Des sports susceptibles de m’intéresser, y’en a pas des chiées. Outre le rugby, rien, sur quelque autre terrain que ce soit, n’a d’attrait à mes yeux. Certains mangakas ont certes été à même de sublimer par leur œuvre des disciplines sportives qui m’étaient pourtant quelconques. Cela, quand ils ne m’en faisaient pas simplement découvrir une. Mais de mangas sur le rugby, s’il s’en compte une vingtaine – en étant très large dans l’acception – il n’y en a, je crois, pas un qui soit ne serait-ce vaguement digne d’un quelconque intérêt. Ça fait pourtant plus d’une décennie que le Japon s’est pris d’une relative affection pour ce sport ; on eut dès lors pu espérer que... Mais non.


Des mangas sur le Baseball ou bien les sinistres facéties du ballon rond, à la kilotonne que je vous en sers ; mais une œuvre – une seule – qui fasse judicieusement honneur au rugby à quinze, c’est apparemment un vœu pieux. Pourtant, de la matière à exploiter, y’en a.

Le rugby à quinze offre à l’auteur des tas de positions de joueurs dont les attributions ne sont jamais les mêmes. Du talonneur à l’arrière, les rôles de chaque joueur s’avèrent pluriels et à même de correspondre à tout type de gabarit selon le poste occupé. Le lecteur, de là, ne pourra que se trouver un numéro de maillot correspondant à ce qui lui conviendrait le mieux s’il venait à s’essayer à la discipline. Il y a élan porté vers le rugby au Japon, il ne reste plus qu’à un auteur habile de concrétiser le saut pour susciter ensuite un engouement de masse.


D’autant que le rugby est un sport varié du fait de ses différentes phases de jeu. On retrouve de tout, de la confrontation de force pure, de l’habileté, du sens tactique, du jeu au pied, des techniques variées et parfois… tout ça à la fois. Quelque mangaka souhaitant s’essayer à une œuvre sportive est un criminel en puissance dès lors où il renonce à prêter sa plume et ses crayons au rugby. Il aura fallu que je fouille pour trouver si, ici ou là, il se sera trouvé au moins un auteur pour faire du bon travail.


Après le spectacle atterrant que furent mes lointains visionnages passifs des adaptations animées de All Out! ou encore Number 24, mes espoirs avaient été plus ou moins annihilés. Aussi, quand un article du Monde - car même le diable porte Pierre - me relatait qu’un mangaka, tout là-bas chez les nippons, avait noirci du papier au nom du rugby, je m’y suis résigné en désespoir de cause. C’est donc de cette cause désespérée dont je me fais présentement le chroniqueur.


Quand All Out! Et Number 24 m’avaient écœuré avec leur dessin – inconsistant dans le premier cas et tournant au défilé d’éphèbes anecdotiques pour le second – le concept graphique est ici plutôt acceptable. Pas d’artifices tapageurs pour singulariser les personnages, ni d’archétypes graphiques éculés, quelques bonnes planches qui n’ont cependant rien de transcendante ; le dessin est plaisant. Entendez par là qu’il est agréable le temps du récit et ne vous donnera jamais l’ombre d’un prétexte de vous en plaindre. Attendez le tolérable plutôt que le grandiose. Ce qui, considérant l’époque, est déjà un mérite en soi. Les phases de jeu sont en tout cas très bien dépeintes, brutales sans être esthétisées, avec un agencement des cases et des plans à même de dynamiser l’action du moment ; l’intensité de jeu y est palpable et contribue pour beaucoup à rendre les matchs vivants et crédibles.


L’histoire ? Disons que lorsque le personnage principe rejoint un club sportif parce qu’il voulait faire du gringue à une nana qu’il venait de rencontre, la comparaison à Slam Dunk est inévitable. Plus encore lorsque Hino se targue d’être un génie et qu’il se trouve une rivalité avec Midori, l’apathique ténébreux doublé d’un première année d’exception. Il faut bien une entrée en matière après tout, mais un poil plus d’originalité n’aurait pas été de refus.

Les petits gags fonctionnent bien en tout cas. De ce manga se dégage une certaine fraîcheur, l’auteur sait tenir son récit et nous rendre ses personnages sympathiques sans que ceux-ci ne soient pour autant franchement développés. Malgré les quelques écueils classiques de ce genre de mangas – les loubards aléatoires contre lesquels le héros doit prouver sa valeur au chapitre un – on le lit sans avoir à se forcer. Si l’auteur ne révolutionne rien – on ne lui en demande pas tant – il n’en fait ni trop ni pas assez, dosant son récit en y apportant les bons éléments dans la juste proportion. Très sincèrement, Fulldrum se lit avec plaisir.


Les entraînements sont très chouettes eux aussi ; originaux sans être démesurément excentriques. De quoi justifier en tout cas que les personnages qui s’y trouvent astreints puissent en sortir plus renforcés que jamais à terme sans que leur évolution ne paraisse trop rapide ou injustifiée.


L’inconvénient – il en faut au moins un après tout – tient au fait que les règles du jeu n’aient pas été expliquées de manière extensive. Un néophyte ne connaissant rien au rugby sera forcément perdu après que le premier match se soit déroulé sous ses yeux. Avec le basket ou le football, les phases de jeu sont simples à comprendre : faire des passes et marquer. Le rugby est autrement plus nuancé et varié pour ce qui tient au déroulé de ses matchs. Lancés qu’on est dans la première confrontation, on n’a rien appris des rucks, des mêlées, de l’importance de la ligne des vingt-deux, du jeu au pied ou bien des positions exceptée celle de flanqueur. Les choses adviennent ainsi sur le terrain – bellement mises en scènes par ailleurs – sans trop qu’on sache pourquoi telle phase de jeu s’orchestre à un tel instant donné. Eyeshield 21, avec un jeu inconnu de tous, a su se montrer autrement plus didactique sans nous ensevelir sous les explications, les distillant intelligemment un match après l’autre. La pédagogie prend ici un peu de plomb dans l’aile. Le personnage principal qui plus est, pourtant débutant, a trop souvent le beau rôle dans le premier match. Sakuragi, avec Slam Dunk, a dû attendre avant de réellement briller.


Les matchs sont cependant trop dynamiques pour qu’on s’en détourne. Les dessins tombent toujours juste à propos en chaque occasion de jeu, sans s’en tenir à un cadre formaté ; on lit là tout ce qu’on devrait attendre d’un manga sportif aspirant à la qualité. Je me souviens avoir été soufflé par les trois cases où Kamata commet son plaquage sur Midori, il y a une réelle vision créative derrière chaque dessins.

Se dire que des Haikyu et autres Kuroko no Basket aient pu perduré si longtemps quand Full Drum se sera achevé en cinq volumes – qui demandaient à en durer vingt si ce n’est trente – pareil constat ne peut que décemment vous conduire à mieux haïr votre prochain. Cochons de lecteurs, va, à toujours lire les succès marketés du moment la tête enfoncée dans la fosse sceptique plutôt qu’à chercher une pépite au milieu de la fange. Mon merci aux éditions Pika pour nous l’avoir fait parvenir en France en tout cas.


Que l’auteur soit en mesure d’accorder tant de rôles à tant de personnages sur le terrain quand le rugby se joue à quinze par équipe est en soi un gage de maîtrise de son récit. Quand Riichiro Inagaki peinait souvent à présenter trois joueurs par équipe adverse, Hakoishi Tohru, sans avoir à les développer plus que de rigueur, nous en fait aisément parvenir cinq au moins le temps du match contre l’équipe de Kamata. Que les protagonistes n’aient pas affaire à des figurants contribue ainsi pour beaucoup pour relever les enjeux de chaque développement sur le terrain.


Full Drum fut fauché prématurément par un ramassis de lecteurs ingrats ne lui ayant pas accordé son juste plébiscite. Cinq volumes en tout et un seul match à son répertoire ; c’est de cela dont il faudra nous contenter. Quel illustre gâchis que celui d’une œuvre qui a tout à donner, qui a su clairement faire ses preuves et qu’on achève du fait que d’autres merdes plus fameuses soient à même de rassasier les pourceaux. C’est une fin à la Slam Dunk qui a été décidée pour justifier que le récit s’acheva si promptement, un petit « huit ans plus tard », on emballe et c’est expédié. Ça, c’est une fin qui fait mal au cœur, et pas pour de bonnes raisons. Pour la postérité, parce que l’auteur n’a pas eu le temps de transformer l’essai, j’accorderai un point supplémentaire à un manga qui, s’il avait continué sur sa lancée, aurait de toute manière mérité le 7/10 que je lui attribue alors.

Josselin-B
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le 23 oct. 2024

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Josselin Bigaut

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