Georges Benoît-Jean, dessinateur de bande-dessinée, est invité par le capitaine Magnus Kuller à participer à une expédition polaire en compagnie de son romancier fétiche, Jorn Freuchen, qui a raconté dans une série de nouvelles son séjour dans un milieu extrême, coupé du monde. L'expédition est financée par Ulrich Kloster, un artiste allemand paranoÏaque, qui veut placer un dispositif sur un iceberg : un faux derrick crachant du faux pétrole pour dénoncer la pollution du Groenland par l'industrie pétrolière.
Georges découvre la vie à bord. Arrivé à Ella Island, Kloster se retourne contre son assistant et confie à Georges son précieux carnet. Freuchen demande au capitaine de le laisser quelques jours avec Georges à Ella Island, pour écrire sur le lieu. Le capitaine accepte à contrecoeur et leur laisse un zodiac. Le bateau parti, Freuchen avoue son but véritable : retrouver la Cabane aux Anglais, un endroit retiré où il s'était réfugié en 1962 et où il avait vu des caisses de whisky Mackinlay, qu'il n'avait pu emporter avec lui.
Par amour pour l'alcool, il y retourne. Ils sifflent plusieurs bouteilles, mais le lendemain, en rentrant, Georges tire sans faire exprès sur le sac et les crèvent toutes.
Les deux compères retrouvent le bateau, et Georges aide à déclencher le dispositif de Kloster, mais le derrick n'explose pas comme prévu. Fou de rage, Kloster devient incontrôlable. On le retrouve en haut du mas de misène. Tout le monde rentre et l'iceberg avec le derrick s'écroule.
Si vous ne comprenez pas que cet ouvrage est une lettre d'amour à Hergé et à la ligne claire, je ne peux rien pour vous. Etonnant de la part d'un Tanquerelle dont j'avais adoré le Professeur Bell, au graphisme beaucoup plus foisonnant et indiscipliné. Ici le graphisme est épuré, mais expressif, avec le mélange d'environnement réaliste et de personnages au design "BD belge" propre à Hergé. Le découpage privilégie les personnages en plan large, au milieu du décor arctique. Il y a tous les gimmicks de BD belge que vous aimez : lignes de vitesse, ressorts pour un personnage qui devient ivre, gouttes d'anxiété...
Les clins d'oeil évidents à l'auteur de Tintin émaillent le livre : Le barbu Freuchen est un double du capitaine Haddock ( son amour inconditionnel pour le whisky), et la scène où Georges dévale une pente, entraîné par le poids de son sac à dos, rappelle une autre de Tintin au Tibet. Même le lettrage est celui des vieux tintin.
Au niveau graphique, c'est jouissif, et il faut rendre hommage au travail de la coloriste Isabelle Merlet.
Alors pourquoi pas plus ? C'est subjectif, mais je trouve la narration trop hybride. La BD commence comme des carnets de voyage (Georges ouvre un mail, accepte le voyage, on lui présente l'équipe, il se fait chambrer pour son absence d'expérience de la mer...), continue comme un récit d'aventure (la quête du whisky) et finit un peu en queue de poisson, comme une réflexion sur la difficulté de l'art, et notre responsabilité face au réchauffement climatique.
Ce n'est ni un pur récit vériste d'expédition, ni un pur hommage à Hergé, ni un pur ouvrage à thèse. C'est un peu des trois, mais la soudure entre chaque piste est hélas un peu visible. Cela reste cependant clairement au-dessus du lot.
Le petit détail que j'aime bien : les dialogues de l'équipage en norvégien sont traduit en appendice à la fin du volume. J'adore ce côté pédagogique un peu étriqué, comme dans les livres d'E. P. Jacobs.
Groenland Vertigo est une fort sympathique bande-dessinée en ligne claire sur un voyage au pôle nord. Laissez-vous intriguer.