Getter Robot
7.4
Getter Robot

Manga de Gô Nagai et Ken Ishikawa (1974)

Go Nagai, qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas – et vous avez intérêt à l’aimer – il faut accorder à l’homme une postérité acquise de son vivant ; celui d’un auteur versatile et révolutionnaire. « Révolutionnaire », rien que ça. Le terme, je ne l’ose que rarement, car je le sais précieux et porteur d’une signification qu’on ne saurait galvauder. Mais quel autre adjectif que celui-ci pour désigner la folie créatrice d’un pareil auteur ?


Go Nagai a tout inventé pourrait-on dire, et par accident. Il est un Tezuka-Pop, un Tezuka-Punk, un auteur qui se sera essayé à tout pour le seul plaisir de faire jaillir ce que son imagination contenait de précieux dans sa caboche. Ce qu’on lui doit ? Tout ou presque ; l’essentiel du moins. Le post-apo désertique, ce genre qu’on attribue en premier lieu à Mad Max dont on dit qu’il a inspiré Hokuto no Ken ; c’est du Go Nagai ma brave dame. Violent Jack en atteste dès 1973. Le Magical Girl ? C’est lui aussi, avec Cutie Honey. Bon… ça n’est clairement pas l’élément le plus glorieux de son palmarès… le fait est qu’il a marqué des générations entières. Et puis… que dire du registre démoniaque dans le Shônen ? Chaque fois qu’il se trouve un démon ou quoi que ce soit qui en découle, l’ombre glaçante de Devilman ne plane jamais très loin. Tant et tant s’en sont inspirés, des auteurs qui, par la suite, en auront inspiré pléiade d’autres.


Aucune de ses créations ne donne cependant l’air d’avoir été le fruit d’un calcul, mais d’une saillie qui lui sera venu comme ça ; rien qu’une giclée de l’esprit qu’il aura mêlée à de l’encre sur du papier. En stakhanoviste chevronné, Go Nagai pouvait, entre deux chef d’œuvres impérissables, publier une vingtaine de nanards… qui eux aussi auront marqué leur époque. Il en a fait des suite à ses œuvres phares, rarement des bonnes cependant.


Il a donc inventé tout ça, le père Nagai et, non content de s’en tenir à ces quelques hauts-faits, il aura, encore par accident, fignolé le genre Mecha avec Mazinger Z et Getter Robo. Cet auteur excentrique, prolifique, oscillant entre légèreté et barbarie, aura été l’instigateur de multiples révolutions dans le domaine de la fiction. En quelques traits de plume, sans trop y prêter garde, il a laissé sa trace sur l’humanité toute entière pour les siècles sinon les millénaires à venir. C’est de ce démiurge désinvolte dont je viens vous entretenir. De cet auteur qui, quand il sortait la gatling à nanards pour nous accabler de ses munitions pléthoriques, nous atteignait parfois au cœur avec une balle en or. Ce qu’il accomplira avec Getter Robo.

Le premier volume s’ouvre et déjà je m’exclame : « Dieu merci, il a filé les pinceaux à un collègue ». J’entends bien, c’est ingrat de reprendre Go Nagai sur ses dessins ; mais le fait est qu’ils ont très mal vieilli de par ce qu’ils avaient de rudimentaires. Ken Ishikawa sera ici co-auteur et, tout particulièrement, illustrateur de ce petit bijou.

Que personne ne s’y trompe, le Mecha, j’en suis pas fada. Je trouve le genre assez infantilisant, ne se prêtant que trop au merchandising ; le Mecha, c’est pour moi une intarissable usine à merde d’où aura jailli parfois des diamants. Pour un Getter Robo, pour un Evangelion – l’anime, j’entends – combien trouve-t-on d’ersatz de rêves humides d’otakus azimutés ? Trop. Au doigt mouillé et les yeux fermés, je vous dirais qu’il y a une bonne œuvre incluant des Mecha pour cent qui valent d’être voués au gémonies. Et je vous dis un sur cent pour ne pas vous dire un sur mille.


Des dessins somptueux disais-je, où tout ce qu’il y a de sombre, de brutal et de vice se trouve magnifié au centuple. Elles sont bien veilli les esquisses, m’aurait-on dit qu’elles auraient été commises au début de la décennie 1990 que je n’aurais pas eu de mal à le croire. Sans être exceptionnelles toutefois.

Correction : J’écrivais ceci alors que je relisais une version remasterisés du premier chapitre. Une fois revenu au manga original, j’ai retrouvé trait pour trait le style de Go Nagai.


Ces sourcils foncés et la sévérité de ce qu’exprime le regard au-dessus des arcades, ont néanmoins ce charme impérissable qui fait tout le style Ishikawa-Nagai. Un auquel je ne suis alors pas indifférent.


Les séquences dans la pénombre de l’inquiétant laboratoire, dès le premier chapitre, m’auront rappelé certaines cases où la 11e division du Gotei 13 s’adonnait à quelques recherches macabres. La marque de l’époque a clairement imprégné l’imaginaire de bien des mangakas ayant grandi avec cette petite merveille de Shônen. Oui, pour le plus jeune qui liraient du Nagai en retard, il fut effectivement un temps reculé où la Shueisha, maison d’édition historique, osait publier des contenus nouveaux et innovants. Les notions de risque, de nouveauté et même de qualité faisaient alors partie de son cahier des charges. Ça paraît fou aujourd’hui, mais je vous assure que cela est véridique. Véridique, et révolu.


Les monstres sauriens s’avèrent autrement moins impressionnants que les immenses robots aux design industriels dont le graphismes auront aussi marqué l’époque et, je le crois, inspiré les coups de crayon de pas mal d’auteurs par la suite.


Go Nagai oblige, la brutalité est de mise. Pas une violence mesquine et immature, mais quelque chose de déroutant qui vous laisse un impact sur la rétine et dans l’esprit. La fougue et le panache avec laquelle on fait verser le sang donne un sens à chaque giclée d’hémoglobine qui vient. Des générations d’enfants – je dis bien d’enfants – ont été bercé dans ce bain de sang. Ils ont plutôt bien tourné pour la plupart. Aussi, qu’on m’explique pourquoi la violence a été tellement aseptisée depuis dans les Shônens. Si la jeunesse a survécu à Go Nakai et plus tard Tetsuo Hara, c’est qu’elle était mûre pour la violence. La vraie, pas celle émulée par le sadisme de bazar d’un auteur en panne d’inspiration depuis sa naissance.


Les méchants sont débordant d’énergie et d’enthousiasme, ils insufflent et exhalent le mal sans avoir trop à forcer. Leur seule présence dans le dessin laisse échapper une certaine aura de malice qui nous enjoint à clamer l’arrivée de héros. C’est rare de voir, dans un Shônen, un méchant qui soit crédible.

Pourtant, les Reptiloïdes ne sont pas développés, l’Empereur Gore a bien peu de choses à faire valoir ; mais le peu qu’ils ont à mettre en avant, ces bestiaux-là le font avec une bonne volonté telle qu’on se plaît à y croire. L’enthousiasme des auteurs se transmet à ses créations, la passion est alors communicative au point de nous ébranler par les secousses qui nous parviennent ensuite. Il y a une énergie qui se dégage indéniablement des dessins et qui nous parvient droit au cœur grâce à la mise en scène.


Rien que l’attaque des tritons – non, je n’ai pas fourché – évoquera Bio-Meat Nectar. Je pouvais voir, presque à chaque chapitre qui venait, la source d’inspiration d’un manga que j’avais déjà lu et paru bien après. Go Nagai était vraiment l’homme fort du Shônen ; que ne nous ne lui devons nous pas.


Le rythme est haletant, sans une pause sur le parcours pour souffler. On sent à chaque page que les auteurs ont mis du leur, qu’ils ont mis d’eux-mêmes dans une œuvre frénétique et cruelle. Les protagonistes, impitoyables et sans relâche, ne vous bassineront jamais avec la Justice ou l’Amour. Ils sont naturellement hostiles, asociaux et décidés à en découdre pour la seule finalité d’annihiler leurs ennemis. Pas de grands discours, pas de poncifs mielleux, ce sont des monstres humains qui affrontent des monstres sauriens ; obtiendront la victoire non pas les plus justes, mais les plus âpres à massacrer l’autre. Et chacun a du répondant à revendre.


Tout va si vite cependant que les personnages n’ont jamais trop le temps d’être développés hors de leurs frasques agressives. À peine l’un des protagonistes est-il recruté qu’on l’envoie au charbon, la tête dans le guidon, avant même qu’il n’ait eu le temps de se présenter. Musashi nous a été introduit deux chapitres auparavant qu’il se sacrifie déjà dans une explosion retentissante – il est Japonais, comprenez-vous – et cet élan est aussitôt occulté pour retourner au turbin. Comme si sa mort avait été anecdotique. Les personnages ne bénéficient d’aucun approfondissement ou même d’un quelconque intérêt de la part des auteurs. Ils sont des variables remplies de fougue qui ne demande qu’à déborder à l’heure du combat. Une heure qu’on compte ici à raison de vingt-quatre par jour.


Les auteurs ne s’en tiennent jamais à la trame éculée d’un monstre à écailles géant que le robot se devrait d’affronter. Il y a des tas d’adversaires à taille humaine à affronter avant d’entrer dans le gros du sujet. Le récit n’en ressort jamais linéaire bien que le principe même de l’intrigue n’ouvre pourtant que peu la voie à la variété. Pour autant la mise en scène haletante et les rebondissements houleux font que la lecture nous emporte comme le ferait un torrent déchaîné.


Il y en a certes pour cinq gros volumes, mais cela aurait gagné à durer moins de temps. La scénographie sait nous tenir en haleine, mais ce faisant, elle donne l’impression de nous imposer des électrochocs auxquels on ne peut que réagir, sans toutefois réellement apprécier le bien-fondé de la démarche. Tout est ultra-violent et frénétique ; ce qui est agréable durant un temps avant de devenir banal et lassant. Pour courte que fut l’épopée, elle aurait cependant gagné à être écourtée davantage. Et pourtant, Nagai aura multiplié les suites par millions. La Shueisha savait capitaliser sur ses succès après tout. Quitte à devoir prolonger l’agonie bien au-delà de ce qui était nécessaire.


Par la suite tout est en effet prétexte aux démonstrations de force robotique ; multiplier les combinaisons pour le plaisir de varier les méthodes par lesquelles s’accompliront le massacre.

Passée la mort de l’Empereur Gore, l’intrigue continuera d’évoluer sans trop de raison autre que de poursuivre une dynamique qui aura enthousiasmé les jeunes lecteurs d’alors. De là, tout devient rébarbatif et se répète sans autre innovation. La machine avait déjà tout donné, on la bousille plus que nécessaire à continuer de la faire chauffer sans raison particulière. De là, ce qui fut une œuvre d’exception n’est alors plus qu’un ersatz de Godzilla vs N’importe Quoi, un fétichisme nippon des combats de géants d’écailles et d’acier. Pas un auquel je sois réceptif.


Le 7/10 que je souhaitais attribuer, tenait à ce que j’avais lu du premier volume ; pour la Révolution – déjà accomplie avec Mazinger en réalité – pour une brutalité authentique et un enthousiasme qui débordait des planches à chaque instant. Mais passé l’engouement de départ, , nous mangerons du bis repetita en boucle. Je ferme les yeux parce que Nagai est aux manettes, j’en fais fi car je tiens compte du paysage manga de l’époque, de la nécessité de capitaliser sur un succès. Il n’empêche, prendre Getter Robo dans sa globalité – sans même compter ses suites – suppose de noter sévèrement la bête. Nagai, il lance le moteur à toute blinde et sait jamais quand s’arrêter. On dira que le note que j’attribue est un 5 qui vaut un 7. Mais une fois Gore sorti de l’équation, le manga n’avait objectivement plus de raison d’être et l’aura clairement démontré dans l’exhibition des volumes qui suivirent.

Josselin-B
5
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le 20 oct. 2024

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Josselin Bigaut

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