Food Wars
6.6
Food Wars

Manga de Shun Saeki et Yuuto Tsukuda (2012)

Qu'on ne s'y trompe pas, la bouffe m'est chère. Écologiste malgré moi, je ne tolère ni qu'on gâche la nourriture, ni le papier ou l'encre pour l'atteler à quelque bassesse éditoriale en trente-six tomes. Trente-six, on aura vraiment essoré Food Wars jusqu'à récoler la dernière goutte de son jus. Déjà que le corps du manga manquait ici de saveur, on s'obstinait à le rendre plus fade d'un chapitre à l'autre en l'épluchant jusqu'à en râper son noyau pour en extraire la plus infime fibre supplémentaire. Qu'importe que ce fut peu de chose tant qu'il s'agissait de quelque chose.
Quelques choses ; au sens strict de ce que recouvre le groupe nominal, ce n'est que de ça dont Yuuto Tsukuda et Shun Saeki daignèrent nous en accorder les bribes.


Sans cesse alerte, toujours vigilant, j'ai appris - au gré de bien des déconvenues occasionnées par mes lectures - à ne pas baisser ma garde. Le moindre signal douteux suffit aujourd'hui à solliciter l'entièreté de mon système nerveux, prêt à répliquer dans l'instant. Certaines de mes critiques - trop en réalité - s'abordent comme des combats à mort. Si je ne souhaite pas y laisser une partie de moi-même, mes ripostes aux coups bas portés par la lecture se doivent d'être dévastateurs pour que la bête ne se relève pas. Des coups bas, il y en a eu ; très bas. Sous la ceinture plus exactement. L'ecchi ici aura atteint des strates inouïes, des strates qui tirent vers le bas, vers le fond, vers des abysses infinies qui n'en finissent pas de nous arracher des soupires de consternations tout du long de la chute.
Quand, dès le premier chapitre, soit dès l'introduction, là où tout se joue, il est question d'une écolière tripotée par les tentacules d'un calamar - dans un manga traitant de cuisine, rappelons-le - à la seule fin d'offrir une allégorie à l'extase culinaire... c'est que le pire est à venir. Il viendra d'ailleurs sans attendre qu'on ne l'invoque. Le climat ambiant n'était que trop favorable à son établissement pour qu'il refuse à y faire son nid.


Shônen comme jamais, ce sera là un pur Nekketsu mitonné et transposé à la cuisine qui nous sera servi sur son lit de mauvais goût, le tout, allègrement assaisonné d'un manque d'imagination flagrant. Un objectif clair et précis institué dès le premier chapitre pour les héros, des affrontements répétés ad nauseam, même un tournoi... nous ne sommes décidément pas en territoire inconnu. Hélas.
Hélas, car il est des sentiers battus qu'on n'a que trop traversé et qui, à force, ne nous évoquent que de mauvais souvenirs. Ce souvenirs ne manquent jamais de nous rappeler les déceptions d'alors qui nous auront contrit maintes fois sur le tracé de ce même parcours.
Voilà un autre Shônen qui n'a rien de nouveau à apporter ; il faut croire que le monde en avait besoin puisque la débâcle aura traîné trente-six tomes.


Pensez donc, moi qui suis un gourmet critique, me servir ça ; certains ne doutent vraiment de rien. Ce que j'ai mâché à longueur de pages ne m'aura pas particulièrement ravi le palais ; l'estomac se sera en tout cas refusé à en faire son lit alors qu'il régurgitait sans cesse. Le Nekketsu de base - tellement de base qu'il rase le sol au point de fusionner avec - je peux plus. Va falloir changer la recette ; c'est pas humain de manger la même pitance. M**ême présenté différemment, le même plat a le même goût et celui-ci n'a pas de quoi réjouir les papilles**.


Le menu, vous le connaissez tous mais je vais vous en faire une énième lecture. Il commence en entrée avec des personnages insipides si articulés par les archétypes dont ils sont faits qu'on ne voit plus que ça. Le plat de résistance, c'est l'intrigue : il n'y en a pas, le tout n'étant qu'une succession de scènes répétitives ne reposant que sur un ressort rouillé usé jusqu'aux pires abus.
Vous relisez ici un Nekketsu où les personnages que vous aviez appris à détester ailleurs ont ici un tablier et moins de personnalité encore. Ceux-là ne sont mû que par une trame les enjoignant à multiplier les compétitions culinaires où les plus grands gourmets entre autres cunnilinguistes de renom viendront sacrer le vainqueur sur un coup de fourchette. Je suis repu et barbouillé rien que de l'écrire ; bon sang que c'était lourd. Et pas que pour l'estomac, j'en ai bien peur.


La mise en scène excessive dans l'emphase mais un brin jouissive du fait de son dynamisme aura tôt fait de se répéter au point de devenir banale. Il faudra que quelqu'un enseigne un jour les bases de la stimulation des méninges à pléthore de mangakas ; abuser d'une même astuce, cela la rend fatalement commune et prévisible, il faut savoir ménager ses effets et ne pas les cracher constamment à la gueule d'un lecteur qui, à force d'en être saturé, s'en lasse le plus naturellement du monde.


Yuuto Tsukuda et Shun Saeki nous auront confectionné là un plat présentable mais sans goût. Le - modeste - triomphe de la forme sur le fond. Car que dire des dessins ? Certes, ils resituent à merveille les plats préparés ; c'était la moindre des choses, mais les représentations des personnages sont à la mesure de leur psyché ou plutôt, à la mesure de l'absence de cette dernière. La conception artistique des personnage est simplement caricaturale et tenue dans les clous au point d'être interchangeable avec les protagonistes de mille autres mangas au moins.


Les enjeux ne contribueront - eux non plus - aucunement à vous agripper aux tomes de Food Wars. Soma triomphe de tout et de tout le monde d'un revers de spatule. Chaque défaite n'est que partie remise et, bien évidemment, remportée. Food Wars finit très vite pas n'être rien de plus qu'un catalogue de plats cuisinés aux décors agités dont on ne saisit trop bien la nature de la nervosité des personnages en coulisse.
Qu'on en apprenne plus sur la cuisine - si peu malheureusement - c'est heureux, mais son enseignement ne suit pas de parcours progressif. On ne commence pas avec du simple pour graduellement tendre vers le niveau expert ; tout le monde est le meilleur d'emblée, à nous de nous arranger avec ça.


La recette habituelle, c'est le même plat du jour resservi avec une garniture différente. Un antagoniste survient, Soma se met en travers de sa route et un combat culinaire qui n'aura rien de plus à offrir que le précédent mais probablement plus que le suivant s'amorce. Ces confrontations culinaires sont simplement plus longues alors que le fil de la trame s'étend en conséquence et ne souffriront chacune que d'infimes variables. On ne peut pas renouer à l'infini avec un sujet aussi fermé, je le conçois. Je conçois tout autant qu'il ne soit pas nécessaire de prolonger déraisonnablement une série qui a déjà tout donné. Pas nécessaire pour le lecteur en tout cas. Cinq tomes auraient suffi à condenser le meilleur ou en tout cas le moins pire de Food Wars. À diluer son vin avec de l'eau à raison d'un hectolitre pour une bouteille, il ne reste que de l'eau. Je me plais à croire qu'un simple fond picrate a plus de goût qu'une flotte versée à n'en plus pouvoir.


Shônen oblige et exagérations d'usage en sus, le festival du déballage des émotions factices est de sortie. Du drame là où il n'a pas lieu d'être, il y en aura tout autant si ce n'est plus. Curieusement et, en dépit de ces artifices tapageurs, plus Food Wars sera relevé, moins il aura de goût, sans doute un des mystères de la nouvelle cuisine ou tout simplement la stricte logique des choses alors que les excès répétés aseptisent et gâtent la dégustation. La surprise n'étant plus de ce monde passé le premier tome, nous rejouer sans cesse la sempiternelle scène du spectateur qui s'écrie «Quoi ?! Mais c'est impossible !» nous amène à force à spontanément concevoir que, si, c'est possible. Possible et rébarbatif.


Il n'y a pas lieu de renouveler l'enjeu des affrontements alors que ces derniers sont tous de même nature : cuisiner un plat pour remporter un concours. À moins de lorgner sur les terres de Yu-Gi-Oh et pousser le vice jusqu'à prétendre que le destin du monde dépend d'une compétition de cuisine, il est difficile de multiplier les enjeux d'affrontements dont tout le monde ressort debout du champ de bataille.


À mettre à son crédit du scénariste toutefois, la documentation fournie en matière de cuisine qui ne tarit pas au gré des volumes se succédant. Pour cela - et cela seulement - je m'incline. C'est à cela et à cela seul que tient la faible teneur en renouvellement dont peut se targuer Food Wars. Cette donnée mise de côté, nous relirions alors véritablement l'exact même chapitre en boucle avec - peut-être - un agencement différent de la mise en page.


Yuuto Tsukuda eut-il la primeur de l'idée d'un Shônen culinaire que le trois sur dix aurait pu se considérer. Mais quand on arrive plus de deux décennies à la traîne de Mister Ajikko : Le Petit Chef et qu'on n'a que de nouvelles recettes à offrir pour se démarquer, c'est que l'on n'a strictement rien inventé ou même incrémenté. C'est ça l'inconvénient de la nouvelle cuisine, ça a un fumet nouveau, mais il y a très peu à se mettre sous la dent. Et moi la dent, je l'ai dure ; voilà pourquoi je ne peux décemment pas avaler des restes d'un Shônen datant d'un quart de siècle et réchauffés à la hâte.


Je vous vois les yeux humides alors, qu'après qu'on vous ait ouvert l'appétit sur la perspective de vous délecter du regard sur un manga savoureux, je vous referme le premier tome de Food Wars sur le nez pour votre bien. Pour votre bien toujours, je vous proposerai de découvrir une œuvre où la cuisine y a parfois la part belle au point de m'avoir donné faim bien que je ne sortais de table ; je vous parle là des épisodes d'Ootsuki dans Chuuran Kanriroku Tonegawa. Une version animée qui ne se déguste toutefois qu'en dessert après avoir dégusté Kaiji en entrée et son deuxième périple en plat principal. Vous ne regretterez pas la bombance que vous ferez alors.
Méfiez-vous cependant, c'est une cuisine assez riche, le cœur peut défaillir si on en abuse. Mieux vaut espacer ses repas pour mieux les savourer.


La conclusion de Food Wars aurait aussi bien pu être la fin de n'importe quel autre chapitre tant elle est quelconque et n'engage à absolument rien. Voilà un plat qui n'aura pas été concocté avec soin mais plutôt jeté négligemment au micro-ondes des années durant avant de nous être servi sans même un couvert pour l'apprécier. Food Wars était une idée à rentabiliser avant de se concevoir comme un manga à proprement parler. Les auteurs, en plusieurs années de parution, en auront retiré un petit magot ; qu'ils se gardent bien de prétendre qu'ils aient écrit Food Wars par passion. De passion, s'ils en ont eu à un instant donné, c'est pour leur compte en banque, ce dernier dictant la marche à suivre de leur «art».
Pour la scélératesse flagrante de la démarche, ce sera un sur dix plutôt que deux. Une étoile dans le guide Josselin, ça revient à vous signaler une tambouille toxique ; j'y ai goûté pour que vous n'ayez pas à le faire, de grâce, ne vous y risquez pas.

Josselin-B
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le 17 juil. 2020

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Josselin Bigaut

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