Emmanuel Reuzé et Nicolas Rouhaud, dont je découvre le travail ici, ne se foutent vraiment pas de notre gueule : si l'album, qui comprend des histoires publiées dans Psikopat au début des années 2000 et dans l'Echo des savanes en 2008, est très inégal, les auteurs pointent avec justesse des travers de notre société et surtout des tendances pour le moins inquiétantes : la censure, la fin du travail, la justice prédictive, l'expulsion des sans-papiers, le rejet des SDF, le suicide au travail, l'homme transformé.
Schizophrénie des temps modernes, le client doit faire le travail du salarié (regardez ce qui se passe dans les hypermarchés), le patron s'attaque à son employeur (lui-même !). Rouzé et Rouhaud mettent ainsi en avant l'absurdité du monde qui vient, et ils ne font que pousser un peu les tendances actuelles, par exemple les logiques de privatisation (ici, on va jusqu'à privatiser les trottoirs, le plus cher étant garanti sans crotte...). Les auteurs puisent peut-être aussi leur inspiration dans la SF : j'ai pensé à Soleil Vert pour le nouveau banc anti-SDF, à Minority report pour la justice prédictive.
L'humour est très présent, par exemple avec les profs remplacés par des distributeurs de diplômes, ou la vague de suicides chez les terroristes kamikazes suite à des licenciements ! Mais la meilleure histoire est celle d'un projet de construire un quartier complètement inaccessible aux migrants. Le seul hic est qu'il est difficile de trouver des ouvriers étrangers et du coup, on finit par construire le quartier à Calais au milieu du bidonville. Désolé, c'est difficile à raconter, mais cette histoire est particulièrement réussie.
Bref, l'ensemble est inégal mais l'album, sans grande prétention, vaut largement le coup d’œil.