La pudeur, vous savez ce que c’est ? Chacun aura sa définition, mais dans l’idée, on retrouvera toujours quelques synonymes à associer. Des notions de réserve, de calme, de retenue. Ce genre de choses. Eh bien ce genre de choses, le temps d’une lecture de Gambling School, vous vous les incrusterez par l’envers du système digestif jusqu’à pouvoir vous en chatouiller les amygdales avec.
Ce manga, du moins ce qui se présente comme tel, est un de ceux qui se dessinent plus qu’il ne s’écrit. Je n’entends pas par là que le dessin est fait pour être spectaculaire en ce sens où il ne rapporte que du spectacle . Il est correct ce dessin, mais dans la plus pure veine de ce qui se fait déjà sur le plan graphique partout ailleurs. Si le graphisme, c’est-à-dire la stricte forme, prend si facilement le dessus sur le fond c’est parce que de fond, déjà, il n’y en a pas tellement. Du moins, outre le fond que nous serons amenés à toucher à l’issue de la chute qui résultera d’une pareille lecture. Des mangas aux dessins avenants (ce qui n’est pas le cas ici) mais qui ne savent trop quoi dire, il y en a eu. Ils ne sont pas nécessairement fameux, mais ne côtoient jamais l’abjection.
La pudeur, je puis vous l’assurer, n’a aucune emprise sur Tôru Naomura et ses dessins. Pour un peu, il la fuirait presque. Mais n’exonérons pas d’emblée son complice, Homura Kawamoto, qui, quant à lui aura signé l’écriture. Parce que figurez-vous qu’ils se seront mis à deux pour pouvoir nous gratifier de Gambling School et de ses hauts-faits.
Ah, c’est une œuvre à part, c'est sûr, mais ce qui la distingue de la concurrence ne tient finalement qu’à un excès de stupre induit. Là où Gamble Fish, avec la beaufferie qu’on lui connaissait, se plaisait à mettre ces demoiselles en petites tenues, Gambling School multiplie les poses érotiques suggestives, celles-ci pouvant être assimilées à une forme de racolage ostentatoire. Le tout, avec de grands sourires arrogants pour la pose. Car oui, la première infraction à la pudeur tient au fait de se tenir comme un poseur à longueur de planches. Je sature de ces visages supposément maléfiques, tordus par le vice, affichés par des protagonistes cherchant à se donner des airs de figures machiavéliques. Ces sourires maléfiques sont si forcés qu’ils manquent de déchirer les joues de ceux qui les affichent perpétuellement. Une exagération par-ci par-là, on ne s’en formalise pas. Un peu à la manière où Kira nous assène d’un « Exactement comme prévu » après avoir retrouvé la mémoire. Mais ça, tout le temps, de la part de tout le monde, à chaque instant, suffit à entamer le plaisir de la lecture. Et ce, même à supposer que cette lecture aurait eu un fond à nous offrir. C’est insupportable à ce point.
Les plus vaillants ou les plus idiots – j’appartiens pour ma part à la deuxième catégorie – se lanceront dans Gambling School en cherchant à passer outre ce que j’ai précédemment présenté. Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse ; un mind game intéressant peut tout à fait se lire outre ses carences. Cela, je l’ai pensé…. jusqu’à ce que je me rende compte que le flacon, déjà bien rebutant, était vide. Alors pour l’ivresse...
Le jeu, les astuces et la triche prévalent sur le reste se dit-on. Et puis on lit Gambling School. De là, une remise en question s’impose d’elle-même.
On peut passer outre la forme pour se sustenter du fond si le fond se donne au moins la peine d’être travaillé et consistant. J’évacue promptement ce qui se rapporte aux personnages : quand ils ne sont pas les copiés-collés les uns des autres, ceux-ci (celles-ci ?) ne sont faits que de concentrés de poses m’as-tu-vu et spécieuses sans même que le dessin leur fasse honneur pour autant. Qu’ils soient les rouages nécessaires à mettre en scène les paris, je l’ai accepté très volontiers de la part de Liar Game… car les jeux étaient fascinants. Mais s’il n’y a ni astuce pertinente, ni intrigue, ni personnage, de quoi le lecteur va-t-il se sustenter au juste ? Des nibards des héroïnes ? Pour des collégiens peut-être. Mais comment un manga n’ayant que de potentiels SEGPAs en guise de cible éditoriale a pu perdurer aussi longtemps avec un tel engouement ? Poser la question, c’est y répondre. Et cette réponse, je l’ai formulée plus d’une fois alors qu’elle s’articulait non pas autour de la volonté de mangakas, mais de la passivité coupable de leur lectorat.
Tiens, la première épreuve du manga repose sur un jeu de cartes « Pierre-papier-ciseau ». Du jamais vu. Dix millions de yens cash se retrouvent à sortir d’on ne sait où – je n’oserais présumer – au cours d’un tout premier pari. La mesure, la pondération, la progression lente ; tout ça, vous oubliez. Ne vous imaginez pas que parce que les personnages féminins sont à l’honneur, la subtilité et la finesse seront de mise. C’est gras, dépourvu de la moindre once de subtilité, et cherche à vous ébahir avec esbroufe comme un vendeur à la sauvette avec ses fausses montres en or. La classe est fournie en apparat, et en apparat seulement. Que tout y est en réalité vulgaire ; autant sur le fond comme sur la forme.
Suzui sera le poisson pilote évoluant sous l’aura présumée étincelante de cette machine à gagner qu’on appelle Yumeko. Par « Machine à gagner », je ne formule pas un titre de gloire, j’établis simplement avec froideur ce qu’est objectivement le personnage qui, alors, ne se conçoit qu’en des termes mécanique. Car, mécaniquement, l’intrigue l’amènera à contrer et déjouer chaque piège présenté sur son parcours. La difficulté ? L’adversité ? Pas besoin : les auteurs ont Yumeko. Quand elle ne finit pas au sommet, il y a toujours un filet de sécurité pour lui permettre de sauver la face. Si elle ne gagne pas toujours pour tenter de simuler une faille dans son invulnérabilité, elle ne perd jamais pour autant.
Il faut bien sûr se pencher sur ce qui, sensément, devrait faire le sel d’une œuvre bien fade et dont les rares aspects goûteux ne le sont que parce qu’ils sont faisandés. Les paris et les manœuvres associées pour tromper le hasard, j’aime ça. J’adore ça. Que vous perdiez votre regard sur cette critique tend à démontrer que, vous aussi, vous en êtes friand. Eh bien ne venez pas l’estomac vide si vous ne voulez pas rester sur votre faim.
Les rares astuces de dissimulation de la triche ont toutes été puisées dans des ouvrages de référence. Le coup des dés retournés avec une aiguille pour fausser un résultat, ça se faisait probablement avant que le Bouddha ne soit de ce monde. De la nouveauté, vous n’en trouverez pas ou peu. Nous n’en sommes pas à mimer vainement l’intelligence comme cela se faisait avec Usogui, mais nous sommes à peine une strate au-delà d’un Gamble Fish pour ce qui est de l’imagination. Certaines triches, quand elles seront révélées, amèneront à soupirer de dépit plutôt qu’à expirer après avoir été époustouflé.
Les paris qui pourraient être haletants, comme celui du poker indien, trouvent le moyen d’être gâchés par une narration navrante de stupidité. Certains des jeux sont intéressants, mais à chaque occasion, on déplorera que les personnages qui s’y adonnent foutent tout en l’air grâce à la maestria des auteurs à faire dans la surenchère scénographique. Ce qui a été bien pensé sera nécessairement mal exécuté ; ce qui aurait pu valoir au moins un quatre sur dix avec des personnages plats n’en vaut plus que deux quand ces mêmes protagonistes ne sont faits que d’aspérités erratiques. La forme va jusqu’à s’insinuer dans le fond pour le pourrir de l’intérieur et rendre l’expérience de la lecture plus insupportable qu’elle ne devrait l’être.
Les redondances sont légions alors que chaque nouveau pari est pareil au précédent pour ce qui est de son agencement. L’arc de l’élection – interminable – aura bien cherché à insuffler une nouvelle dynamique avec les votes pour finalement tout changer afin de précisément ne rien changer. Je n’attendais rien de l’intrigue et ne lui ferais par conséquent pas de procès indu. N’espérez cependant jamais être surpris. Que l’auteur ne s’imagine pas qu’une égalité soit une audace scénaristique quand la chose n’est jamais qu’un pis-aller péteux pour ne jamais avoir à se mouiller ou contrarier qui que ce soit. Pour un lycée où la lutte pour sa survie y est tant mise à l’honneur, les grâces scénaristiques sont accordées bien trop bénévolement.
On peut se permettre d’écrire un manga typé Mind Game sans un scénario ou un seul personnage convenable, mais à l’issue de ma lecture de Gambling School, j’en déduis, honteux et amer, que ce principe que je croyais incontestable doit être conditionné. Car un tel manga, dans les faits, ne peut pas être envisagé à moins que les personnages vides renoncent à exister au moindre prétexte. Qu’ils ne s’emploient pas bêtement à étaler le vide qui les constitue. Si la vision des Mind Games pour la seule finalité du Mind Game doit être envisagée dans l'œuvre, autant que l’autisme s’assume et qu’aucun éclat ne scintille en dehors des jeux de crainte qu’il ne leur fasse de l’ombre.