Gunnm
8.1
Gunnm

Manga de Yukito Kishiro (1990)

Que cela soit des êtres aux corps biologiques rattachés à une puce cérébrale ou des entités cyborgs dont le carburant est un cerveau humain, tout cet amas de molécules érige un monde détruit par une humanité qui s’enterre dans des spasmes multidimensionnels. Laver le sang par le sang n’est qu’un leurre : un désir diffus qui n’engendre qu’une torpeur qui ne peut se diluer. La résonance de la ferraille qui tranche la chair et fait gicler la sève humaine sur la déchetterie qui sert d’habitat fait écho à la tristesse et au désespoir de mémoires qui tentent de reconnecter leurs synapses.


Dans un univers cyberpunk pervers où la poussière radioactive et les déchets prennent le visage d’un quotidien post apocalyptique, on regarde le ciel et ses alentours. Le bleu du ciel qui parait si lointain n’est qu’un mirage où il est difficile de distinguer les étoiles des dieux. Mais même dans un désert de détritus, il est possible de trouver une raison de vivre, de trouver une épaule qui console ou un regard aimant qui fait les couler de simples larmes de joie. Là où la vie ne tient qu’à un fil, une famille se crée et se défait par le regroupement de données technologiques.


La définition de la vie ? De l’espace-temps ? Rien ne sert de courir quand la mort vous rattrape à coup sûr. Davantage que de simples rivalités dans l’horreur, les combats fratricides prennent de l’ampleur et ne sont pas que de puériles échappatoires à la violence : c’est l’illustration d’une pensée qui s’agite, d’une possibilité de se décrire par les morsures, par les cicatrices qui permettent de se remémorer des souvenirs oubliés, de mettre enfin un nom sur une carte d’identité non viable. Une montagne rouge, un maitre, une dénomination : Yoko.


Malgré des circuits électriques, des aortes remplacées par des câbles, l’expression veut s’extirper de son silence, les sentiments remontent toujours à la surface dans cette optique de reconstruire la conscience de son existence : de haut en bas, de Zalem jusqu’aux entrailles de l’enfer, cette recherche perpétuelle d’évolution désagrège ce qui l’entoure. Le fait d’exister n’est qu’une course poursuite contre un temps presque révolu : les cadavres s’empilent mais les corps se régénèrent dans l’indifférence et dans un cloisonnement spatial qui s’interroge sur les origines d’un tout. Quand l’horizon se veut inaccessible dans sa verticalité, la survie se fait plus fragile dans son horizontalité.


Dans le noir et le blanc, la terreur éclabousse les pages, la biomécanique se morcelle dans cette confusion entre la haine et l’amour. Ces destins qui s’identifient dans leur manque de repère où la valeur des uns et des autres ne dépend que de la victoire ou de la défaite : le démon n’est jamais bien loin. Il exhume, par la fenêtre de son nid, sa victoire là où les pulsations du cœur sont devenues le crissement de la robotique. Sauf que tout n’est pas si simple. Surtout autour d’elle : elle frappe fort, sa puissance est égale au vide qui la ronge.


Ses rêves se multiplient par centaines mais les cauchemars se matérialisent par milliers. Les clones surgissent de nulle part pour signifier l’inconséquence d’une vie et interrogent sur la liberté d’un être. Tout le monde ment. Les robots. Les humains. Même la mémoire. Les péripéties s’accumulent dans la destruction et le sang mais il est difficile de délimiter le bien et le mal. Car il n’existe plus : se battre par vengeance ou par reconstitution d’un passé orphelin, c’est un objectif meurtrier qui devient une raison de vivre, une rage qui se brise dans la quête de voir un avenir blanc.


Derrière les promesses se cache la servitude des plus forts sur les plus faibles. Mais elle continue son chemin : car elle ne cesse de penser, d’imaginer ce que serait une vie paisible autour des siens. Les années ont beau passer, la musique est une bluette qui n’est qu’un mensonge : il faut repartir sur le front pour vaincre une idée. Celle de rebâtir l’espace sur les cendres de l’Homme. Sauf que la boucle ne sera jamais bouclée. Les questions sont nombreuses, mais les réponses sont bien maigres. Elle court, s’acharne, persévère dans sa frénésie malgré les pleurs : le déchirement de Yugo dans les cieux, sa connexion évaporée avec Ido, l’évanescence de Kaos ou la lâcheté misérabiliste de Yorg. Et puis Fogia.


Toute cette volonté pour rien, pour n’être qu’une arme à la botte de Zalem, un objet de destruction massive interchangeable. Une esclave de la science eugénique. Sur les circuits du Motorball ou les sphères arides de la sécurité proche de Zalem, sa vulnérabilité sera son prophète, son plaisir à détruire fera d’elle quelqu’un d’autre tout comme l’humanité qui l’habite la condamnera à être pourchassée. Quel que soit le corps qu’on lui prodigue, son regard angélique reste le même : un océan d’interrogation. Son nom : Gally.

Velvetman
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le 18 sept. 2016

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