(j'ai changé le titre de ma critique "encore raté" en "bien visé" parce que, c'est drôle)
La bande dessinée n'a pas les faveurs de la critique. Trois courts textes font le constat laconique de l'échec de cette tentative de récit d'anticipation post-apocalyptique.
La sf n'est pas le domaine d'excellence de la fiction française, et il est fâcheux de lire en complément de l'oeuvre un entretien où l'auteur se félicite d'avoir su éviter les clichés, alors que tout, à commencer par le titre, les citations latines, et le thème sont éculés. Mais l'analyse d'un échec apporte des enseignements, ou soulève des questions qui ouvrent la voie à de possibles solutions (ou un constat d'impasse).
L'auteur lui-même explique dans le second tome que le format idéal serait celui d'une série...Netflix. Il a dû trancher dans le vif pour rentrer son histoire dans les limites d'une bédé franco-belge au nombre de pages réduit, sacrifiant le développement des personnages et la clarté du récit (il n'est pas le premier, c'est une raison majeure de mon manque d'appétence pour la bédé française). Il en résulte que les bases de la narration de bandes dessinées sont négligées. Le dessin maîtrise la représentation d'un monde fouillis de décombres mécaniques, les cadrages sont cinématographiques, les décors sont réussis, mais ce sont là des qualités qui conviendraient au dessinateur technique de l'équipe d'un manga ; et le style réaliste des visages des personnages n'est pas maîtrisé. Un encreur compétent aurait pu rattraper ce défaut s'il s'était agi ici d'un comic sorti par une grande maison US. Mais l'économie de la bédé française ne permet pas cette division des tâches. De sorte qu'on peut considérer qu'ici le travail éditorial n'a pas été fait. Le dessinateur est talentueux, pourtant je ne comprends pas ce que représentent deux cases sur trois - et lorsqu'on passe aux scènes d'action incluant des machines pour lesquelles je n'ai aucun modèle auquel me référer dans la réalité, dans des décors pour lesquels je ne peux pas faire appel à ma mémoire pour me repérer, ma confusion est complète.
Je comprends mieux à quel point le choix de la simplicité ne résulte pas d'un simple souci de gain de temps : il faut savoir décomposer l'action et la réduire à l'essentiel par souci de lisibilité. L'épure n'est pas forcément la facilité, elle informe le regard du lecteur. Mais là encore, qui sait si un encreur talentueux n'aurait pas pu rattraper ça - alors qu'ici, l'encrage se contente de reproduire le style des crayonnés, pour un résultat esthétiquement réussi, mais inefficace sur le plan narratif. Et oui, on réinvente l'eau froide tous les jours - on comprend les raisons de certains choix traditionnels, que seule une maîtrise exceptionnelle du medium permet de transgresser.
Et pour revenir au synopsis, cette société dans laquelle la majorité est devenue le rebut qui tente d'accéder au monde cloisonné dans lequel vivent quelques privilégiés, monde qui lui-même n'est qu'une sorte de mirage... Non, ça n'a vraiment rien de nouveau. En fait, c'est précisément le genre d'histoire rebattue qui ne peut captiver le lecteur qu'avec des personnages réussis aux relations fouillées... Ici sacrifiés par la pagination de la bédé française.