mais de propos, il n'y en avait pas tellement. L'escale n'est belle qu'en bout de parcours, il faut être arrivé au bout pour réellement prendre la mesure de ce qu'elle représentait.
Moi ? J'ai le sentiment de m'être perdu en route. Mais si vous entreprenez cette Escale et que votre sensibilité vous prédispose à aller jusqu'au bout, je ne peux alors que vous souhaiter un excellent voyage.
Créée
le 13 juin 2021
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