Florange , destin d’acier scellé et dessiné
Décidément, la crise en entreprise continue d’inspirer la bande dessinée qui, malgré son léger retard sur le thème (cinéma, littérature, chansons sont passés avant elle), a su trouver une réelle vision et une valeur ajoutée. Ainsi après Louis Theillier et son Johnson m’a tuer, Putain d’usine de Jean-Pierre Levaray et Efix ou Lip de Laurent Galandon et Damien Vidal, voilà Florange, une lutte d’aujourd’hui du documentariste Tristant Thil et Zoé Thouron (au talent bien perceptible alors que ce n’est que son vrai premier album. Son dessin essentialiste colle au ton de Tristan). Alors non, ce n’est pas un énième album sur un sujet aussi triste qu’il est en vogue, puisqu’à chaque album précité, le lecteur découvre qu’une crise n’est pas l’autre. Et que s’il y a des éléments récurrents forcément, les lieux varient, les travailleurs aussi et la vision proposée par l’auteur aussi.
Ainsi, Tristan Thil est un documentariste qui a consacré, en 2012, sa caméra au combat des sidérurgistes de l’usine de Florange (un des derniers bastions de l’acier dans le nord de la France, celui dont on disait qu’il était sûr d’emploi et de production) en proie à un nouveau plan de fermeture du géant Mittal. Il en a tiré deux documentaires (Dernier Carré et Triche industrielle), mais il faut croire qu’il n’avait pas tout dit. À la manière de Pascale Bourgaux, son histoire, ce qu’il a vu lors de ses tournages reprend vie par le dessin de Zoé Thouron, à l’avant comme à l’envers du décors, mis en perspective avec les moments difficiles qu’il vivait personnellement: le cancer de sa maman.
Mais loin d’entraîner le lecteur dans le pathos, Florange est même un ouvrage d’information plutôt guilleret. C’est une véritable petite armée de papier (au sens propre comme au figuré), mâchée bien malgré elle par les cyclopes du capitalisme (ceux qui n’ont qu’un oeil braqué sur le profit à moindre coût). Au détriment de ces ouvriers qui doivent vivre et travailler pour eux et leur famille, qui aiment leur usine. Ainsi, cette BD offre une véritable galerie de personnage, des portraits de ces sacrifiés, de leur porte-parole aux grands messieurs qui s’agitent et jouent de leur pouvoir acquis ou en devenir (mention aux apparitions de Nicolas Sarkozy et François Hollande aussi drôles que honteuses vis-à-vis des travailleurs qui voyaient en eux leur rédemption)
Et des coups bas, des coups durs et des coups du sort, reste de ce livre une énergie vivifiante, celle qui continue à nous faire avancer, celle de la force des témoignages d’une époque tournant à vide. Florange, une lutte d’aujourd’hui, concerne tout le monde, pas que les ouvriers maudits de ces fantômes du « pass-cier ». Car si la BD est un moyen d’évasion, elle est aussi un outil important pour mieux comprendre une thématique de loin en prêt et dans le relationnel qu’il y a entre tous ces personnages. Car un peu de l’esprit de Florange est dans ces pages, et rien que pour ça le combat n’a pas été si vain que ça!