Fruits Basket
6.2
Fruits Basket

Manga de Natsuki Takaya (1998)

Je reviens de loin et - à Dieu ne plaise - je n'y retournerai jamais. Fruits Basket, ça se lit une fois. Ça se subit une fois. Au-delà, les lésions cérébrales encourues sont irréversibles.


La lecture, je ne l'entamai pas confiant. Quand on s'engage à traverser le Sahara à pieds, il faut s'attendre à marcher sur une ou deux mines anti-personnel en route. C'est fatal, mais prévisible. Alors, poursuivant mon périple en vue de critiquer les cents meilleurs mangas selon SensCritique, je savais que je ne pouvais pas repousser l'inévitable indéfiniment ; il allait bien falloir un jour au l'autre que je lise un autre Shôjo.
Rien que la jaquette du premier tome annonçait la couleur. Une écolière avec de grands yeux et un sourire niais. Le tout, abominablement mal dessiné, bien entendu. J'entrai en territoire inconnu, et je savais qu'une fois celui-ci exploré en long et en large, je ne serais plus le même homme. Fruits Basket après lecture ne s'appréhende plus comme un manga, mais comme un traumatisme.


En réalité, ce n'est pas seulement une critique que je vous délivre présentement, c'est un exercice de psychothérapie voire, un exorcisme. Parce qu'il faut que ça sorte, vous comprenez ?! J'ai payé le prix de cette lecture pour vous l'épargner, la moindre des choses, c'est que vous me supportiez maintenant que j'en essuie les violentes séquelles.


D'abord, on apprend que Tohru a été élevée par sa mère seule. Y'aura pas un bonhomme dans l'équation. On va bouffer du girly sans édulcorant et faudra se retenir de régurgiter quitte à s'étouffer dans son vomi. Les vingt-trois tomes, je les ai lus. Y'a pas de médaille de guerre pour ce haut-fait, pas de légion d'honneur non plus. La seule reconnaissance pour ma bravoure, ce sera peut-être quelques «j'aime» sur SensCritique et des abonnements.


Je crache pas dessus....


Tohru Honda, donc. C'est elle l'héroïne. La source de mes cauchemars. Elle annonce la couleur dés le départ : elle est d'un optimisme à toute épreuve et n'abandonne jamais. Alors elle va garder son sourire insupportable constamment placardé sur sa gueule vide du début à la fin. Une sorte de grimace démoniaque qui nargue le lecteur en lui aspirant peu à peu son âme.
Un garçon ? Elle rougit ? Une histoire pour enfants ? Elle pleurniche.
Cet optimisme niais et exacerbé, ces débordements émotionnels, ces yeux qui occupent la moitié de son visage... et si ça avaient été les symptômes d'une tumeur cérébrale ? J'ai prié pour qu'elle finisse le manga en soins palliatifs, chauve, couverte de plaies, mais rien n'y a fait ; son optimisme était plus ardent encore que mon cynisme. C'est dire si elle a de la ressource.
Elle crèvera pas la carne. Où sont Raoh et Kenpachi quand on a besoin d'eux, je vous le demande.


Les dessins sont horribles. Je pourrais multiplier les adjectifs pour illustrer à quel point le rendu graphique est désastreux, mais ça n'en vaut pas la peine : c'est simplement moche et impersonnel. Mal dessiné, mal proportionné, des décors une fois par année bissextile ; le désastre n'en finit pas. Pire, il ne fait que commencer.
Pas même un sens du somptueux ou une quelconque hyper-stylisation esthétique pour renforcer l'approche féminine du coup de crayon ; le meilleur qu'on aurait pu attendre du Shôjo, on n'y aura même pas droit.


Mais Tohru va vivre dans une tente suite à quelques imbroglios... lunaires. Son Grand-père la fout juste à la porte le temps de rénover sa baraque. Mais qu'à cela ne tienne, Tohru va découvrir la vie à la dure et en tirer le meilleur parti. La précarité rutilante, il fallait y penser. Prenez-ça dans la gueule geignards de S.D.F, Tohru vit dehors, mais avec elle, ça a quand même plus de gueule. Au fond, le problèmes des sans-abri, c'est leur manque de glamour. Heureusement qu'il s'est trouvée une auteur de Shôjo pour corriger le tir.
Le premier chapitre n'est pas achevé qu'on baigne dans l'indécence.


Non, la parenthèse de la tente durera quelques cases seulement. On ne va quand même pas faire frayer la ravissante Tohru avec ces salauds de pauvres, non mais ! Non, à la place, elle va vivre en colocation... avec des garçons «Hihihi». Oh, joie ! C'est un Love Hina inversé qui nous attend !


Déjà, je commençais à nouer au lustre la corde avec laquelle je comptais me pendre.


J'ai pas échappé à Hélène et les garçons pour m'infliger ça. Les situations douteuses, je les devinais déjà : «Hiii, j'ai vu sa bistouquette», «Haaaan, j'hésite entre les deux/trois/quatre/douze», ça, et pire encore. Mais je savais dans quoi je m'embarquais. Alors, après avoir fini de me scarifier - on ne peut pas lire jusqu'au bout autrement - je poursuivais la purg... pardon, «l'aventure» Fruits Basket. Je n'en étais qu'au chapitre deux et il me semblait qu'un siècle déjà s'était écoulé.


Alors qu'on pense - qu'on espère même - que le calvaire se bornera au postulat de base déjà passablement calamiteux, la gangrène s'ajoute soudain à l'infection. Il va y avoir du contenu magique en jeu. À tous ceux qui nourriraient encore des espoirs à ce stade (de grands optimistes), je coupe court à toutes vos attentes ; il ne sera pas question de bon traitement de la magie. Comment dire... vous aimez les signes du Zodiaque ?


Ah, les femmes et l'horoscope... je pourrais en écrire des choses désobligeantes sur le sujet ; mais je préfère ne pas chasser deux lièvres à la fois.


Douze membres de la famille que sera amenée à côtoyer l'autre gourde durant son aventure peuvent chacun se transformer en un animal du zodiaque chinois, ils apparaîtront chacun au compte-goutte pour jouer les invités inopportuns et les trouble-fêtes. Le propos est aussi daubesque qu'il en a l'air. Il s'accorde d'ailleurs à merveille avec le dessin. Et le reste aussi. Mieux, il relève presque du plagiat. Car ils ne se transforment en animaux que lorsqu'un être du sexe opposé les prend dans leurs bras. Tout cela n'est pas sans rappeler les transformations de Ranma 1/2 qui, elles, survenaient au gré des eaux.


L'agencement des pages est anarchique, les dialogues décousus (pour ce qu'ils ont à dire, ça ne change très honnêtement pas grand chose), les coupures entre chaque chapitre assez peu nettes... on se sait parti pour passer un bon moment.
Des lieux-communs philosophiques à vous foutre la chiasse, il y en a une pelletée. Des bons sentiments aussi. Important ça, les bons sentiments. J'ai encore en mémoire le paroles du grand-père de Tohru qui ne manque pas d'arguer - sans ironie - l'importance de la famille à ses yeux..... sans que personne ni même la narration ne lui rappellent qu'il a foutu sa petite-fille dehors le temps de rénover sa maison. Quatre mois...


Et vas-y que ça geint, et vas-y que ça pleurniche pour un oui ou pour un non «Je ne veux pas quitter cette famille, je veux qu'on reste tous ensemble» tous les deux tomes... le caractère artificiel des sentiments exprimés et partagés sautent à la gorge du lecteur à chaque chapitre. Y'a pas de pudeur, y'a pas de réserve, y'a que de l'excès.
Que tout cela pue le faux, que toutes ce considérations sont superficielles et traitées avec la maturité d'une gamine de cinq ans. Les personnages sont justes synthétiques à en vomir. Des jeunes-beaux tourmentés (avec du drame à pas cher sorti d'un Zola) autour d'une jeune fille naïve dont l'émotivité frise le séjour en psychiatrie. Lourde la psychiatrie. Le genre avec les électrochocs.
Cucul la praline ; ça aurait pu être le titre de cette critique. Ça aurait même pu être le titre du manga. Qui aurait pu penser que de la guimauve trempée dans du miel puisse avoir un tel goût de merde ?


Les agréments ajoutent de l'immonde à l'exécrable. Non-contents d'être pour la plupart de jeunes éphèbes ayant tout pour eux, il faut que les personnages masculins principaux aient des origines tragiques pour la plupart. Imaginez-lez jouer les grands malades à maudire leurs semblables de tonitruants «T'façon, t'peux pas comprendre» en prenant leur figure d'adolescent prostré et au-dessus de tout car ayant tout connu de la vie à même pas vingt ans. Des poseurs aux blessures secrètes. Ça a vite-fait de gonfler. Le claques se manquent par millions.


Fruits Basket est tout ce qu'on peut attendre d'un Shôjo, c'est à dire rien de bon. C'est avec la vacuité en étendard que Natsuki Takaya part en guerre. Contre qui ? Mais le bon goût, enfin. Prendre à ce point ses lecteurs - ses lectrices en vérité - pour des tartes, ça frôle la correctionnelle.


Que je n'apprécie pas Fruits Basket parce qu'il est un manga adressé à un public féminin, rien de plus normal. Que je ne lui trouve aucune qualité, c'est un problème. Tous sexes confondus, personne ne devrait s'infliger ça. Ce n'est même plus une simple question de goût mais de dignité. Du mignonnet mièvre où l'héroïne passe son temps à sourire comme une potiche, c'est insultant à la longue. L'œuvre n'a ni caractère, ni propos ; c'est une capitalisation sur le foutage de gueule et la sur-dramatisation des origines du cheptel de protagonistes. Le plus triste étant que ça a fait florès.


Moi qui ai toujours un «bon» mot sur les femmes et qui ne me prive jamais d'un commentaire misogyne quand ce dernier me vient au bord des lèvres ou au bout de la plume, je le dis sans démagogie aucune : ce manga avilit la femme. L'image de la femme dans un premier temps. Car mesdemoiselles, il ne faudrait décidément n'avoir aucun respect de soi pour s'identifier au personnage de Tohru. Si vide, si creux, si superficiel et sans personnalité. Un concentré de bons sentiments mielleux et navrants modelés puis sculptés sous des traits déplorables, aussi bien sur le fond que la forme. Je me plais à croire qu'une femme est autre chose qu'une entité biologique remuante, bêtement émotive et aussi indécise.
Mais au-delà de l'image de la femme, ce sont les lectrices qui sont elles aussi avilies. Pourquoi s'infliger quelque chose d'aussi stupide ? Du contenu adressé aux femmes avec une réelle épaisseur et qui ne se borne pas à une conception aussi simpliste des personnalités et des rapports humains, ça existe aussi, non ? Fruits Basket est à la femme ce que Fairy Tail est au mâle ; la flatterie la plus grossière du cerveau reptilien qui n'amène qu'à se satisfaire du sommaire et du médiocre.


Je vais arrêter là l'exposé féministe (bien malgré moi), au risque de me voir attribuer en récompense un ministère au droit des femmes.


La fin est ce qu'on peut en attendre... c'est un conte de fée moderne. Ils se marièrent, vécurent heureux et ne dérogèrent pas au principe de la fin cliché. C'est supposé être beau, plein d'espérances, mais je maintiens, c'est terne car artificiellement gonflé par la mièvrerie ambiante.


Le Shôjo n'ayant été - au gré de mes rares et tristes expériences - que des ramassis de niaiseries ou de constitutions d'univers doucereux et naïfs sans réelle valeur ajoutée/innovation conséquente (et souvent mal dessinés, c'est dire si ça cumule), je ne saurais que suggérer à la gente féminine de s'en détourner. Le Seinen, c'est un genre très vaste, mais il y a à boire et à manger pour tous, donc, de quoi se sustenter. Vous voulez des histoires d'amour intelligentes et remarquablement bien construites ? Lisez Bonne Nuit Punpun entre autres perles ; mais de grâce, détournez-vous de ces conneries de Shôjo. Vous vous rendriez le plus inestimable des services.

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le 14 avr. 2020

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Josselin Bigaut

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