Quand Corto Maltese joue les détectives mystiques dans une lagune envoûtante

Avec Fable de Venise (1977), Hugo Pratt signe une aventure qui est autant un voyage spirituel qu’une enquête labyrinthique. Dans ce septième tome, Corto Maltese se balade dans une Venise où chaque canal chuchote des secrets, où chaque pierre cache une légende, et où notre marin favori flirte avec les mystères de l’ésotérisme tout en gardant son flegme légendaire. Autant dire que cette escapade est aussi belle qu’intrigante, mais parfois aussi opaque que les eaux de la lagune.


L’histoire débute avec Corto Maltese à la recherche d’une pierre précieuse légendaire, l’Émeraude des Illuminés. Mais, comme toujours avec lui, l’intrigue principale se dilue rapidement dans une série de rencontres avec des personnages hauts en couleur : des francs-maçons mystérieux, des révolutionnaires idéalistes, et des figures de l’ombre dont on ne sait jamais si elles sont amies ou ennemies. Entre conspirations politiques et réflexions philosophiques, Corto se retrouve à naviguer dans un récit où réalité et symbolisme s’entrelacent sans fin.


Corto Maltese est ici dans son élément : un charmeur nonchalant qui, même en plein danger, semble toujours avoir une réplique ironique ou une pensée poétique en réserve. Dans Fable de Venise, il est plus introspectif que jamais, porté par l’atmosphère unique de la ville. Sa quête, bien qu’apparemment matérielle, prend rapidement une dimension métaphysique. Car avec Corto, ce n’est jamais seulement une question de trésor, mais toujours une recherche de quelque chose de plus grand – ou de plus insaisissable.


Visuellement, Hugo Pratt sublime Venise avec son noir et blanc caractéristique. Les ruelles étroites, les ponts mélancoliques, et les canaux brumeux sont rendus avec une élégance qui fait de chaque case une œuvre d’art. Venise n’est pas juste un décor : elle est un personnage à part entière, vivante, mystérieuse, et pleine de contrastes. On ressent presque l’humidité de la lagune et le parfum du mystère dans chaque page.


Narrativement, Fable de Venise est un délice pour les amateurs de récits à tiroirs. Pratt tisse une toile complexe où les dialogues ciselés et les non-dits créent une tension permanente. Cependant, cette richesse narrative peut aussi désorienter : si vous espérez une aventure classique avec un début, un milieu et une fin bien définis, préparez-vous à vous perdre dans les méandres du récit. Mais c’est précisément ce qui fait le charme de cet album : il ne se livre pas facilement, il faut le savourer lentement, comme un bon vin vénitien.


L’humour, bien que subtil, est toujours présent, notamment dans les interactions de Corto avec les personnages secondaires. Ces derniers, souvent grotesques ou énigmatiques, ajoutent une touche de légèreté à une intrigue parfois dense. Et bien sûr, le côté ésotérique de l’histoire – avec ses allusions à la franc-maçonnerie et aux Illuminés – donne une profondeur supplémentaire, même si certains passages peuvent paraître un peu hermétiques.


En résumé, Fable de Venise est une œuvre magistrale où Hugo Pratt mélange poésie, mystère, et une pointe de mélancolie dans un décor vénitien envoûtant. Corto Maltese brille par son charisme et sa capacité à évoluer dans un récit où l’action laisse souvent place à la contemplation. Une aventure à la fois fascinante et déroutante, qui transporte le lecteur dans une Venise intemporelle, où chaque coin de rue peut révéler un secret… ou une fable. Un trésor de subtilité et de beauté, à explorer comme on parcourt une ville : lentement, et en se laissant surprendre.

CinephageAiguise
9

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il y a 11 heures

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