Un peu que le titre de la critique est vulgaire. Après tout, c’est de circonstance si l’on souhaite faire ton sur ton avec l’œuvre. D’emblée, l’œuvre horripile, on est exsangue avant même de l’avoir parcourue. Parce que ce bon Shirasagi, dans tout ce qu’il a d’exaspérant à mettre en exergue, il a surtout l’art et la manière de s’illustrer en remettant ses lunettes sur son nez. C’est une manie qu’ont certains personnages de mangas pour mieux souligner l’intelligence de l’instant. Pour l’intelligence cependant, on repassera. Parce que je les ai bien vues les grosses ficelles de la narration qui, bien mal déguisées dans les coulisses, faisaient se mouvoir un scénario écrit très à l’avance pour le seul profit de son personnage principal. J’entends par là que ce protagoniste, qui remet si souvent ses lunettes au point d’avoir des ampoules aux doigts, il gagne tout ce qu’il entreprend dès l’instant où il a posé son cul sur un siège.
Des protagonistes dont on sait qu’ils réussissent tout ce qu’ils entreprennent, j’en ai connu d’autres. Mais le sens de l’astuce qui avait cours était alors poussé sans être poussif ; d’où le mérite du protagoniste. De mérite, ici, il n’y en a pas tellement. La résolution des paris tient de la pure veine articulée autour d’un prétexte soi-disant technique.
J’aurais beaucoup aimé cette aisance de cuistre avec laquelle on nous rapporte les tricheries et autres manœuvres illusionnistes qui, pour bon nombre d’entre elles, sont en réalité navrantes. Imaginez un scénario où vous feriez semblant de lancer une balle à un chien et que celui-ci la chercherait sans la trouver : l’astuce est enfantine. Maintenant, imaginez qu’un poseur sorti d’un Boys Band démodé vous explique pendant trois heures tous les rouages de ce tour de passe-passe avec un petit air fier à peine contenu : c’est ça Gamble Fish. En tout cas, ça n’est que ça si l’on fait fi de la dépravation bon enfant qui huile ses rouages grinçants. Les plus pudiques appelleront ça du « ecchi ».
Cinq chapitres ; il s’en sera fallu de cinq chapitres avant que l’on écope d’une première esquisse de lycéenne à poil. De dos, qu’on se rassure. Car ce qu’il y a de grandiose avec la nudité oiseuse dans la fiction, c’est qu’elle en montre trop pour un honnête homme et pas assez pour un pervers. Alors à quoi bon ? Déjà que les protagonistes féminin sont toutes habillées comme des gagneuses au naturel – pour ne pas dire au naturisme – ça ne laisse plus grand-chose à rogner pour cultiver l’imaginaire.
Et tout est bon, à commencer par le pire, pour justifier que le tout venant – à condition d’être dépourvu d’un chromosome Y – se dévêtisse dans les plus brefs délais. Le moindre prétexte, à commencer par le plus superflu, est avancé pour que la basse-cour se déplume. Car oui, monsieur Shirasagi traînera derrière lui tout un harem. Les formes les plus généreuses ne laisseront même pas le temps à l’imagination de cultiver le désir que, déjà, les sous-vêtements seront apparents. Deux lycéennes se douchent ensemble après le sport ? Elles prendront assurément des poses lascives en se frottant le cucul comme le feraient de bonnes camarades. Quand on a passé le stade de la puberté, je vous assure, c’est usant. Et puisque la vulgarité est à l’honneur, j’écrirai sans détour ni vergogne que la lubricité se conçoit ici comme elle le faisait chez Gantz, mais sans même un téton ou une touffe pour parachever le stupre. Oui, décidément, à quoi bon.
On en est au volume deux que le protagoniste parie un doigt pour se le faire découper à la tronçonneuse. Rappelons que le contexte de l’intrigue s’inscrit dans un lycée privé japonais tout ce qu’il y a de plus conventionnel. Rappelons aussi qu’une tronçonneuse, si elle découpe un doigt, ne pratique pas une incise nette et précise. J’ai comme quelques doutes quant au fait qu’on puisse recoudre un doigt après un pareil épisode.
Mais qu’importe ! C’est pour mieux souligner la résolution de notre personnage principal qui est un casse-cou sans peur et sans reproche. Et sans intérêt, il faut bien le dire. Cette scène, en plus d’être consternante de bêtise et de tout ce qu’elle a de racoleuse, est aussi un glaviot adressé à Kaiji sous couvert d’un hommage.
Le spoiler présent tient compte de l’intrigue de Kaiji ; que ceux qui ne l’ont pas lu s’abstiennent de lire ce qui suit et corrigent leur inculture en allant se délecter au plus tôt des œuvres de monsieur Fukumoto.
À l’issue de la partie de carte qui l’oppose à Hyôdô, Kaiji perd quatre de ses doigts suite à une défaite cinglante qui précède sa mise en esclavage dans les ateliers clandestins de la Teiai. La perte des doigts – certes recousus – ponctue une série de graves revers aux conséquences lourdes et vécues comme dramatiques par le personnage comme par le lecteur. Ça n’est pas un artifice tapageur pour chercher à doter vainement un protagoniste d’une dimension sombre et extrême. Car de cet épisode, Shirasagi en est ressorti moins crédible que jamais, et sans rien avoir appris. Ce qui, en soi, était une gageure compte tenu de son lamentable palmarès.
À lire Gamble Fish – et d’autres déjections du même ordre – on en déduit que si Fukumoto a beaucoup semé, il n’a finalement laissé germé sur son passage que des enfants difformes indignes de lui succéder un jour. Liar Game étant une exception. Exception qui mérite la mention et la comparaison dans le présent cas pratique.
Comme pour Liar Game, Gamble Fish néglige la construction de ses personnages dans ce qui concerne leur élaboration. À peu de choses près que Liar Game nous épargne les archétypes ronflants et le graveleux pour 6-12 ans.
Si tout se réglait à l’intellect seulement, le lecteur, dans toute sa mansuétude, pourrait accorder à Shirasagi le bénéfice du doute et prétendre que ce dernier n’est pas tant porté que ça par l’intrigue que je le prétends. Seulement, le doute se transforme en preuve tangible quand, en même pas deux semaines, celui-ci se transforme en pro du billard. Une progression aussi fulgurante d’un personnage, y’a des auteurs de nekketsus qui auraient rougi de honte à cette idée. Pas beaucoup il est vrai... mais y’en a !
Abidani, donc, le responsable des dortoirs d’un lycée, détient prisonnier le père de Shirasagi dans une prison clandestine située sur le terrain du lycée. Ce genre d’excentricité passe crème dans Sakikage Otokojuku ou encore Kekko Kamen où, justement, la divagation, de base, est de rigueur. Ici, il s’agit d’un lycée privé tout ce qu’il y a de plus conventionnel et présenté comme tel dès son introduction. Ce qui suit les premiers chapitres se fourvoie totalement et s’enfonce un peu plus dans les méandres de l’inconsistance.
Les prestidigitateurs de l’impossible se succèdent les uns aux autres. Empiler six dés en les remuant puis en laissant le dernier dé tomber en équilibre sur les cinq précédents, c’est apparemment l’habileté moyenne d’un des adversaires de Shirasagi et de ses camarades. Talent que l’un d’eux sera à même d’acquérir en dix minutes de temps.
Quand il ne s’agit pas de compétences irréelles, ce sont des trucages peu crédibles qui sont en jeu. L’illusionnisme tient debout par la seule force de la charité du lecteur. On me dira que c’est le propre d’un tour de magie d’être abracadabrantesque ; mais la supercherie est chaque fois si décevante…
Comme pour toute bonne pratique de l’illusionnisme, tout passe par la distraction du regard des spectateurs. Et devinez où il se braque le regard du lecteur. Eh bien sur un ou plusieurs personnages féminins qui, dans le cadre du pari en jeu, sont chargés de se départir de vêtements décidément jugés bien trop encombrants pour l’intrigue. Comprenez que des personnages féminins qui restent entièrement vêtus plus de dix cases dans Gamble Fish, c’est un défi en soi pour l’auteur. Un défi qu’il ne relève que bien rarement.
Après le doigt coupé à la tronçonneuse, nous serons gratifiés d’un pari sous un fourneau dont le contenu boue à hauteur 1200°C (et sous lequel Shirasagi brûle littéralement en lançant les dés), d’une entrée intempestive d’un char d’assaut dans le mur de la cafétéria, d’une partie de cache-cache avec des forces spéciales armés de fusils d’assaut équipés à balles réelles et aidés de jets volants pour circuler (oui), d’un Rambo Matagi, d’un duel entre un hélicoptère de combat et un zeppelin, de deux résurrections après être passés sur la chaise électrique, d’une apparition de Robert de Niro, Chun-Li et Barrack Obama durant un tournoi de jeux d’argent, d’une roulette géante actionnée par un éléphant, d’un pacte avec le diable (déjoué par la puissance du drapeau américain), d’un terrain de tournoi à -70°C, d’une modification du Mont Rushmore, d’une balle qui traverse la cervelle sans franchement occasionner de dégâts et de l’éboulement d’un tripot clandestin de Macao... On dit bien du mal de l’école public (GTO) – moi le premier pour en être issu – mais s’engager dans le privé, c’est pas mal non plus.
Pour répondre préventivement à votre question, la réponse est «Oui» ; «Oui» c’est aussi con et lourdingue que ça en a l’air, et même plus encore. Car aussi absurde puisse être le rendu, il ne vous arrachera pas même un sourire.
Sinon, la police ? Est-ce un crime de l’évoquer ? Nous en sommes tout de même à plus d’une dizaine de tentatives d’homicide caractérisées avec son lot de barbarie. La délation, c’est pas vraiment mon truc... mais y’a des cas particuliers, comme celui-ci, où je crois que je me ferais violence. L’impunité d’Abidani ne tient qu’à une intrigue accablée d’angles morts qui, de toute manière, ne sait pas où elle se dirige.
Il faudra par ailleurs que l’auteur m’explique ce que l’arc du cache-cache mortel dans la neige a à voir avec les paris. En échange, je lui expliquerai pourquoi le fait de se percer les tympans n’est pas une stratégie viable pour s’assourdir temporairement puisqu’on perd à jamais le sens de l’équilibre.
De l’œuvre, on retiendra peut-être les dessins. Peut-être. Ceux-ci, dessinés sous la plume de Kazutoshi Yamane, donneront lieu à des personnages secondaires particulièrement détaillés pour s’en tenir à des traits plus sommaires afin de dessiner plus facilement le casting principal. Il reste convenable, mais on en retient finalement peu de choses malgré les excentricités forcées du visage d’Abidani.
Nous ne parlerons pas en revanche du ridicule prosélytisme pro-Obama. Je me contenterai de le vomir pudiquement du bout des lèvres. Ce long tournoi qui traînera sa bêtise durant un tiers du manga achèvera de toute manière une œuvre mort-née. Le tout, sans même aboutir à une conclusion. Car comme seule issue à cette intrigue de haute-volée, Shirasagi, ses deux laquais et son aréopage de guenons en chaleur s’en iront sur un bateau vers «Le sanctuaire des paris», lieu de villégiature né spontanément pour mourir aussitôt avec une œuvre qui s’éteint. Puisse un Iceberg se profiler.