Ari Aster continue d'exploser les limites du genre horrifique. Il propose un renversement de perspective, une expérience psychédélique et philosophique. Son but est de nous faire entrer dans la peau du personnage principal, et il utilise à cette fin les moyens de manipulation habituels du cinéma, à commencer par l'empathie, afin de suivre un cheminement émotionnel cathartique fondant une remise en question de nos valeurs (si on part complètement dans le trip).
Les regards caméra sont nombreux, et de différents types - parfois frontaux, parfois d'une amusante inspiration picturale, un personnage au premier plan se retournant pour nous inviter à être témoins et/ou à entrer dans le tableau avec lui, ou nous (?) regardant comme si nous étions dans le groupe... Même la date de sortie américaine du film, qui coïncide presque avec le solstice, sonne comme une invitation à une "cérémonie" (d'hypnose - Dani est quasiment toujours au centre de l'image) collective.
Je ne dévoilerai rien de l'intrigue, qui joue sur nos attentes de manière à créer un suspense permanent, incitant à se concentrer sur tous les détails parfaitement agencés - rien n'est gratuit, dès le début, dans les dialogues et le comportement de chacun des personnages comme dans les décors.
La maîtrise est totale : scénario, mise en scène, acteurs. Les plans en plein air doivent absolument être vus sur un écran de cinéma, non seulement pour leur beauté, mais à cause de l'échelle des humains dans le paysage. Et les enluminures sur les murs ont une importance considérable.
Les films d'Ari Aster parlent à l'intellect et aux émotions, ce qui est la meilleure manière de m'emporter complètement. Il est évident qu'Aster n'oublie pas les épreuves qu'il a vécues, et qu'elles constituent le fond de son œuvre.
Ce qui rendra peut-être la vision de ses films insupportable pour certaines personnes, qui y verront un miroir de leurs propres souffrances.
Je ne sais pas si le cinéma a un pouvoir cathartique. Même cet art total, qui enveloppe nos sens et nous emmène dans d'autres mondes.
Je me demande depuis longtemps si les remèdes proposés par notre société ne sont pas des cataplasmes sur membre amputé. Comme elle entretient certaines souffrances par son organisation même.
D'aucuns trouvent pour se reconstruire la religion, sous des formes plus ou moins sectaires. Certains milieux comblent réellement des manques fondamentaux et constitutifs de notre société, en recomposant une vie communautaire; que cela soit ou non un bien, c'est une réalité.
Le thème n'est pas nouveau : nous avons coupé les liens avec la "Nature", et nous sommes coupés de nous-mêmes - la conscience ferait interférence. L'histoire ne serait que cela, l'empilement d'une mémoire collective de nos accomplissements - de toutes les transformations que nous avons apportées à la réalité. Les œuvres des peuples et la gloire des hommes. Le savoir, exaltation du pouvoir. Et l'oubli de la vie ? Jusqu'à maintenant, chaque construction humaine se basait sur une destruction de la Nature, et de "notre nature", un antagonisme qui aboutirait donc à une scission en soi, en chacun de nous.
C'est la question qui me chahute depuis ma première lecture théorique, "le fantôme dans la machine" d'Arthur Koestler.
Tout ça pour éviter de déflorer l'histoire de Midsommar. Allez le voir bon sang ! Il va vous retourner la tête.