"Polars au sommet" ou "Du triomphe de l'écriture"
"Ils sont forts ces salauds", c'est la phrase que je me suis répétée en boucle en dévorant ce Gotham Central d'une traite. Ces "salauds", ce sont Ed Brubaker et Greg Rucka qui m'ont véritablement époustouflé le long de ces quelques 200 planches.
L'idée de base est déjà géniale : traiter l'univers de Batman non pas du point de vue du justicier lui-même ou de ses adversaires, mais du point de vue de la police de Gotham. Comment se faire respecter dans une ville où l'ombre du justicier noir plane en permanence ? Comment survivre et faire régner la loi dans des rues où truands ordinaires et psychopathes échappés de l'asile d'Arkham sèment la terreur et le chaos ?
Non contents de développer de passionnantes enquêtes policières, Brubaker et Rucka parviennent à créer une police squad team cohérente et profondément humaine, tiraillée entre l'envie de bien faire sans l'aide de Batman pour donner du sens à leur unité et la frustration d'avoir à accepter son aide sans laquelle certaines affaires resteraient sans suite ou certaines situations deviendraient trop périlleuses.
Si les 2 auteurs parviennent si facilement à nous embarquer dans leurs récits, c'est tout d'abord bien évidemment par la solidité de leurs intrigues, mais c'est surtout par la qualité de leurs dialogues. Que ce soit au niveau des réactions, des petites réflexions ou des ambiances de bureau, tout transpire la réalité, le G.C.P.D. vit devant nos yeux. Ces personnages cohérents, fouillés donnent une vraie dimension aux intrigues car le lecteur s'implique émotionnellement : on les trouve sympathiques, détestables, effrayants, bref on y croit à fond.
Le trait de Michael Lark n'a rien d'exceptionnel mais soutient admirablement les intrigues grâce à une mise en scène intelligente et des plans bien sentis qui nous plongent toujours au plus près de l'action, avec les agents du G.C.P.D., seuls véritables héros de ce comics.
Parvenir à étoffer si habilement et si densément l'univers de Batman pourtant déjà bien exploité en jouant si peu sur les codes établis de la licence (les personnages phares Batman, Gordon, Two-Face ou autres vilains n'interviennent que sporadiquement en tant que personnages secondaires) relève de l'exploit.
Quel paradoxe de prendre un tel pied sur un Batman où le justicier n'apparaît que sur une quinzaine de cases !
Je fonce lire le tome 2 et acheter l'intégrale des oeuvres de ces 2 grands auteurs que je me réjouis d'avoir découverts !