Un viol inaugural, est-ce osé ? Freesia, au milieu de ses dessins délibérément psychotiques, aux traits noirs et rayés qu’on croirait esquissés depuis la main handicapée d’un Taiyo Matsumoto, cherche désespérément à confondre le lecteur autant qu’il s’emploie à vouloir le choquer. Une schizophrénie prononcée et romancée, quelques plates considérations sur le monde moderne, du sexe qui se voudrait choquant ; ça en fait décidément trop pour justement en faire assez. MPD Psycho, j’ai donné ; et des raisons de me réjouir de ce que j’avais lu alors, j’en avais. Ici, elles sont quelques peu déficitaires.
Pompeux ? Freesia ne l’est pas tellement. Le lecteur ne sature pas sous le quant à soi blasé d’un protagoniste si hors de ce monde qu’il échapperait même à l’intérêt de son lectorat. L’aspect qui se sera voulu perturbant, en revanche, ne nous est en tout cas que trop exhibé sous le nez pour que la démarche ne soit pas tenue pour racoleuse. Du reste, celle-ci, opérée sur un lecteur avisé des choses de l’atrocité humaine ne pourra être employée qu’en pure perte.
Il y a de l’Ikigami dans la sauce qu’on nous sert. Ce ne sont plus des préavis de mort qu’on délivre, mais des actes de vengeance. Mais le fond dystopique est le même. La finalité des actes qu’on agite, en bout de course, suppose la même issue. Plus sanglante peut-être.
C’est être injuste de que dire de Freesia qu’il serait une pâle copie détournée d’un Ikigami dans la mesure où la portée que s’accorde l’œuvre est autrement plus étendue. Tout ce qui entoure le travail d’exécuteur par proxy, surtout ce qui a trait à ses règles, a de quoi être savoureux… si on prenait la peine de nous présenter la garniture convenablement. Ce qui avait les moyens d’être complexe et intelligent aura, sans coup férir, dévié jusqu’à s’en tenir à de l’assassinat bourrin dont on aura cherché à exagérer le violence en présentant le tout comme un parti pris scénographique.
Les personnages sont sans saveur, occupant leur rôle sans aller au-delà ; il ne s’en trouvera pas un pour seulement tenter d’avoir une personnalité. Tous ces personnages dont vous ferez la connaissance ici, vous les déjà vu autre part ; et pas dans des œuvres illustres. L’écriture ne s’accomplit que du bout du crayon et le rendu n’en est alors que plus faible. En dépit de l’idée de la vengeance par proxy, tout ce qui accompagne la recette Freesia est indigeste. L’idée du plat est exquise, le tout serait encore de le cuisiner comme il se doit en prenant soin de choisir les meilleurs ingrédients.
Tout ce qui se veut cynique et cruel est ici bien mal émulé. De pareils sentiments, ils ne se simulent pas, ils s’expriment sincèrement depuis le fond de la bile d’un auteur rendu amer. Je sais de quoi je parle. Dès que ça tient à l’atroce, ça n’accroche pas. C’en est même simplement bête et méchant. La dépravation est si fade qu’elle n’a strictement aucune emprise sur les nerfs. Il en faut plus que des homicides brutaux et des scènes de sexe gratuites et répétées pour être véritablement perturbant. Freesia, c’est Gantz qui chercherait à se prendre pour Shigurui ; c’est drôle au départ, mais ça fait très vite de la peine à voir. Et à lire surtout. Ce qui se voudrait pertinent dans la bassesse n’aboutit jamais qu’à quelques monceaux de vulgarité bien tapageurs.
Bien que l’auteur cherche à imbriquer correctement la possibilité d’une vengeance légale portée par un proxy, rien ne tient debout. Le coupable d’un acte illégal, en plus d’être sujet d’une vengeance, doit préalablement faire une peine de prison – à quoi bon dans ce cadre juridique ? – les accidents sont légions, les entorses aux règles – celles-ci ayant été très vite expédiées par la narration – pléthoriques et impossible à prouver ; un juriste n’y trouverait que prétextes à l’anévrisme. Il eut fallu établir un cadre scénaristique plus fantasque pour que la chose fut admissible dans le récit.
Oh, naturellement, je vois bien d’où ça sort. Un futur proche et dystopique avec un contexte de misère et de guerre, ça a tout l’air d’un Rollerball ou d’un Marathon Man ; soit la greffe d’une atrocité coutumière dans le quotidien pour mieux marquer la déliquescence morale d’un peuple qui meurt d’une hémorragie de l’esprit.
Les modalités de la narration, rien que formellement, sont lourdes et n’engagent franchement pas à la lecture. C’est mal raconté ce qu’on lit, et ça met des points au milieu des phrases pour casser un rythme qui ne parvient jamais à s’établir.
Et jamais il ne nous parvient la moindre stratégie pour descendre les gardes du corps. Tout n’est que cliché et racolage entre faux effets de manche et planches aux dessins nerveux pour mieux masquer l’incapacité à décrire des actions vives et percutantes. Tout ce que le métier du proxy aurait pu avoir de bon, il n’y en a pas une once qui sera exploitée le temps de Freesia.
Les névroses d’Hiroshi pointent le bout de leur nez pour tenter de corser la trame. L’échec de la tentative, une fois de plus, est cuisant. C’est encore à ça qu’on s’intéresse le moins tant la psychologie ici a des allures de carnaval. Il y a, une différence, sur le plan de l’écriture, entre dire d’un personnage qu’il est fou, et le démontrer formellement. La psychose d’Hiroshi n’est pavée que de variables aléatoires sur une personnalité lisse venue recouvrir une psyché résolument creuse.
Et tout ça pour finir en blabla existentiel sans un propos au milieu d’une kilotonne de verbes usés sans raison. Finalement, si ; Freesia était pompeux, mais il ne l’était que discrètement, langoureusement. Toutes ces agitations ne suggéreront jamais rien d’autre qu’un « à quoi bon » lâché avant de passer à autre chose. À vous qui lirez cette critique, je vous suggère de passer à autre chose avant de vous essayer aux gracieusetés babillardes de Freesia.