Une famille (deux grands-parents, deux filles, deux gendres, deux petits-enfants) se réunit pour une réunion de famille, ce qui est le principe d’une réunion de famille, admettons-le. Et ensuite… Ensuite, les invités s’envoient des répliques d’accueil assassines, le cousin et cousine vont « jouer au jeu des 7 familles dysfonctionnelles », et il faut trouver un sujet de conversation. Alors on ne peut pas dire que ça dérape, car ça n’a jamais été solidement fixé à quoi que ce soit.
Déjà, en page de garde, il y avait un dessin d’avion en vol. Et avant même la page de faux titre, un homme déguisé en kebab partait au travail (petit déjeuner en famille, métro). Ces deux choses rejoindront l’intrigue principale.
Et si c’est seulement le deuxième album de Fabcaro que je lis, il me semble que son travail se place un peu au-delà de l’humour noir sans conséquences, de trucs surprenants sur le coup mais faciles à oublier.
Un exemple ? « Une tragédie en trois actes » : c’est le sous-titre de Formica. Chez des auteurs sérieux – mettons Enki Bilal et les quatre « actes » de sa Tétralogie du Monstre –, mentionner des actes peut correspondre à une volonté de légitimation de la bande dessinée : des actes, ça pète, c’est plus noble que des albums, ça fait très roman graphique, ça ancre la bande dessinée dans une tradition artistique plus ancienne et plus large qu’elle-même.
Fabcaro fait exploser – ou désamorce, c’est selon – tout ça. Son deuxième acte occupe une planche de deux cases et d’une réplique. Mais parallèlement, puisque c’est une « tragédie », il y a un chœur, comme chez Eschyle, Sophocle et Euripide. D’où la présence de l’homme-kebab – déguisé en grec, c’est ça… D’où aussi quelques refrains chantés en vers de mirlitons – et incluant « Viser la lune » d’Amel Bent, ouais… – par des choreutes qui finissent par parler d’un orchestre de musique classique comme on parlerait d’une équipe de football.
On trouve aussi, entre autres, une planche où le grand-père casse le quatrième mur – « Lecteur, lecteu.s.e, je sais ce que vous vous dites, pile là… » – et la cuisine accueille une « doublure mère juste pour cette page ». Comme dans Moins qu’hier (plus que demain), on trouve encore des personnages décidés à jouer le jeu social coûte que coûte, fût-ce au prix de répliques déconnectées de la situation.
Mais voilà : dire « on en rira dans dix ans » après qu’un personnage vient de tuer son neveu, sans susciter chez son beau-frère une réaction plus agressive que « Mh… je n’aime pas trop que tu aies tué mon fils… », est-ce réellement plus creux que de dire « on en rira dans dix ans » quel que soit le contexte ? Le procédé est récurrent dans Formica : une action provoque des réactions inappropriées / démesurées par rapport au contexte, mais pas forcément moins intelligentes ou plus pertinentes que si on les prenait hors de tout contexte.
Cette satire-là s’attaque au langage autant qu’à la société qui l’utilise, et qu’aux œuvres qui le mettent à contribution. Et ça, c’est chouette.