Incontournable BD jeunesse Mars 2023
"Gosse" fait parti de la même maison d'édition que "L'Incroyable mademoiselle Bang", soit "Les Ondines", de la maison Dupuis, que j'avais adoré, et tout comme elle, la BD présente une certaine singularité. Je n'ai pas été particulièrement interpellée par le graphisme, mais j'ai été convaincue par un collègue libraire BD, qui m'a confié que cette Bd sortait des conventions et un sujet peu exploité. Ah, ben là!
Gosse est l'un des plus jeunes membre de sa nombreuse famille, dans une campagne français du siècle dernier. Il habite la Drôme, qui est séparée de l'Ardèche par la Rhône, un fleuve impitoyable et quelques fois déraisonnable. Enfant explorateur et bidouilleur, Gosse ne sembla pas avoir de limites quand au territoire qu'il peut se balader, si bien que lors d'une crue, il se retrouve de l'autre côté, en Ardèche. Là, il fait la rencontre de Châtaigne, alias "Taigne", un jeune ardèchois très méfiant et susceptible, qui vit sur une presque île avec son père. Il dit de son duo qu'ils sont des "parias" et ils vivent dans une pauvreté extrême dans une cabane isolée, à manger de la soupe de châtaignes. À travers leur amitié naissante, Gosse, Taigne et Floupe, le chien de Gosse, vont vivre toute sorte de pérégrinations, marqué par le rythme des saisons, des chicanes de voisins, des nouvelles technologies et des caprices du Rhône.
Après lecture, je comprend l'enthousiasme de mon collègue. Si le dessin m'a rebuté pour ses corps informes et des visages étranges, je me fais la réflexion que cet univers est effectivement atypique. Le Rhône est un personnage, qu'on traite comme tel. Les humains en parle comme d'une entité sans pitié, libre et qui en fait à sa tête. Parfois, ils trouvent même qu'elle exagère. Tout ce que les gens y mette, bateau ou pont, ne semble pas y tenir. C’est d'ailleurs très amusant. Les habitants ne sont pas très cultivés et très vifs d'esprit, mais ils semblent aussi sereins. On pousse des tonneaux énormes de vins le long de routes, qui va bientôt être pavée ( avant d'être engloutie par le Rhône, quel gâcheur de fête celui-là!) et on cultive les champs. La notion de temps est relative aux saisons.
"Gosse", pauvre enfant nommé ainsi, est un personnage gentil, facilement impressionnable, astucieux et très agile. Il ne semble pas particulièrement scolarisé, traine un peu partout et très longtemps, ce qui dénote la tranquillité d'esprit des parents. Il interagit avec tout le monde et passe dans des endroits qui me semblent dangereux pour la moderne que je suis, comme de traverser le fleuve en caisse de bois ou se glisser entre les galeries étroites d'une grotte. Donc, à bien des égards, Gosse et son chien cavalent sans soucis, ce qui est en soi particulier. C'est ce décalage de liberté et d'insouciance qui rend la BD si guillerette et étonnante. Certains éléments plus sociaux peuvent aussi étonner, comme le père de Taigne, qui lui dit d'aller se vendre ou la "guerre" de catapultes entre drômois et ardéchois, pour des motifs assez puérils. Mais bon, en réalité ils se reprochent des choses sans même se connaitre, ce qui est assez fréquent dans les conflits, en réalité.
Il n'y a pas réellement d'enjeu, en fait. Nous sommes plus dans une suite de petites séquences qui marque la vie de Gosse. La rencontre avec Taigne, le bateau sur le drôme, la crue importante, l'appropriation de la grotte pour y faire habiter Taigne, la "guerre", etc. On suit le tout un peu comme un feuilleton.
Un élément que j'ai trouvé étonnant dans le contexte était l'intérêt de Gosse pour les machines. Ébahit par la vue de son tout premier véhicule à essence, il veut depuis inventer des choses, dont la machine à broyer les châtaignes pour le café de châtaignes de Taigne. Ce thème semble mineur, mais il revient constamment et avec sa présence, on questionne aussi la qualité de vie des gens et la modernisation des villages.
Certaines tournures en français sont particulières, mais ce peut être le résultat de la région en présence ( France) et de l'époque. Ce n'est cependant pas difficile à lire.
Le graphisme m'a rebuté au début, avec les membres trop fluides, les yeux à multiples sourcils et plis, l'absence de la bouche presque constamment, l'impression que le tout a été directement dessiné sans brouillon, bref, selon mes goûts, ça me semblait pas trop joli et naïf. Ça me rappelle mon impression face à la BD adulte "Chinese Queer" ou la Bd jeune adulte "Football-Fantasy", deux BD au scénario solide, en accumulation de péripéties, au graphisme a priori rebutant. Je me rend compte qu'il y en a de plus en plus, mais généralement, je constate qu'on s'y adapte au graphisme, même si nous semble étrange. "Gosse" est très fluide dans ses lignes, mais le traitement est propre et le sujet bien élaboré. On sent donc l'intention derrière le projet et l'adresse du bédéiste. Une autre de mes collègues libraire Bd me faisait remarqué que parfois, il y a du bon à sortir de ses zones de confort et s'offrir de inattendu, parce que cela nous fait réfléchir et aiguise notre sens critique. On a naturellement tendance à rester dans nos zones connues et y aller avec nos sujets de prédilection. Je dirais, à titre d'allégorie, que la BD Gosse et autres BD singulières peuvent être vues comme un plat exotique. Autant on aime garder ses classiques en restauration, mais parfois, on a envie de se mettre au défis d'essayer autre chose. Je pense que c'est un exercice intéressant à faire, en que libraire surtout, pour élargir son champs de compétence et questionner son traitement de la diversité artistique. Un exercice intéressant à faire aussi auprès du lectorat jeunesse.
Ultimement, on peut réellement s'attacher à ses drôles d'oiseaux livresques, ce fut mon cas avec Gosse. Il y a quelque chose de très vivant et dynamique dans cette Bd et une perceptive historique et sociale que je n'avais pas encore vue. Un peu bucolique même, comme univers, car je doute que la vie à la campagne soit si simple et agréable que ça. Ça me rappelle le courant terroir de la littérature québecoise, qui glorifiait la vie humble et campagnarde. Bref, c'est à voir!
Pour un lectorat du troisième cycle primaire et plus, 10-12 ans+.