Gorazde marquera ma rencontre avec Joe Sacco. Oh ! J’en avais bien entendu parler par le passé, notamment lors de l’émission 28 Minutes sur Arte, consacrée à Guy Deslile pour son Fauve d’Or 2012 à Angoulême, mais il aura fallu attendre un futur voyage dans les pays de l’ex Yougoslavie pour me plonger enfin dans l’univers de cet auteur.
La guerre a déjà éclaté depuis 3 longues années, quand Joe Sacco, alors occupé à terminer son travail sur Palestine, décide de se rendre à Sarajevo. Nous sommes à la fin de l’année 1995, et la route bleue qui relie Sarajevo à l’enclave de Gorazde (Est de la Bosnie actuelle) a été ouverte aux Casques Bleus, permettant la circulation des convois humanitaires et des journalistes. Sacco est intrigué par cette petite ville de Bosnie, et décide de s’y rendre pour quelques jours. Il va tomber sous le charme de la ville et y reviendra par la suite à plusieurs reprises.
En partie autobiographique, à travers certains éléments de la vie de l’auteur, Gorazde est avant tout un reportage poignant sur ce conflit ethnique qui a opposé les habitants de cette ville. Sacco y rencontre les victimes de cette guerre, et nous raconte leurs histoires, qui paraissent parfois futiles - cette fille lui demandant de lui rapporter un Levi’s original (qui trouve par la suite tout son sens) - ou totalement atroces. Ces derniers sont d’autant plus appuyés par la manière dont Sacco a construit son récit, alternant le présent de narration et les événements passés, permettant au lecteur de respirer avant de replonger plus profondément dans l’horreur.
Ces passages, extrêmement détaillés, marquent indubitablement. Le premier assaut de l’armée nationaliste des serbes de Bosnie sur la ville de Gorazde est particulièrement rude. On suit plusieurs individus qui cherchent à fuir et qui voient des amis, des voisins, des femmes et des enfants, tomber sous les balles. Et Sacco nous montre tout, dans les moindres détails, des corps mutilés, des chaussons d’enfants dans une marre de sang, ou bien encore l‘hôpital de Gorazde complètement débordé, avec très peu de médicaments pour porter les premiers secours, avec notamment l‘absence de morphine pour des opérations critiques. Plus loin encore, quand il interviewe un ancien habitant de Visegrad, il décrit avec quelle violence les hommes et les enfants étaient massacrés sur le Pont sur la Drina. Lisant en parallèle le roman de Ivo Andric sur le passé Ottoman puis Austro Hongrois de la région, cette partie m’a assez touché.
Et au-delà de cela, ce sont les personnages rencontrés par Sacco qui m’inspirent beaucoup d’empathies. A commencer par Edin, son guide et ami, dont les récits font mention de la défense de la ville, ou des trajets difficiles à travers les montagnes enneigées bosniennes pour récupérer de la nourriture. Mais c’est aussi le cas de Rikki, le pote américanophile d’Edin, qui entonne à tout bout de chant des musiques anglosaxonnes. Ou bien « les vilaines », comme les surnomme affectueusement Sacco, un groupe de 3 jeunes filles, qui sous leurs airs enjoués et charmeurs, nous expliquent l’impossibilité de pouvoir revivre auprès de leurs anciens voisins serbes.
Car oui, il y a un certain parti pris, avoué par l’auteur lui-même. Toutefois, ayant également fréquenté des serbes, principalement à Sarajevo (mais également une infime partie à Gorazde), il nuance son propos en mettant bien en avant la propagande pratiquée par le gouvernement des nationalistes serbes de Bosnie, Karadzic en tête, et le retournement de cerveau qui s’en accompagne. Notons d’ailleurs, que Sacco dans The Fixer, vient dévoiler une partie sombre de l’histoire de la défense de Sarajevo par des bandes de voyous, ayant obtenu le statut d’armée officielle par le Gouvernement Bosniaque, qui n’avait d’autres choix au début de la Guerre. Ce qui permet d’avoir un point de vue plus complexe sur le sujet et de montrer les horreurs commises de l‘autre côté (lecture en cours).
On ne sort pas indemne d’une telle lecture, surtout quand, malgré la petite dizaine d’année que j’avais à l’époque, on a pu suivre cette guerre au quotidien dans les journaux. Mais j’étais bien trop jeune pour pouvoir me rendre compte de l’horreur qui se déroulait non loin de chez nous. Tout ça paraissait surréaliste à l’époque, mais Sacco m’a permis de mieux comprendre une partie de cette guerre. Il y a peut-être une part de rancœur des siècles passés, mais c’est surtout le 20e siècle et ses 2 Guerres Mondiales (principalement la 2nde semble t-il) qui ont une part importante dans le déclenchement de ce conflit.
Dans un peu moins d’un mois (Avril 2013), je ferai la découverte des Balkans, et ma route fera un cours périple du côté de la Republika Srpska, et de Gorazde. Ca sera, à n’en pas douter, un moment fort de ce voyage.
Note additionnelle : après avoir visité Gorazde, je peux affirmer que cette partie du pays est encore bien marquée par la guerre, les routes sont dans un état catastrophique, tout comme certains bâtiments totalement à l'abandon. Mais ce qui choque le plus, c'est la création de Nouvo Gorazde dans la partie de la République Serbe de Bosnie, ce qui prouve pleinement l'impossibilité pour les habitants de pouvoir à nouveau vivre côte à côte.