«Le soleil vient de se lever, encore une chienne de journée, on te sert ton bras coupé, pour le petit déjeuner ♪»
Le détonateur de l'œuvre a ici de quoi plaire. Une bonne dose de cannibalisme instigateur, c'est ce dont on manque aujourd'hui dans la fiction. Et comme moi, on me saisit plus facilement par l'estomac que par les sentiments, voir un enfant se trancher le bras pour nourrir son prochain - une certaine idée de la cène me direz-vous¹ - eh bien ça, c'est de la mangeaille qui m'enjaille drôlement pour un début qui sait s'y prendre pour mettre l'eau à la bouche.
Oh, ça va, ne me jugez pas ! On a encore le droit de s'extasier devant de l'anthropophagie juvénile quand même. La loi ne semble en tout cas pas y faire obstacle alors, permettez que je me pourlèche. Permettez.
Mais que serait un menu cannibale sans une proposition d'inceste de sa propre sœur en guise de dessert ? J'aurais pu en rire de ce tout premier chapitre - le chapitre zéro en réalité - si je n'avais pas trouvé si probant la propension à vouloir choquer son lecteur. Cependant, le postulat initial est suffisamment désespéré quant aux issues envisageables pour que le sordide s'accepte comme la norme ambiante.
L'entrée en matière aura su brosser un paysage plutôt nouveau et sympathique sans non plus décoller le papier-peint des murs. S'agrègent et fusionnent, dans une union bâtarde mais délicate, les rudiments d'une scène post-apocalyptique à un registre magique soutenu qui ne demande qu'à être exploré en profondeur le temps d'une incursion dont on ne sait encore très bien si elle sera lyrique ou cataclysmique. Bien que l'un n'empêche pas l'autre.
Les mélanges de genre ne prennent pas toujours si on ne sait pas lier sa sauce, mais il se déguste à satiété avec toutefois une prudence de rigueur quant à se demander ce que l'on ingurgite vraiment. Alors que Fire Punch prend forme, on ne sait encore si ce qui se matérialisera sera rutilant ou pondu comme une fausse couche.
L'atrocité de la douleur initiale, celle qui se voit infligée au héros pour justifier le parcours qui sera le sien, est abominablement bien dépeinte. Abominable en ce sens où l'horreur y est percutante et prenante. Et initiale, elle ne le sera pas exclusivement à force de persister dans le temps.
L'affaire - ou le menu si je m'en tiens au champ lexical premier de cette critique - nous sera servi par des dessins qui m'auront rappelé, avec une tonalité brutale, les traits récents de L'Attaque des Titans. La donne m'apparaît ici nouvelle et particulièrement plaisante. Pas au point de justifier un engouement particulier, mais avec de quoi soigner le sentier de notre lecture qui, il est vrai, est déjà joliment tracé.
Rarement un personnage aussi bien doté par ses pouvoirs aura pourtant été aussi malmené. Je ne peux m'empêcher d'y voir là un certain signe d'intelligence de l'auteur. Celui-ci, contrairement à beaucoup de ses confrères, semble avoir saisi qu'afin de créer de la difficulté malgré les capacités surréelles et démentielles de son personnage principal, il fallait qu'il soit amené à perdre plus qu'il ne gagne afin que la donne soit plus équitable et donc, plus crédible. Au début tout du moins. Car à force que la combustion se poursuive, le rendu fini par avoir un goût braisé, pour ne pas dire cramé.
D'ailleurs, cette idée d'un pouvoir magique exclusif attribué à chaque personnage n'a évidemment pas pu m'empêcher de penser à Dorohedoro. Et c'est un souvenir agréable que celui-ci. L'inspiration, si elle est fragrante, n'a toutefois rien de rédhibitoire. Y'a pas mal à piocher chez les autres si on prend la peine de raffiner le minerai à sa façon.
Rapidement, nous renouerons avec la gratuité pour ce qui se fait d'hideux. Le sordide, c'est un registre de prédilection chez moi pourtant, mais à condition qu'il soit abordé avec tact et la juste mesure que cela exige. C'en est ici tellement sidérant que cela finit par nuire à la crédibilité de l'œuvre. Ce n'est non plus tapageur au dernier degré, on sait et on sent l'auteur versé dans un certain sens de la maîtrise... mais pas un qui soit assez équilibré. Le coup du zoophile, c'était le rappel de trop après les viols à répétition dont je peine encore à percevoir la pertinence. Fire Punch n'est pas choquant ; il cherche à l'être.
Oh, bien sûr, on ne manque pas d'entrapercevoir ici et là quelques véritables audaces scéniques, au regard de ce que l'orchestration des cases durant certains chapitre a à offrir : la première explication de la réalisation d'un film sur Agni, l'exposition progressive des personnages alors que le train avance, c'est vraiment novateur et, osons le mot : chiadé. J'admets ne pas porter Tatsuki Fujimoto dans mon cœur - j'ai eu quelques retours de Chainsaw Man figurez-vous - mais, en mon âme et conscience (jen vois qui rient au fond), je ne pourrais pas prétendre qu'il n'a pas de talent. Ce talent de jeune auteur prometteur est pareil à une énergie ardente dévoyée ; un canon puissant dont on n'aurait pas défini la trajectoire du boulet avec assez de précision pour que ce dernier soit opérant. Je vais être sévère avec Fire Punch. La colère, d'abord, s'éteindra dans un élan de mépris et d'indifférence. Mais cela n'ôtera rien aux mérites de l'auteur qui - et c'est à regretter - sont finalement moins probants que ses manquements pleuvant à verse au point d'éteindre la flamboyance de son œuvre.
Quand il a dessiné Fire Punch, Fujimoto avait le début bien en tête. De ça, je n'en doute pas. La suite laissera entendre que sa planification ne se sera considérée qu'à très court terme tant les errements iront loin.
J'ai su apprécier qu'une place si prépondérante fut accordée aux personnages secondaires pour ce qui est de développer le contexte dans lequel le personnage principal serait amené à frayer. Le phénomène, ainsi orchestré, contribuera pour beaucoup à donner de la densité à l'intrigue avant que celle-ci ne s'essouffle brutalement comme un ballon de baudruche.
Et c'est là que commence la liste de mes longs reproches. Cela commence par le nombre de références maladroite et même ostentatoires à tout ce qui se rapporte pop culture entre autres clins d'œil lourdingues dès l'apparition de Togata. Togata, un personnage foncièrement antipathique eu égard à l'écriture qui le compose. Antipathique non pas seulement pour ce qu'elle est, mais aussi ce qu'elle représente ; à savoir un concentré de chaos insipide et bruyant dont la finalité existentielle n'est que d'être un caillou dans le rouage de la trame comme un auto-sabotage savamment organisé par son propre auteur. Cette intrigue qu'elle aura ralenti et même fait halter sans raison par cent fois, on eut tant aimé qu'elle chemine sans avoir à butter sur elle à chaque chapitre.
Togata n'aura été que ce personnage de psychopathe abominablement mal simulé pour ne servir que de fausse variable instable dans l'aventure. Une instabilité semblable à maints égards au bourdonnement d'une guêpe qu'on persiste et s'obstine à vouloir chasser d'un revers de main chaque fois qu'elle s'approche. Fujimoto voulait créer un personnage excentrique et fort, il aura finalement élaboré une nuisance dont le venin n'a d'emprise que sur le lecteur. À force de s'interrompre au gré du caprice et des errements d'un personnage inutile et nuisible, l'intrigue, finalement, en oublie jusqu'à la direction vers laquelle elle s'était initialement orientée.
De même que spiderman a son spider sense , j'ai mon sens réac. Quand lui - spiderman - perçoit le danger imminent, je perçois à l'œil nu la couleur arc-en-ciel des faisceaux progressistes abrutissants. Devinez-quoi. Mon sens réac a commencé se rappeler à moi bien assez tôt. Le couplet sur l'intolérance à l'égard des homosexuels, l'émancipation de la femme, j'entends bien, j'y suis même réceptif à quelques moindres égards (réac, vous vous souvenez).
SEULEMENT. Quand l'humanité se borne à quelques arpents de neige au milieu de l'Apocalypse, le temps d'envisager les considérations progressistes n'est pas le mieux choisi. Qu'on me dise aujourd'hui que des gamines de treize ans - et parfois moins - soient mariées de force avec tout ce que cela comporte de joyeusetés, m'indigne naturellement. Mais me dirait-on cela alors que ma principale préoccupation pour ce jour s'en tiendrait à ne pas mourir de faim et de froid à la nuit tombée que je n'en aurais, mais alors, VRAIMENT, rien à foutre.
L'agenda progressiste en milieu post-apocalyptique passe très mal. Le progressisme, pour ce qu'il est, est une maladie de la sophistication, un symptôme grave et purulent qui se manifeste sur la plaie du superflu. Y'a un temps et un lieu pour tout ; quand, dans un monde dévasté qui s'en tient à l'essentiel et strictement à l'essentiel, ces considérations sont professées, elles ne trouvent aucun écho. En des termes plus décisifs et, je l'espère, plus impactant, je dirai que la question du transexualisme trouve difficilement sa place dans Hokuto no Ken.
Quoi que pour Rei...
Avec Fire Punch, ce qui aurait pu se prévaloir d'une histoire sincère et développée aura viré au défouloir vulgaire et brouillon, dont certains indices cependant laissaient à supposer que ce foutoir adviendrait tôt ou tard. Plus tôt que tard malheureusement. Ce serait se faire l'avocat du diable que de prétendre que les défauts - reconnus par ceux-là même qui encensent l'œuvre - ne sont que des maladies arrivées tardivement. Ce qu'on observe sur le tard, ce sont les derniers symptômes d'une maladie qui trouve ses germes initiaux solidement incrustés dans les premières pages de l'œuvre. En dépit de ses quelques mérites - indéniables, j'insiste - Fire Punch est pourri dès la racine.
Je lui ai cru des destinées de Dorohedoro, mais ça, avant que ça ne vire au X-Men du pauvre, avec même le Magneto de circonstance. Ceci est à rajouter à la liste des références pop-culture insupportables et usantes dont Fujimoto nous crache ses relents à pleine gueule.
Et contre toute attente - écrivit-il avec quinze tonnes d'ironie surplombant chaque mot - Agni le dur devînt Agni le justicier gnangnan au cœur pur et aux idées courtes. La shônenification de l'œuvre - avec son lot de poncifs assommants - se sera initiée au quart de l'œuvre environ. L'illusion n'aura pas fait long feu. Sans mauvais jeu de mot.
On ne sait pas vraiment comment les fidèles du cultes d'Agni ont entendu parler de lui et sa légende en dehors de Behemdolg. D'autant qu'il ne se sera pas particulièrement illustré à cette époque et n'aura de toute manière laissé aucun témoin derrière lui pour attester de son caractère divin. On aura traversé un pan d'intrigue par compression de l'espace et du temps en dépit de toute logique humainement concevable au regard de la narration et de la cohérence s'y rapportant.
À partir de là, la petite boule de neige qui aura commencé à rouler en haut de la colline aura continué de dévaler la pente dans une avalanche de conneries. Voilà qu'arrive l'américaine en petite tenue - en plein ère glaciaire, je le rappelle - qui, elle aussi, sans qu'on sache ni comment ni pourquoi, a entendu parler d'Agni et s'inclut dans une intrigue qui n'avait ni besoin d'elle et qui, elle aussi, en appelait à sa mort pour qu'enfin lui soit signifiée la délivrance.
Et puis... cette histoire de messie qui libère les esclaves et les aide à s'échapper du joug de la tyrannie locale, ça aussi je l'avais déjà lu. Dans un vieux bouquin, un classique, le nom m'échappe. Si les eaux n'avaient pas été gelées, Agni, vraisemblablement, les aurait séparées en deux pour mieux appuyer cette référence subtile.
Et nous entrons ensuite dans le domaine des lieux communs inhérents aux religions avec un regard d'agnostique perché bien haut sur son piédestal. Tout n'est pas faux dans la réflexion qui nous parvient, mais faire passer un mensonge efficacement suppose qu'on l'enveloppe de deux tranches de vérité pour qu'il nous soit indolore. La naissance, puis la prolifération de l'Agnisme sont d'une naïveté confondante et ne reposent que sur les excessives mansuétudes accordées par la narration. D'ailleurs, si un culte nouveau devait naître, il n'aurait pas à être autant calqué sur le christianisme pour faire florès comme ce fut le cas ici. Les religions de l'incarnation connaissent de très nombreuses variétés, qu'il s'agisse ou non de monothéismes. À la naïveté s'agrège un manque criant d'imagination pour la suite de la construction de cet univers dont les travaux ne seront pas allés bien loin.
Un méchant qui veut la destruction du monde «parce que», une révélation en catimini sur le fait que la planète était habitée par une espèce extra-terrestre et la principale motivation des actes de l'antagoniste étant... l'annulation du dernier Star Wars avant l'âge glaciaire ; vous pouvez mettre «le petit bonhomme en mousse» à fond la caisse, la lecture s'y prête maintenant à merveille.
Ah ! Vous entendez ce bruit ? C'est le sens réac qui s'agite à nouveau. Que dis-je, qui convulse. Alors qu'il est question de la destruction imminente de toute vie sur Terre, nous autres, otages, pardon... lecteurs, sommes amenés à devoir compatir à la souffrance de Togata ; cette souffrance insigne et supposément digne de torrents de larmes parce qu'elle serait un homme piégé dans un corps de femme. Et à qui elle s'en plaint les yeux mouillés de son triste sort? À un homme condamné à vivre éternellement avec la douleur d'un feu qui le consume à chaque instant de son existence. Je t'en prie Togata, parle-lui de ta souffrance indicible, ça le fera peut-être un peu rire et oublier son calvaire ininterrompu pour trois secondes au moins.
Je vous le rechante le couplet sur le sens des priorités en situation de crise apocalyptique ou c'est bien rentré ? Parce que Loretta qui surgit au milieu du paysage de Hokuto no Ken, ça ne fait pas vraiment ton sur ton vous comprenez. Y'a comme une tâche d'huile sur la peinture à l'eau ; ça se voit et ça s'apprécie pas.
Toute la gerbouille progressiste, avec son concerto de mièvreries sociétales, joue maintenant sa partition éraillée au diapason. Maintenant que je situe mieux les contours politiques de l'auteur, je me découvre une raison de plus de lui vouer mon auguste aversion pour sa personne. Cette aversion-ci sera à rajouter aux autres. Aux nombreuses autres.
Alors que je me faisais une fois de plus la remarque «Putain que Togata me casse les...», je prenais soudain de la hauteur sur l'œuvre et constatai, amèrement, que la réflexion valait pour tous les autres personnages dépeints, dans une moindre mesure pour ce qui est des autres.
Il n'y a pas une personnalité forte sur le plan du caractère, pas un personnage écrit avec au moins une once de scrupule créatif dans le plume. Ça geint, ça crie... ah... ça prie, oui, c'est nouveau mais ça ne change finalement rien à ce à quoi je suis habitué. C'est creux et pourtant, rien ne résonne quand on s'y confronte. Tout cela, les personnages, le scénario, tout est désespérément vide. Vide de sens et vide d'intérêt tout en mimant désespérément la contenance.
Et ça stagne longuement à ne pas trop savoir quoi faire si ce n'est de créer du drame à prisunic le temps d'occuper ce couillon de lecteur d'ici à ce que celui-ci ne patiente entre deux escales vers le néant.
Au n'importe quoi succédera l'aléatoire. L'avancée de l'intrigue se fera psychédélique sans le vouloir, comme prise d'une attaque foudroyante. Agni cesse de brûler sans raison, Judah perd la mémoire - oh que c'est original et bien pratique - le plan de la méchante est contrecarré par hasard et le tout, en un chapitre de temps...
Ce n'est pas d'une démission de l'auteur dont on est alors témoin mais d'un A.V.C qui n'en finit plus d'occasionner des séquelles plus atroces les unes que les autres. Et cela, à mesure que s'égarent les chapitres à ne toujours pas savoir où ils vont. L'espace d'un instant, j'ai cru revivre l'ellipse de Vinland Saga en mieux salopée encore.
Et je n'exagère pas en parlant d'A.V.C, les dessins deviennent plus atroces eux aussi, pourrissant et se décomposant un peu plus jusqu'à ce que les traits ne représentent parfois presque plus rien. De tous les mangas que j'ai été amené à critiquer, je n'ai jamais vu une déconfiture aussi aboutie, c'est presque un monument en la matière. Et la matière en question, je ne me risquerai pas à dire ce que c'est de peur que mes mots dépassent ma pensée.
San devient finalement zinzin pour qu'on ait un dernier antagoniste sorti des fagots, y'a le feu partout, une histoire de renaissance bancale et une conclusion aux fraises transcendant à la fois le temps, l'espace et tout ce qui peut se faire de plus con en matière d'imaginaire humain.
3/10 moins 1, donc 2/10, parce que je ne peux vraiment pas saquer la ritournelle progressiste qui plus est poussive dans une fiction. La propagande politique, surtout avec son petit air de ne toucher à rien, ça justifie encore bien que je taillade ma note en conséquence. Fujimoto lui, nous aura bien tailladé les nerfs et les yeux avec ce sabordage perpétuel qu'il aura appelé son œuvre. La note, ici, n'est qu'un prêté pour un rendu. Et quel rendu...
¹. Je précise que j'avais écrit ceci bien avant de savoir que le culte agniste, avec ses relents de christianisme bâtard, finirait par voir le jour.
². Coucou à Lilian/Mister_Gob/Koi Ki Kan, dont le sel versé un « MDR » crispé après l'autre me permettra de déneiger mon quartier pour les décennies à venir. Sans doute n'ai-je effectivement rien compris à des œuvres aussi complexes sur le plan scénaristique que peuvent l'être des mangas tournés vers le divertissement strict et principalement adressés à des adolescents qui eux... en ont naturellement compris le message. Une vie durant, je la passerai à me morfondre de ne pas être de ces initiés.
Mention spéciale au « Son texte, il est loooooong » de la part d'un homme qui a commis une vidéo de plus d'une heure sur ce même manga.
Vidéo très bonne au demeurant et que je recommande, qui décortique minutieusement le scénario ainsi que la scénographie foncièrement cinématographique et présente qui plus est le point de vue d'un réel passionné : passionné d'une passion que je ne partage pas et qui, de cet état de fait, en retire une certaine amertume.