Fluide
5.5
Fluide

BD franco-belge de Thomas Cadène, Joseph Safieddine et Benjamin Adam (2021)

Force est de le reconnaître, rarement un titre n’aura porté si mal son nom. Car la fluidité n’est hélas pas la caractéristique première de cet album. Et c’est bien dommage, car le précédent opus des auteurs, « Soon », nous avait impressionné par son originalité. Alors certes, ce récit d’anticipation nous alertant sur les dérives de notre monde actuel n’était pas pour autant un modèle de fluidité, mais sa narration déstructurée, alliée à un graphisme innovant, alternant intimité et grande histoire, avait le mérite d’être captivant de par les problématiques abordées.


Les auteurs ont voulu s’essayer à un autre genre, radicalement différent, et c’est tout à leur honneur. Pourtant, si l’on retrouve la marque de fabrique du duo Cadène-Adam, en particulier dans l’esthétique très proche de « Soon », celle-ci fonctionne plus difficilement ici. « Fluide » peut se concevoir comme une comédie sentimentale moderne, centrée sur les questionnements liés à la vie de couple de deux auteurs de bande dessinée, ce qui était sans doute une bonne idée, mais malheureusement, le récit ne parvient pas à décoller et finit même par s’enliser au bout de quelques pages dans un marécage de bavardages oiseux qui peine seulement à faire sourire.


L’intrigue de départ est construite sur l’envie de Jeanne, compagne de l’un des protagonistes, Hector, d’expérimenter un rapport homosexuel, pour mieux se connaitre, dit-elle, comme si sa vie en dépendait. Mais Jeanne, qui préfère la franchise car elle tient tout de même à son couple qu’elle veut juste « moderne » et sans faux-semblants, décide de confier ses états d’âme à Hector, qui l’accepte difficilement. Pendant quelques temps, celle-ci va déserter le foyer conjugal et plonger Hector dans des abimes de questionnements. Ce dernier aura la chance de trouver en son collègue bédéaste — et néanmoins ami — une oreille compatissante. Tout le livre fera la part belle à ces questionnements de mâle urbain contemporain, qui hélas vont très vite se diluer dans un foutoir narratif de haute volée. L’histoire piétine, l’intérêt s’émousse et le lecteur décroche, de moins en moins concerné par les zones de turbulence conjugale du pauvre Hector.


Paradoxalement, c’est le graphisme de Benjamin Adam qui sauve l’ensemble. D’un formalisme poussé, avec abondance de trouvailles visuelles, celui-ci à les défauts de ses qualités. Entre les échanges de textos parfois obscurs des protagonistes et les passages « pop-art » dédiés à « l’histoire dans l’histoire », dessinée elle-même par Hector et son pote Sasha, la trame principale, dans sa bichromie attrayante, est alourdie par une mise en abyme à plusieurs niveaux qui ne fait que complexifier la narration et empêche le lecteur d’apprécier pleinement cette comédie fantaisiste. Est-ce pour cette raison que les auteurs ont cru bon de présenter tous les personnages et créateurs du projet en fin d’ouvrage ? Sans vouloir être trop méchant, on s’étonne que ce one-shot ait pu être réalisé à six mains, avec la participation d’un troisième homme au scénario, Joseph Safieddine, pour un résultat aussi peu convaincant.


Présenté par l’éditeur comme une « bromance », ce qui au passage m’aura permis d’apprendre un nouveau terme, lequel signifie une amitié très forte entre hommes et sans connotation sexuelle, cet album pose les bonnes questions en « bousculant les vieilles lunes de la masculinité et explorant les frontières mouvantes du couple dans une société de plus en plus liquide », un sujet pas vraiment nouveau qui fit florès chez les hippies durant les années 60-70, mais passe à côté de son sujet pour les raisons exposées plus haut. C’est d’autant plus dommage que la mini-série produite par Arte est bien meilleure — et pour le coup beaucoup plus fluide et plus amusante —, au point que l’on se demande si elle a bien été conçue par les mêmes auteurs…

LaurentProudhon
6
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le 19 juil. 2021

Critique lue 58 fois

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