Grappler Baki
7.4
Grappler Baki

Manga de Keisuke Itagaki (1991)

Dans la famille Itagaki, je demande la fille. Je la demande d’autant plus volontiers que Baki n’a trouvé sur moi aucune emprise. Si ; il y a peut-être eu le dessin. Ces grosses gueules, la curieuse souplesse des carrures, à ça, j’y étais relativement réceptif. Mais tout ça pour quoi ? Pour rapporter des golgotes sans cesse plus ridicules pour ce qui est de la gradation perpétuelle de leur force ? J’ai déjà lu ça ailleurs, et pas nécessairement avec entrain.


Nous entamons le premier combat contre un adversaire à même de soulever 270 kilos à la fonte qui, en guise d’ultime culot, peut aussi courir le 100 mètres en 11 secondes. Et lui, cet athlète improbable, n’aura été que la première et plus modeste pierre d’un édifice qui ne sera fait que d’adversaires plus redoutables encore. Me dirait-on que le contexte prédispose à l’usage d’une force surnaturelle à même de rehausser considérablement les standards des arts-martiaux, pas un mot de reproche n’aurait alors été justifié en ce sens. Et pourtant, la force mise en exergue – ridicule pour ce qu’elle exhibe en chaque occasion – se veut démesurée dans un univers où la musculature humaine répond en principe aux normes qui se rapportent à la réalité. C’est censé être réaliste, au moins en partie.


Eh bien, n’en espérez pas un Coq de Combat, ni même un poussin d’ailleurs. Les mouvements portés sur le papier sont corrects, mais ils ne sont que corrects. Pour un manga qui n’a pour objectif que de mettre en avant les arts-martiaux classiques, le travail de l’anatomie des combattants n’a pas eu de quoi me faire battre des paupières une seule fois.


Mais il faut savoir aller au-delà du dessin, savoir ce que ce dernier est venu recouvrir. Car sous ces graphismes sympathiques – mais seulement sympathiques – il y a aussi des personnages. Et derrière ces personnages il y a… de quoi vouloir parler d’autre chose. Baki est insupportable de fausse candeur. Ces personnages démesurément optimistes qui, du seul souffle de leur enthousiasme naturel, surclassent et surpassent tout ce que ce monde a à leur jeter à la gueule. Il a le sourire Baki, et parce qu’il sourit, il est au-delà de tout. Bien au-delà de l’intérêt que je puisse être susceptible de lui porter en tout cas. Et ça n’est relativement qu’à cette variable que tout le cheptel de personnages aura été construit ensuite. Leur caractère, il l'écrit en gros, en gras, si bien qu’avec si peu de place sur le papier pour la rédaction, on ne peut finalement qu’écrire que bien de choses à leur sujet. Les archétypes qui nous sont jetés à la gueule sont jetés comme des poids morts sur la scène avant d’être balayés de quelques coups insipides.


Il n’y a rien ici que je n’ai pas lu ailleurs. Le manga, en l’état, n’a qu’un mérite à porter à notre attention : la succession de combats qui s’enchaîneront inlassablement. Et, au regard de ce seul avantage comparatif, Baki n’a finalement rien d’exceptionnel. Un néophyte des choses du manga qui, par le plus grand des hasards, y hasarderait justement son regard, pourrait éventuellement trouver prétexte à s’en intéresser. Mais, sans même faire trop d’honneur à ce manga en le comparant une fois de plus à Coq de Combat, j’assure que même plusieurs décennies après, Baki n’a pas même un ersatz de la force de la scénographie d’un Ashita no Joe à faire valoir. Quitte à vous jeter dans les bras d’un Shônen d’arts-martiaux interminable, optez pour Hajime no Ippo. Si vous avez trouvé ridicule que Takamura boxe un ours, attendez de voir le combat contre « Le roi des singes » pour vous convaincre qu’en ce bas monde, il y a franchement matière à relativiser.


Du gore, il n’y en a que pour épater la galerie et espérer conserver une légitimité auprès d’un public plus mature. À défaut de savoir densifier sa trame et ses tenants, quelques os cassés et gerbes de sang mêlées à des tentative de meurtre caractérisées feront amplement l’affaire. En tout cas, à supposer que l’on n’ait aucune exigence en terme de contenu. Ce qui, heureusement pour monsieur Itagaki, est le propre de la vaste majorité des lecteurs de Shônen. Cette violence devient sans cesse plus ridicule à mesure que se succèdent les chapitres. Elle est si mal maîtrisée dans la mise en scène qu’elle devient banale et donc, anecdotique. Elle imprègne les pages de l’œuvre comme des motifs dans du papier-peint ; un papier-peint qu’on voit sans jamais regarder. À défaut d’avoir du talent et de la maîtrise dans la plume, il ne reste à l’auteur que les outrances tapageuses pour espérer glaner le regard morne d’un lecteur passif. Il se pense brutal dans ce qu’il dessine, mais ce qu’il étale devant nous n’est finalement que cartoonesque malgré lui.


Baki, ça se lit par habitude davantage que par envie. De la variété dans le récit, une once d’écriture appesantie dans la trame, une idée neuve ; tout ça, vous pouvez en faire le deuil avant même d’en avoir célébré la naissance. Les béotiens de la dernière bourre, ceux-là qui se bâfrent de tout ce qu’il y a de violence immature dans le monde du manga, que ce soit en matière de Shônens ou de Seinens se contenteront de ce met putride comme un chien remue la queue quand on lui jette des os à bouffer. Contentez-vous de peu, et vous n’aurez rien. Non vraiment, le seul mérite de Keisuke Itagaki est d’avoir donné naissance à sa fille. Car quand il fut question d’accoucher d’un manga de qualité, la fausse-couche fut saignante et sinistre.


Malgré son excessive longévité, Baki, j’en ai finalement dit peu de chose. Mais j’ai pourtant dit tout ce qu’il y avait à dire à son propos, et en contenant ma bile du mieux que je pouvais. Il y a la qualité, et il y a la quantité. Des chapitres de Baki, on en a beaucoup ; à foison même. Du contenu, à moins d’avoir une imagination excessivement fertile, vous n’en glanerez pas même une poussière. Comme quoi, des Shônens en état de mort cérébrale, il n’y pas que chez la Shueisha qu’on en retrouve. C’est à croire que nous sommes cernés par les vomissures infécondes en guise de seul contenu créatif dans le milieu. Heureusement qu’il reste un héros dans le Shônen. Et c’est grand dommage qu’il ne se trouve personne pour marcher sur ses traces.

Josselin-B
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le 29 juil. 2024

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Josselin Bigaut

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Grappler Baki
patpapier
8

cest trop bien

ils sont trop musclés ils se mettent des grosses patates etc une fois le meci la rrete un seisme en mettant une patate dans le sol cest trop tropbien

le 23 mars 2021

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trotter
8

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De la grosse baston caricaturale. Toujours le même schéma : Présentation de l'adversaire qui défonce tout le monde. Match avec le héros qui se fait éclater... ....jusqu'à ce qu'il trouve un second...

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