Commando Colonial, la guerre entre parenthèses
Débutée en septembre 2008, la série d'Appollo (La Grippe coloniale, Île Bourbon 1730, Biotope, etc.) et Brüno (Capitaine Nemo, Inner City Blues, Junk, etc.) compte depuis octobre 2010 trois tomes. À la lecture, Commando Colonial procure un sentiment inattendu de légèreté pour un thème aussi lourd et rabâché que la Seconde Guerre mondiale. De là à sombrer dans le cliché et dire que, vue des îles, la guerre adopte un tout autre rythme, il y a un pas que j'hésite à franchir. Et pourtant...
IL n'est jamais évident de bien parler de ce que l'on aime. Saisir l'essentiel d'une émotion diffuse, piégée dans l'harmonie d'une case, dans la surprise d'une réplique inattendue, n'est pas un exercice dans lequel j'excelle. Il est tellement plus facile de dire du mal... Je vais tout de même faire un effort pour cette série qui me contente à chaque tome de son ambiance unique.
Unis par la force des choses
Le major des Forces Françaises Libres Antoine Robillard et son ordonnance, Maurice Rivière, forment notre commando. Colonial car leurs seuls points communs sont leurs origines - l'Île Maurice pour le premier, la Réunion pour le second - et la destination de leurs missions : Madagascar (tome 1 : Opération Ironclad), l'île Europa dans l'Océan Indien (tome 2 : Le Loup gris de la Désolation), ou encore le Sahara algérien (tome 3 : Fort Thélème). Pour le reste de leurs accointances, disons que la rectitude et le sens du devoir d'Antoine s'accorde tant bien mal avec la nonchalance et la mauvaise foi du soldat Rivière.
L'autre guerre
Anodines en apparences, chacune des missions de nos deux militaires révéle un pan méconnu de la Seconde Guerre mondiale. De parties de tennis dans une paisible propriété, aux abords de Diego-Suarez, au règlement de compte armé franco-britannique pour la possession de Madagascar, de la découverte imprévue d'une petite île perdue en plein canal du Mozambique et de son drôle de propriétaire à cette ballade forcée jusqu'aux îles Kerguelen aux frais de la Kriegsmarine, de ces quelques jours passés entre les murs du fort paradisiaque de Thélème à la déroute de l'Afrika Korps grâce au courage d'un seul homme, Appollo mêle petite et grande histoire avec une aisance déconcertante. Non, l'enjeu de ces missions ne renversera pas le cours de la guerre - ce dont sont bien conscients les deux héros -, mais le devoir passe avant tout. Une obligation morale, incarnée par la droiture de Robillard, et bien tempérée par le relativisme de Maurice.
Dynamic Duo
Le charme de la série tient également à la dynamique entre Robillard et Rivière, les deux personnages principaux. Leurs missions, leurs rapports hiérarchiques, leurs opinions sur les personnages rencontrés - pour la plupart hauts en couleurs -, tout est prétexte à développer entre les deux hommes une relation mêlée de respect, de cynisme, de pragmatisme et d'humour. Les lignes de caractère des deux personnages restent néanmoins suffisamment mouvantes pour éviter toute caricature. Bref, chacun se respecte, mais aucun de manque de rappeler à l'autre son rang ou son balai dans le fondement.
La guerre à visage humain
Chaque mission semble ouvrir une parenthèse dans l'horreur de la guerre pour se concentrer sur des enjeux plus individuels, où parfois la résolution d'un conflit tient plus à la personnalité un peu butée des protagonistes qu'à leurs idéaux prétendus. Les liens qui unissent ces hommes et ces femmes dépassent les enjeux de chaque camps pour se confronter à l'urgence et aux ajustements du quotidien. Ainsi, un mécano un peu amoureux rejoindra de peu le mouvement nationaliste malgache quand un major des FFL fraternisera avec un officier de la Kriegsmarine à l'évocation d'Apollinaire et des éléments déchaînés. Les grands décident, mais ce sont au final les hommes sur le terrain qui agissent et s'accomodent du facteur terriblement humain de leurs situations absurdes. Et puis, il y a la mort, parfois injuste, toujours brutale, qui rappelle la guerre et donne tout leur sens aux aventures de notre commando.
Ce rapide tour d'horizon de la série serait incomplet sans saluer le dessin de Brüno. Le trait va à l'essentiel, comme le découpage qui accélère, débraye, pose les ambiances avec une efficacité remarquable. Le tout est harmonieusement mis en couleur par la palette de Laurence Croix, collaboratrice régulière sur les titres du dessinateur.