Gare centrale
6.4
Gare centrale

BD franco-belge de Lewis Trondheim et Jean-Pierre Duffour (1994)

« Prise d'otage » kafkaïenne

Trouvé en occasion la semaine dernière, Gare centrale est un album paru en 1994 chez Rackam productions et réédité ensuite à L'Association. Le pas encore très connu Trondheim est au scenario, tandis que Jean-Pierre Duffour s'occupe des dessins. On a aussi dans l'édition de 1994 une courte préface sympa de Jean-Claude Menu évoquant les angoisses du voyageur face aux aléas des transports.

Car il est question ici d'un usager qu'on dirait aujourd'hui de façon toujours abusive « pris en otage », dans une gare. Ce jour-là, pas de train, pas de guichetier, mais des personnages plus ou moins bizarres, des gens qui bougent les aiguilles des horloges, des illuminés... Une gare où s'affichent quelques slogans qui ne sont d'ailleurs rien d'autres que des slogans : efficacité, ponctualité, rapidité, fiabilité, sécurité, serviabilité pour les guichetiers. Tout l'inverse de la réalité. On est là dans un véritable univers kafkaïen : seul contre tout, personne ne peut vraiment aider notre homme, et ses maigres espoirs ne font que s'envoler. Que faire ?

Visuellement, cet album noir et blanc est très réussi. Dès la première planche, on a un cadrage intéressant de l'intérieur de la gare, le décor est réussi, et le trait n'est pas droit pour cet univers déviant. Les humains ne sont plus vraiment des hommes, la plupart des personnages ayant des têtes d'animaux, les auteurs usant du zoomorphisme déjà utilisé par Trondheim avec Lapinot et qui va devenir une des caractéristiques majeurs de son travail, même si ici c'est Duffour qui est au crayon. Les auteurs se sont aussi amusés pour le lettrage : décidemment, dans cet album et dans cette gare, rien n'est droit, les pendules ne sont pas à l'heure, il n'y a pas de train, pas d'horaires...

La situation relève donc de l'absurde, mais Trondheim y place un peu d'humour. Exemple : un drôle d'oiseau arrivant dans la gare avec son parapluie trempé, assure au personnage principal, un chat, que c'est un temps de chien, manquant de l'éclabousser, et le chat d'opiner, évidemment. Page 37, il est écrit Nawak sur une porte (ah ah ah). On trouvera aussi quelques phrases sympas, du genre « il doit bien y avoir un endroit quelque part ». Trondheim apporte souvent un texte décalé, certains personnages utilisant un langage abscons (l'illuminé), des expressions peu habituelles (« cautèles et roueries », « billevesées et chimères ») ou encore une multiplication des négations qui rend le propos peu intelligible, même si je trouve que sur ce point Trondheim en fait un peu trop : « je ne pense pas ne pas pouvoir être dans l'impossibilité de ne pas vous aider ».

Il y a d'excellentes idées dans le scenario, mais j'ai trouvé la deuxième moitié moins convaincante, plus poussive, donnant un peu l'impression que les auteurs ne savaient pas trop où ils voulaient en venir ou comment terminer cette histoire. Deuxième moitié qui me laisse un peu plus perplexe, mais c'est évidemment très subjectif.

Bref, en dépit de ces réserves mal argumentées, Gare centrale est un album très sympa sur le plan graphique qui vous conviendra si vous aimez les univers kafkaïens.

socrate
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Lewis Trondheim et J'ai lu chez Rackham

Créée

le 7 mars 2012

Critique lue 312 fois

9 j'aime

2 commentaires

socrate

Écrit par

Critique lue 312 fois

9
2

D'autres avis sur Gare centrale

Gare centrale
Jean-Michel_Desthieu
9

Un Histoire de Fous!

Bien plus terrifiante que le célébrissime Brazil (19895 déjà!) Un Univers absurde, Lewis Tronheim, nous livre là, l'angoisse (voir la terreur) qu'inspire les mesures démentes, absurdes jusqu'à la...

le 23 févr. 2017

Gare centrale
Biznut
3

Critique de Gare centrale par Biznut

Une BD surréaliste perdant son protagoniste dans une dimension ou le temps n'a plus de sens. Pas tellement convaincant...

le 16 avr. 2014

Du même critique

Ma liberté de penser
socrate
1

Ma liberté de tancer

Cette chanson est honteuse, un vrai scandale : il est absolument inadmissible et indécent de tenir de tels propos quand on gagne plusieurs millions d'euros par an, alors que des tas de gens galèrent...

le 12 avr. 2012

171 j'aime

76

La Ligne rouge
socrate
4

T’es rance, Malick ?

La ligne rouge, je trouve justement que Malick la franchit un peu trop souvent dans ce film, malgré d’incontestables qualités, que j’évoquerai tout d’abord. La mise en scène est formidable, la photo...

le 21 sept. 2013

136 j'aime

78

Ernest et Célestine
socrate
9

A dévorer à pleines dents !

Pour tout dire, je ne savais rien de ce film avant d’aller le voir, je craignais une histoire un peu gnangnan pour bambin à peine sorti du babillage. Bref, j’y allais surtout pour accompagner la...

le 10 janv. 2013

133 j'aime

22